Géométrie-Finesse II – Fragment n° 1 / 2 – Papier original : RO 405-1 et 406-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 83 p. 321 à 323  / C2 : p. 401 à 403

Éditions de Port-Royal : Chap. XXXI - Pensées diverses : 1669 et janvier 1670 p. 319-323 / 1678 n° 2 p. 314-318

Éditions savantes : Faugère I, 149 / Havet VII.2 bis / Brunschvicg 1 / Tourneur p. 63 / Le Guern 466 / Lafuma 512 (série XXII) / Sellier 670

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Bibliographie

 

 

BRUNSCHVICG Léon, Le génie de Pascal, Hachette, Paris, 1924.

DROZ Edouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 98 sq.

FERREYROLLES Gérard, Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, Paris, Champion, 1995.

FRANCIS Raymond, Les Pensées de Pascal en France de 1842 à 1942, Essai d’étude historique et critique, Paris, Nizet, 1959.

FUMAROLI, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 359-372.

Géométries de Port-Royal, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2009.

HARRINGTON Thomas, “Pascal et la philosophie”, Méthodes chez Pascal, p. 37 sq.

HARRINGTON Thomas M., Pascal philosophe. Une étude unitaire de la pensée de Pascal, Paris, SEDES-CDU, 1982.

JUNGO Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd., p. 50.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Figure géométrique et construction philosophique chez Pascal”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 33, Clermont-Ferrand, 2011, p. 4-13.

MESNARD Jean, “Pascal ou la maîtrise de l’esprit”, Bulletin de la Société française de philosophie, n° 3, juillet-septembre 2008, Paris, Vrin, p. 1-38. Voir p. 13 sq. sur ce texte.

MESNARD Jean, Pascal et les Roannez, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 371.

MOROT-SIR Edouard, Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1973.

PARIENTE Jean-Claude, L’analyse du langage à Port-Royal, Paris, Minuit, 1985.

PASCAL, Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 107 sq.

PASCAL, Œuvres complètes, III, éd. J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1991, p. 385 sq.

PRIGENT Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”, Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, Strasbourg, Centre de Philologie et de littérature romanes, Klincksieck, Paris, 1975, p. 117-128.

 

 

Éclaircissements

 

Le fragment précédent, Géométrie-Finesse I, comparait l’esprit de géométrie et l’esprit de justesse. Pascal oppose ici à l’esprit de géométrie l’esprit de finesse, distinction qui est devenue plus célèbre que la précédente. Il ne faudrait pas la confondre avec l’opposition que l’on fait aujourd’hui entre esprits « littéraires » et les esprits « scientifiques » : elle est beaucoup plus complexe, car malgré les différences qui les séparent, ces deux esprits sont pourtant chez Pascal de même structure.

Aussi la construction de ce texte est-elle particulièrement subtile : le fragment porte explicitement dans son titre l’idée de la différence des deux formes d’esprit de géométrie et de finesse. Mais son déroulement montre en même temps qu’elle s’inscrit dans une communauté de fond. Cette technique est habituelle à Pascal : on la retrouve par exemple dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), où il souligne très clairement l’écart infini qui sépare les trois ordres les uns des autres, mais en parle en soulignant que ces ordres ont tous la même structure, de sorte qu’ils sont figures les uns des autres. Les deux aspects sont solidaires, et ne doivent pas être envisagés séparément.

 

Différence entre l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse.

