Pensées - page 201
celui qui la possède heureux par
la seule vue de ce qu’il est ? Faudra-
t-il encore le divertir de cette pensée
comme les gens du commun ? Je vois
bien, que c’est rendre un homme heureux,
que de le détourner de la vue
de ses misères domestiques, pour
remplir toute sa pensée du soin de bien
danser. Mais en sera-t-il de même
d’un Roi ? Et sera-t-il plus heureux en
s’attachant à ces vains amusements,
qu’à la vue de sa grandeur ? Quel
objet plus satisfaisant pourrait-on
donner à son esprit ? Ne serait-ce pas
faire tort à sa joie, d’occuper son
âme à penser à ajuster ses pas à la cadence
d’un air, ou à placer adroitement
une balle ; au lieu de le laisser
jouir en repos de la contemplation de
la gloire majestueuse qui l’environne ?
Qu’on en fasse l’épreuve ; qu’on
laisse un Roi tout seul sans aucune
satisfaction des sens, sans aucun soin
dans l’esprit, sans compagnie, penser
à soi tout à loisir ; et l’on verra,
qu’un Roi qui se voit, est un homme
plein de misères, et qui les ressent
comme un autre. Aussi on évite cela
soigneusement, et il ne manque jamais |