Fragment Perpétuité n° 7 / 11  – Papier original : RO 214-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 326 p. 147-147 v° / C2 : p. 178

Éditions savantes : Faugère I, 321, VIII / Havet Prov. 214 p. 301 / Brunschvicg 867 / Tourneur p. 273-3 / Le Guern 268 / Lafuma 285 / Sellier 317

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 44 sq.

BOST Hubert, “Jean Claude controversiste : Charenton contre Port-Royal ?”, in Port-Royal et les protestants, Chroniques de Port-Royal, 47, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1998, p. 149-177.

BOULENGER A., La doctrine catholique, I, Dogme, § 17, Paris, Vitte, p. 18.

BOUYER L., Dictionnaire théologique, art. Tradition, p. 624-626.

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 1417 sq.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, I, p. 129 sq.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris Vrin, 1931, p. 82 sq.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

TAVARD Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969.

 

 

Éclaircissements

 

Si l’ancienne Église était dans l’erreur l’Église est tombée.

 

Principe du raisonnement : puisque l’origine de l’Église remonte à l’évangélisation apostolique et dans les premiers temps du christianisme, si par impossible on suppose que cette Église était dès l’origine dans l’erreur, il est nécessaire que ce qu’elle a transmis soit aussi erroné, puisque rien ne pourrait alors venir rectifier ces erreurs. Dans cette hypothèse, non seulement l’Église serait tombée, mais elle serait dans l’impossibilité entière de se relever.

Naturellement, cette hypothèse est irrecevable, et même les protestants ne peuvent la soutenir, puisqu’ils soutiennent que le tort de l’Église moderne est de n’avoir pas su demeurer fidèle à l’Église des origines.

 

Quand elle y serait aujourd’hui ce n’est pas de même, car elle a toujours la maxime supérieure de la tradition de la créance de l’ancienne Église. Et ainsi cette soumission et cette conformité à l’ancienne Église prévaut et corrige tout.

 

Deuxième temps du raisonnement apagogique, qui soutient qu’à supposer que l’Église moderne soit engagée dans l’erreur (comme les protestants le prétendent, ou comme veulent l’y engager les molinistes), la situation ne serait pas identique à celle qui vient d’être envisagée. Car contrairement à la situation (impossible) envisagée ci-dessus, alors que la primitive Église, si elle était tombée dans l’erreur, n’aurait pas eu de quoi se relever, l’Église moderne, elle, même si elle tombe dans l’erreur, dispose d’une sorte de garde-fou qui lui permet toujours de revenir à la vérité : la tradition par laquelle l’ancienne Église lui a légué la véritable doctrine chrétienne. La soumission et la conformité à l’ancienne Église prévaut et corrige tout.

Cette confiance dans la tradition est précisément celle qui anime le groupe de Port-Royal lorsqu’il constate que le pape, trompé par les jésuites, se prépare à condamner la doctrine augustinienne de la grâce efficace : quand bien même un pape pourrait se laisser abuser, la tradition dont l’Église est porteuse, soutenue par la résistance des défenseurs qui, au sein de l’Église, la rappellent à la vérité, finira toujours par susciter un retour aux fondements de la religion.

Pensée n° 3 C (Laf. 916, Sel. 746). Le silence est la plus grande persécution. Jamais les saints ne se sont tus. Il est vrai qu’il faut vocation, mais ce n’est pas des arrêts du Conseil qu’il faut apprendre si on est appelé, c’est de la nécessité de parler. Or après que Rome a parlé et qu’on pense qu’il a condamné la vérité, et qu’ils l’ont écrit, et que les livres qui ont dit le contraire sont censurés, il faut crier d’autant plus haut qu’on est censuré plus injustement et qu’on veut étouffer la parole plus violemment, jusqu’à ce qu’il vienne un pape qui écoute les deux parties et qui consulte l’antiquité pour faire justice.

 

Pour approfondir…

 

La tradition

 

Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Tradition, p. 624-626. Tradition se dit, d’une façon générale, de toute transmission d’une connaissance ou d’une pratique. Les rabbins savent déjà que la parole de Dieu se transmet dans le peuple de Dieu et par le peuple de Dieu. La tradition prophétique que transmet tout le corps de l’Église se distingue de la tradition épiscopale.