 

L’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse ont une structure commune : voir Mesnard Jean, “Pascal ou la maîtrise de l’esprit”, Bulletin de la Société française de philosophie, n° 3, 2008, p. 1-38. Voir p. 13 sq. Il n’y a pas de différence de nature entre l’esprit de géométrie et de finesse, mais seulement une différence de degré ou de modalité : p. 14. Le second est structurellement analogue au premier, car il s’agit toujours de poser les principes et d’en déduire les conséquences ; les deux opérations se déroulent dans le temps. Les différences portent sur les principes et sur le raisonnement : les principes de la géométrie sont de pures constructions de l’esprit, qui exigent une grande puissance d’abstraction ; mais une fois l’effort accompli, ils sont clairs et aisés à distinguer. Les principes de l’esprit de finesse sont ceux que donnent les sens, l’expérience de la vie et des relations humaines ; ils sont proches et familiers, mais difficiles à saisir et malaisés à discerner les uns des autres. Dans l’ordre du raisonnement, la géométrie réalise des opérations parfaitement définies, exigeant une grande fidélité aux principes posés, dont l’étrangeté peut entrainer l’instabilité et exiger un parcours rigoureux et effectif de toutes les étapes de la progression à réaliser. La finesse se heurte à l’embarras de maîtriser de très nombreux principes et à la difficulté de bien les distinguer pour faire entrer chacun à sa place dans le raisonnement : p. 14.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 96 sq.

Prigent Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”,p. 117-128, développe aussi l’idée que la finesse est conçue sur le modèle de la géométrie.

 

En l’un les principes sont palpables mais éloignés de l’usage commun, de sorte qu’on a peine à tourner la tête de ce côté‑là, manque d’habitude. Mais pour peu qu’on l’y tourne, on voit les principes à plein, et il faudrait avoir tout à fait l’esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent.

 

L’esprit de géométrie

 

Dans le fragment Géométrie-Finesse I (Laf. 511, Sel. 669), l’esprit de géométrie est présenté sous un autre aspect : la géométrie comprend un grand nombre de principes, et l’esprit de géométrie consiste à comprendre un grand nombre de principes sans les confondre.

Pascal ne s’intéresse pas ici au nombre des principes que l’esprit de géométrie peut prendre en compte, mais à la nature de ces principes : ils ont pour caractère d’être palpables et gros, mais éloignés de l’usage commun, de sorte qu’il est difficile de porter sur eux son attention.

Pascal connaît bien les principes de la géométrie, dont il sait à quel point ils peuvent paraître parfois étranges.

L’opuscule De l’esprit géométrique, I, § 27, souligne nettement à quel point la divisibilité de l’espace à linfini peut être incompréhensible : « Il n’y a point de géomètre qui ne croie l’espace divisible à l’infini. On ne peut non plus l’être sans ce principe qu’être homme sans âme. Et néanmoins il n’y en a point qui comprenne une division infinie ; et l’on ne s’assure de cette vérité que par cette seule raison, mais qui est certainement suffisante, qu’on comprend parfaitement qu’il est faux qu’en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c’est à dire qui n’ait aucune étendue. » La compréhension de la division infinie est pourtant la condition nécessaire pour comprendre les Lettres de A. Dettonville sur la roulette.

Pascal pense sans doute aussi aux principes qu’il a formulés dans la Generatio conisectionum : par exemple la Définition III, OC II, p. 1111, Deux droites ou davantage, quelle que soit leur position, sont toujours dites concourantes, soit à distance finie, si elles se coupent en un même point, soit à distance infinie, si elles sont parallèles est entièrement éloigné de l’usage commun. Plus concrètement, certains principes paraissent même contraires à l’évidence : un joueur pense toujours, lorsqu’il a déposé sa mise pour constituer l’enjeu, que cet argent lui appartient, et pourtant, selon Pascal, c’est un principe de la règle des partis que ce n’est plus le cas : voir OC II, p. 1308, selon le commencement de son Usage du triangle arithmétique pour les partis, « pour entendre la règle des partis, la première chose qu’il faut considérer est que l’argent que les joueurs ont mis au jeu ne leur appartient plus, car ils en ont quitté la propriété ». C’est pourquoi Pascal tente toujours de montrer en quoi ces principes, malgré leur difficulté, sont cependant parfaitement recevables : les joueurs « ont reçu en revanche le droit d’attendre ce que le hasard leur en peut donner, suivant les conditions dont ils sont convenus d’abord. Mais comme c’est une loi volontaire, ils la peuvent rompre de gré à gré ; et ainsi, en quelque terme que le jeu se trouve, ils peuvent le quitter ; et, au contraire de ce qu’ils ont fait en y entrant, renoncer à l’attente du hasard, et rentrer chacun en la propriété de quelque chose. Et en ce cas, le règlement de ce qui leur doit appartenir doit être tellement proportionné à ce qu’ils avaient droit d’espérer de la fortune que chacun d’eux trouve entièrement égal de prendre ce qu’on lui assigne ou de continuer l’aventure du jeu ; et cette juste distribution s’appelle le parti. » Cette présentation des caractères de l’esprit de géométrie n’est donc pas une pure abstraction philosophique, mais une idée issue de la pratique mathématique concrète de Pascal.

Quel lien existe-t-il entre l’esprit de géométrie dont il est question ici, et l’esprit géométrique qui a donné lieu à la rédaction de l’opuscule qui en porte le titre ? L’esprit de géométrie est la qualité d’une intelligence. En revanche, quand Pascal parle de l’esprit géométrique, il entend plutôt l’inspiration de rigueur et d’exactitude qui fait le fond de la méthode géométrique.

On retrouve dans cette conception de Pascal un souvenir des idées de Girard Desargues, Brouillon projet d’exemple d’une manière universelle…, éd. Poudra, p. 357. « L’esprit de géométrie » appartient aux « contemplatifs », c’est-à-dire aux théoriciens, et non aux artisans et ouvriers que leur éducation ne rend pas aptes à comprendre les abstractions des mathématiques.

Pascal fait en revanche l’éloge de l’esprit de géométrie dans l’opuscule De l’esprit géométrique, I, § 3-4. OC III, éd. J. Mesnard, p. 391-392 : « Je n’ai choisi cette science pour y arriver que parce qu’elle seule sait les véritables règles du raisonnement, et, sans s’arrêter aux règles des syllogismes qui sont tellement naturelles qu’on ne peut les ignorer, s’arrête et se fonde sur la véritable méthode de conduire le raisonnement en toutes choses, que presque tout le monde ignore, et qu’il est si avantageux de savoir que nous voyons par expérience qu’entre esprits égaux et toutes choses pareilles, celui qui a de la géométrie l’emporte et en acquiert une vigueur toute nouvelle. » Ces paroles sont directement inspirées par Torricelli Evangelista, Opera geometrica, De dimensione parabolae, 1644, II, p. 7 : « Sola enim geometria inter liberales disciplinas acriter exacuit ingenium, idoneumque reddit ad civitates adornandas in pace et in bello defendendas : caeteris enim paribus, ingenium quod exercitatum sit in geometrica palestra, peculiare quoddam et virile robur habere solet : praestabitque semper et antecellet, circa studia architecturae, rei bellicae, nautiaeque, etc. » Voir, sur l’esprit entraîné aux mathématiques selon Torricelli, Koyré Alexandre, Études d’histoire de la pensée scientifique, p. 191.

Duhem Pierre, La théorie physique, p. 97 sq., interprète l’esprit de géométrie comme un esprit ample, qui manie des concepts abstraits, déduit rigoureusement ; mais il ne fait intervenir que des facultés logiques : les mathématiciens ont dû créer des procédés qui se substituent à cette méthode abstraite une autre où la faculté d’imaginer ait plus de part que le pouvoir de raisonner.

Brunschvicg Léon, Le génie de Pascal, Hachette, Paris, 1924, p. 46 : « comparé à l’esprit de finesse, l’esprit géométrique se reconnaît à la facilité d’un ordre unilinéaire qui permet de marcher droit et loin devant soi. Les choses vont tout autrement que s’il est opposé à l’esprit de justesse. En effet, l’esprit de justesse suffit, suivant Pascal, pour la simplicité des problèmes physiques, à cause du petit nombre de principes. L’esprit géométrique, au contraire, a l’envergure du conquérant qui embrasse dans son intelligence une multiplicité complexe de principes et réussir à les faire concourir pour un progrès d’ensemble ».