Boulenger A., La doctrine catholique, I, Dogme, § 17, p. 18. Le mot tradition a un double sens. Dans le sens large, c’est l’ensemble des vérités révélées par Dieu et transmises soit par écrit, soit de vive voix. Dans le sens strict, la tradition comprend les vérités enseignées par Jésus-Christ et les apôtres et transmises d’âge en âge par une autre voie que l’Écriture sainte. La tradition est antérieure à l’Écriture sainte, puisque l’instruction orale a précédé l’enseignement écrit : p. 18-19. La tradition a un champ plus étendu que l’Écriture sainte. Elle est une source de la Révélation, distincte de l’Écriture sainte, et qui mérite la même foi : p. 19. C’est la principale règle de la foi. Ses principaux canaux sont les symboles et les professions de foi, les définitions des conciles, les actes des papes (bulles, encycliques, etc.) ; les écrits des Pères et des docteurs de l’Église, l’enseignement unanime des théologiens et la pratique générale et constante de l’Église ; enfin la liturgie.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 44 sq. Le concile de Trente déclare que la Révélation est contenue non seulement dans l’Écriture, mais dans les Traditions non écrites (sine scripto traditionibus). La tradition divine, qui remonte à la « bouche du Christ » (traditio dominica), la tradition qui remonte aux communications du Saint-Esprit et la tradition dogmatique forment les vérités révélées que les apôtres ont reçues du Christ et que l’Église a transmises. On distingue traditio divina et traditio ecclesiastica. En dehors de l’Écriture, la Tradition doit être acceptée comme une source propre de la foi. L’Écriture et la Tradition sont deux sources propres, juxtaposées de la foi ; on doit les recevoir avec le même respect. Les critères de la tradition sont l’universalité, l’antiquité et la concordance. Elles se prêtent un appui mutuel.

Encyclopédie saint Augustin, p. 1417 sq. Tradition.

Sur la notion de tradition telle qu’elle est conçue au XVIIe siècle en France, il faut recourir au livre de Tavard Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969, qui traite la question de façon approfondie.

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, p. 82 sq. Pascal considère la Tradition comme la pierre de touche de la vérité religieuse. Toute opinion de théologie dogmatique ou morale n’est vraie que dans la mesure où, ayant son fondement dans la Bible, elle se trouve en conformité avec l’enseignement traditionnel de l’Église. Les Provinciales font sans cesse appel à ce critère : au nom de la tradition, Pascal s’en prend au molinisme et à la casuistique, car les casuistes sont en rupture avec la tradition ecclésiastique : p. 83. Sur la question de la grâce, le molinisme rejoint l’hérésie semi-pélagienne : p. 83. De l’idée de tradition découle la fixité immuable des dogmes chrétiens à tous les points de vue : la vérité religieuse exclut toute sorte de progrès.

Les positions de Pascal sur la tradition peuvent être utilement comparées à celles que soutient Antoine Arnauld, qui ont été étudiées par Tavard Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Chapitre III, p. 79 sq. La fréquente communion repose sur le principe du respect et de la révérence « que l’on doit aux anciens canons » : p. 82. Le principe de la tradition provient immédiatement de la catholicité de l’Église : on doit s’efforcer de suivre l’Église primitive, et ne pas faire une « Église d’à présent » opposée à l’ancienne ; Œuvres, XXVII, p. 107. Il faut juger du présent par l’ancienne. L’Église demeure identique à elle-même à travers les temps, et immuable fondamentalement. Tout changement tend vers la décadence, mais ne peut atteindre que les couches superficielles de l’existence de l’Église.

Les protestants au contraire contestent la validité de la tradition : voir Bost Hubert, “Jean Claude controversiste : Charenton contre Port-Royal ?”, in Port-Royal et les protestants, Chroniques de Port-Royal, 47, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1998, p. 160 sq. La tradition comme « la chose du monde la plus incertaine, la plus sujette aux impostures et la plus mêlée des inventions et des faiblesses humaines », selon le ministre Claude : p. 161.