Mersenne Marin, La vérité des sciences, IV, ch. III, p. 742 sq. Qu’est-ce qui est nécessaire pour être excellent géomètre ?

Prigent Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”, Mélanges de littérature française offerts à M. René Pintard, p. 117-128. 

 

L’éloge de l’esprit géométrique

 

Un bel éloge de l’esprit de géométrie, assorti d’une critique de ses défauts, se trouve dans la préface rédigée par Pierre Nicole pour les Nouveaux éléments de géométrie d’Antoine Arnauld ; voir Géométries de Port-Royal, éd. D. Descotes, p. 94-104.

L’éloge que Pascal fait de l’esprit géométrique s’inscrit dans une controverse sur l’utilité et de l’excellence des mathématiques, et surtout leur certitude, dont Pascal a certainement eu connaissance, ne serait-ce que par ses rapports avec l’académie Mersenne. Rappelons que Mersenne est l’auteur d’un livre sur La vérité des sciences, qui est en fait un traité de vulgarisation des mathématiques. Sur cette controverse, voir Romano Antonella, La contre-réforme mathématique. Constitution et diffusion d’une culture mathématique jésuite à la Renaissance, Rome, École française de Rome, 1999, principalement sur la part prise par Clavius dans la défense des mathématiques, et Rommevaux Sabine, Clavius : une clé pour Euclide au XVIe siècle, Paris, Vrin, 2005.

 

Mais dans l’esprit de finesse les principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n’a que faire de tourner la tête ni de se faire violence, il n’est question que d’avoir bonne vue. Mais il faut l’avoir bonne, car les principes sont si déliés et en si grand nombre, qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe.

 

L’esprit de finesse

 

L’esprit de finesse n’est pas mentionné dans l’opuscule De l’esprit géométrique.

Pascal, OC III, éd. J. Mesnard, p. 385 sq.

Mesnard Jean, “Figure géométrique et construction philosophique chez Pascal”, p. 4-13. Voir p. 7-8. Il y a une identité de structure de l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse ; l’esprit de finesse n’est pas moins déductif que l’esprit de géométrie, car il procède, comme l’esprit de géométrie, en tirant des conséquences de certains principes. C’est la nature des principes respectifs qui les distingue : dans l’esprit de finesse, il s’agit de principes consistant en faits extrêmement ténus, en observations délicates, qui exigent une vue aiguisée. En revanche, ces principes sont communs et nombreux dans l’esprit de finesse, qui est une sorte d’esprit géométrique supérieur. Ces deux esprits se figurent l’un l’autre : p. 8.

En revanche, les différences entre les deux formes d’esprit sont les suivantes :

Alors que l’esprit de géométrie procède méthodiquement par définitions, principes et conséquences, dans l’esprit de finesse, les conséquences, prises en faisceau, conduisent à des conclusions par un raisonnement quasi instantané, proche d’une forme d’intuition. C’est ce caractère qui a conduit nombre de commentateurs à confondre l’esprit de finesse avec le cœur, qui procède en effet par sentiment immédiat.

D’autre part, contrairement aux principes de l’esprit géométrique, ceux de l’esprit de finesse sont familiers et accessibles, de sorte qu’une fois qu’on les a aperçus, on n’a pas de peine à les considérer et à en tirer des conclusions.Ils sont dans l’usage commun : il faut entendre qu’il s’agit de principes auxquels donnent lieu la vie sociale et les contacts humains.

Enfin, cet esprit exige de l’amplitude d’esprit, dans la mesure où ces principes sont en grand nombre : l’esprit fin peut être trompé par la confusion, car l’omission d’un principe suffit à conduire à l’erreur.

Prigent Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”,p. 117-128, développe aussi l’idée que la finesse est conçue sur le modèle de la géométrie.

Fumaroli Marc, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, in Méthodes chez Pascal, p. 369. Esprit traduit ingenium et finesse subtilitas.

Brunschvicg Léon, Le génie de Pascal, Hachette, Paris, 1924, voir p. 44, sur l’esprit de finesse.

Sur l’intervention de l’esprit de finesse dans le cheminement vers la foi, voir Pascal, Pensées, opuscules et lettres, éd. Sellier, Paris, Garnier, 2011, p. 59 sq. Il consiste en fulgurations de l’esprit, selon une logique réelle, mais sans la lourdeur et la lenteur de l’esprit géométrique. L’esprit de finesse saisit d’un coup une foule d’indices, coordonne tout cela et bondit à la conclusion.

La Rochefoucauld emploie comme Pascal les expressions esprit fin et esprit de finesse, mais c’est dans un sens assez différent. Voir Réflexions diverses, XVI, De la différence des esprits : « Un esprit fin et un esprit de finesse sont très différents. Le premier plaît toujours ; il est délié, il pense des choses délicates et voit les plus imperceptibles. Un esprit de finesse ne va jamais droit, il cherche des biais et des détours pour faire réussir ses desseins ; cette conduite est bientôt découverte, elle se fait toujours craindre et ne mène presque jamais aux grandes choses ».

Chez La Rochefoucauld, esprit fin et esprit de finesse désignent deux sortes d’individus ; Pascal au contraire conçoit l’esprit de fin comme un individu, et l’esprit de finesse comme une faculté ou un tour d’esprit.

L’esprit fin chez La Rochefoucauld est proche de l’esprit de finesse chez Pascal en ce qu’il a la capacité de saisir les choses délicates et imperceptibles ; cependant ils diffèrent par le fait que La Rochefoucauld y voir surtout une manière de saisir et de percevoir les choses, alors que pour Pascal, l’esprit de finesse est aussi une façon de raisonner sur des données fines qu’il a perçues. Sous cet aspect, la notion a chez Pascal plus d’ampleur que chez La Rochefoucauld.

D’autre part, esprit de finesse est pris chez La Rochefoucauld en un sens non seulement péjoratif, mais d’un tout autre ordre que chez Pascal : il s’agit en fait d’un tour d’esprit tortueux, dissimulé, qui cherche à faire aboutir des desseins (trait qui manque chez Pascal). Le mot finesse a en l’occurrence un sens proche de ruse, voire d’hypocrisie. La dernière formule de La Rochefoucauld suggère que l’esprit de finesse pris en ce sens est le propre d’un esprit bas. On est évidemment là fort loin de Pascal.

 

Sur l’identification de l’esprit de finesse avec le cœur

 

Certains commentateurs tendent à identifier l’esprit de finesse et le cœur. C’est une erreur. Le cœur procède intuitivement, par sentiment immédiat. Il ne donne donc que des principes, mais non des conséquences. L’esprit de finesse en revanche comporte des conséquences qui se tirent de principes dont la nature lui est particulière.

Un premier point doit être nettement retenu. Aucun des esprits dont il est question dans le présent fragment et le suivant, esprit de géométrie, esprit de justesse et esprit de finesse, ne se confond avec le cœur, dont la notion est expliquée dans le fragment Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Le cœur reçoit et fournit les principes par intuition immédiate : nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, par instinct et par sentiment, et c’est sur ces connaissances du cœur qu’il faut que la raison s’appuie. [...] les principes se sentent, les propositions se concluent. Le cœur est la faculté des principes, mais il ne produit aucune conséquence des principes qu’il offre.

Les esprits de géométrie, de finesse et de justesse ont pour propre, non de fournir des principes, mais d’en tirer les conséquences, chacun sous un certain aspect. Ils diffèrent par leur caractère, mais leur domaine commun est celui du raisonnement, qui des principes tire des conséquences.