 

L’Église primitive et l’Église d’aujourd’hui

 

Arnauld Antoine, La fréquente communion, Préface, p. 87 sq. Que faut-il entendre par Église primitive ? Ce n’est pas celle qui est décrite dans les Actes des apôtres : les hérétiques ne l’entendent ainsi que pour échapper plus facilement à l’autorité des Pères. « L’Église primitive est proprement l’Église dans sa pureté et dans l’exacte observation de sa discipline, telle qu’elle était avant d’avoir été altérée par le relâchement des fidèles. Et parce qu’il nous reste peu d’écrits des trois premiers siècles, à cause de la persécution qui a duré tout ce temps, et qui a empêché, comme dit saint Jérôme, que saint Cyprien, qui a été choisi de Dieu pour être le défenseur de la pénitence, ne nous a laissé plus d’écrits, Monsieur le cardinal Du Perron prend pour le temps de la primitive Église le quatrième et le cinquième siècle, qu’il appelle le temps des quatre premiers conciles, depuis l’empereur Constantin, jusqu’à l’empereur Marcien, parce que la plupart des pères ayant écrit en ce temps, nous pouvons voir dans leurs écrits toutes les maximes de la foi, et toute la pureté de sa discipline. Ainsi l’Église primitive n’est autre chose que l’Église du temps de saint Basile, du temps de saint Ambroise, du temps de saint Augustin : et tâcher de suivre l’Église primitive en ce point de la pénitence, n’est autre chose que tâcher de rétablir la discipline de l’Église telle que nous la trouvons dans les écrits de ces pères, qui est le temps où l’Église a paru toute formée au-dehors dans la perfection de sa vertu, et dans l’ordre de sa discipline, laquelle a passé dans les siècles suivants, sans que l’Église ait jamais fait aucune ordonnance qui lui soit contraire » : p. 88.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale, I, p. 129 sq. Qu’appelle-t-on Église primitive ? Voir La fréquente communion, Œuvres, XXVII, p. 125. C’est l’Église dans sa pureté et dans l’exacte observation de sa discipline, « telle qu’elle était avant d’avoir été altérée par le relâchement des fidèles ». Du Perron la place aux IVe et Ve siècles.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 450, et 452 sq. Sur Perpétuité 7 : la conformité de l’ancienne Église prévaut et corrige tout.

Ce passage ne veut pas dire qu’il faut que l’Église moderne reste toujours strictement identique à l’ancienne. Pascal montre au contraire comment les deux Églises doivent se rapporter l’une à l’autre dans la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui : l’opuscule a pour objet la manière dont le baptême doit être administré par l’Église et reçu par le fidèle. Selon Pascal, si les formes et le temps du baptême ont pu varier dans l’histoire de l’Église, celle-ci « a toujours conservé le même esprit, bien qu’elle ait changé de conduite » (OC IV, éd. J. Mesnard, p. 51). Vouloir fixer l’Église sur les formes d’une tradition figée est une forme de prolongement de l’esprit judaïque, alors que la juste manière de concevoir le baptême est de demeurer fidèle en esprit à l’esprit de l’Église primitive. D’autre part, une fois montré que l’esprit de l’Église demeure le même quoique le baptême soit administré de manière plus précoce que dans l’Antiquité, sans pour autant perdre l’esprit de la tradition, Pascal souligne que cette perpétuité n’est possible que si les fidèles reçoivent le baptême dans un esprit de pénitence et de soumission à l’instruction. C’est en ce sens qu’il faut concevoir la perpétuité de l’Église : une perpétuité dans l’esprit et non dans les formes et les cérémonies.

 

Mais l’ancienne Église ne supposait pas l’Église future et ne la regardait pas, comme nous supposons et regardons l’ancienne.

 

Le manuscrit montre que c’est une addition. Elle résume le fondement de tout ce qui précède. L’Église ancienne est la condition et le modèle de la nouvelle, non pas seulement par antériorité chronologique, mais parce que le temps exprime dans ce cas un ordre logique : l’Église ancienne ne peut prévoir l’évolution qu’elle subira dans l’avenir, et l’Église moderne ne peut pas servir de règle à l’ancienne. En revanche, l’Église moderne connaît son passé et doit se régler sur l’Église primitive.

Cette note donne de la tradition une idée nouvelle et originale : la tradition n’est pas définie comme la répétition continuée des mêmes états de choses, ce qui conduirait à un conservatisme stérilisant, mais comme un enchaînement où la première étape, l’Église primitive, est la condition nécessaire des suivantes. D’autre part, la perpétuité suppose que ce qui se conserve, c’est l’esprit de l’Église primitive, c’est-à-dire que l’Église d’aujourd’hui doit se régler sur l’esprit de l’ancienne. Supposer et regarder sont les deux termes qui définissent la tradition de l’Église. Contrairement à ce que l’on peut lire chez certains commentateurs, la perpétuité n’implique pas que l’Église soit figée dans un état qui devrait être toujours le même. C’est son inspiration qui fait sa perpétuité.