L’esprit de géométrie est l’aptitude à tirer, sans les confondre, des conséquences de principes nombreux, ce qui marque son amplitude ; ces principes qui ont pour caractère d’être éloignés de l’usage commun, de sorte qu’on a de la peine à les apercevoir, mais ils sont si gros, si palpables qu’une fois qu’on les aperçus, il est presque impossible qu’ils échappent (voir Géométrie-finesse II (Laf. 513-514, Sel. 671)). J. Mesnard propose pour exemple de ce genre de principes la divisibilité de l’espace à l’infini, dont on sait que, selon Pascal, certains esprits sont incapables de la comprendre.

L’esprit de finesse caractérise aussi une manière de tirer des conséquences, ce qui interdit de le confondre avec le cœur. Ces principes sont dans l’usage commun et devant les yeux de tout le monde, de sorte que pour les saisir on n’a pas à faire de grands efforts. Le propre de ces principes est leur extrême délicatesse et leur grand nombre, tel qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. Cet esprit tire des conséquences comme l’esprit de géométrie, mais d’une manière qui se rapproche d’une intuition : on les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit [...]. Ce sont choses tellement délicates, et si nombreuses qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et juger droit et juste selon ce sentiment. Le raisonnement se fait alors tacitement, naturellement et sans art, d’une seule vue.

Juger d’une seule vue : Fumaroli Marc, “Pascal et la tradition rhétorique gallicane”, in Méthodes chez Pascal, p. 369. Description d’une méthode d’invention.

 

Différentes interprétations de la distinction des l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse

 

Voir dans Francis Raymond, Les Pensées de Pascal en France de 1842 à 1942, Essai d’étude historique et critique, Paris, Nizet, 1959, p. 476-477, une série de citations d’auteurs résumant leur interprétation des termes esprit de géométrie et esprit de finesse.

Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 98 sq., assimile l’esprit de géométrie à l’esprit abstrait, et l’esprit de finesse à l’esprit concret : p. 99.

Duhem Pierre, La théorie physique, p. 94 sq. Liaison avec l’amplitude d’esprit qui engendre la finesse du diplomate, capable de voir les moindres faits ; du chroniqueur comme Saint-Simon : p. 96 ; du grand romancier. Cas du géomètre et de l’algébriste : p. 97.

Morot-Sir Edouard, Pascal, Presses Universitaires de France, Paris, 1973, p. 24.

Harrington Thomas M., Pascal philosophe. Une étude unitaire de la pensée de Pascal, p. 94 sq.

 

Esprit de finesse et enthymème

 

Mesnard Jean, “Pascal ou la maîtrise de l’esprit”, p. 15 sq., a rapproché la démarche de l’esprit de finesse avec le syllogisme dit enthymème.

Sur l’enthymème, voir Aristote, Rhétorique, II, 1393 a et 1395 b, tr. M. Dufour, p. 103 et 111 sq. ; Quintilien, Institution oratoire, V, 10, et V, 14, t. 3, Belles Lettres, p. 127 sq. et p. 200 sq. Voir Pierre d’Espagne, Summulae, Tr. V, De enthymemate, exemplo, et quomodo reducantur ad syllogismum, p. 142 v° sq. : « Enthymema est syllogismus imperfectus, id est oratio, in qua non omnibus praemissis positis infertur conclusio festinata, ut omne animal currit, ergo omnis homo currit. »

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, III, XIV. Des enthymèmes et des sentences enthymématiques. 

« On a déjà dit que l’enthymème était un syllogisme parfait dans l’esprit, mais imparfait dans l’expression ; parce qu’on y supprimait quelqu’une des propositions comme trop claire et trop connue, et comme étant facilement suppléée par l’esprit de ceux à qui on parle. Cette manière d’argument est si commune dans les discours et dans les écrits qu’il est rare, au contraire, que l’on y exprime toutes les propositions ; parce qu’il y en a d’ordinaire une assez claire pour être supposée, et que la nature de l’esprit humain est d’aimer mieux que l’on lui laisse quelque chose à suppléer, que non pas qu’on s’imagine qu’il ait besoin d’être instruit de tout.

Ainsi cette suppression flatte la vanité de ceux à qui on parle, en se remettant de quelque chose à leur intelligence ; et en abrégeant le discours, elle le rend plus fort et plus vif. Il est certain par exemple, que si de ce vers de la Médée d’Ovide, qui contient un enthymème très élégant,

Servare potui, perdere an possim rogas ?

Je t’ai pu conserver, je te pourrai donc perdre ?

on en avait fait un argument en forme en cette manière : Celui qui peut conserver peut perdre : Or je t’ai pu conserver ; Donc je te pourrai perdre, toute la grâce en serait ôtée : et la raison en est que comme une des principales beautés d’un discours est d’être plein de sens, et de donner occasion à l’esprit de former une pensée plus étendue que n’est l’expression, c’en est au contraire un des plus grands défauts d’être vide de sens, et de renfermer peu de pensées ; ce qui est presque inévitable dans les syllogismes philosophiques : car l’esprit allant plus vite que la langue, et une des propositions suffisant pour en faire concevoir deux, l’expression de la seconde devient inutile, ne contenant aucun nouveau sens. C’est ce qui rend ces sortes d’arguments si rares dans la vie des hommes, parce que sans même y faire réflexion on s’éloigne de ce qui ennuie, et l’on se réduit à ce qui est précisément nécessaire pour se faire entendre.

Les enthymèmes sont donc la manière ordinaire dont les hommes expriment leurs raisonnements, en supprimant la proposition qu’ils jugent devoir être facilement suppléée ; et cette proposition est tantôt la majeure, tantôt la mineure, et quelquefois la conclusion, quoiqu’alors cela ne s’appelle pas proprement enthymème, tout l’argument étant contenu en quelque sorte dans les deux premières propositions. »

L’enthymème brûle les étapes de l’argumentation, et laisse à la pensée non verbale certains arguments intermédiaires.

 

Or l’omission d’un principe mène à l’erreur.

 

Cette idée n’est pas mentionnée dans l’opuscule De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader. Elle est conforme au principe d’économie, qui prescrit de restreindre le nombre des principes.

Cette maxime est illustrée par les Écrits sur la grâce, notamment le Traité de la prédestination, où Pascal montre que les luthériens et les pélagiens sont tombés dans des erreurs contraires parce qu’ils ont négligé un principe de la doctrine catholique, représentée dans cet écrit par saint Augustin.

 

Ainsi il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l’esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

 

Net : se dit de ce qui n’est pas confus, ni brouillé ; les caractères de cette impression sont nets ; se dit des pensées, de l’esprit, des expressions, du style. Ce professeur à l’esprit net, ses explications sont nettes et claires ; Ovide a un style simple et fort net (Furetière).

La netteté concerne la manière dont on voit ou l’on conçoit une notion. Elle ressemble à ce que Descartes appelle la distinction.

La vue bien nette : la nécessité de la netteté n’est pas limitée aux choses de la finesse. Pascal mentionne ici une forme d’esprit à laquelle il aurait pu consacrer une analyse, l’esprit de netteté. Il y fait allusion dans l’opuscule De l’esprit géométrique, I, § 17, OC III, p. 397-400. « Si je ne savais combien il est nécessaire d’entendre ceci parfaitement, et combien il arrive à toute heure, dans les discours familiers et dans les discours de science, des occasions pareilles à celle-ci que j’ai donnée en exemple, je ne m’y serais pas arrêté. Mais il me semble, par l’expérience que j’ai de la confusion des disputes, qu’on ne peut trop entrer dans cet esprit de netteté, pour lequel je fais tout ce traité, plus que pour le sujet que j’y traite. »

Les autres sciences sont plongées dans une certaine confusion essentielle, due à leurs principes : GEF IX, p. 287. Il n’y a pas de vraie démonstration hors de la géométrie ; voir Prigent Jean, “La réflexion pascalienne sur les principes”, p. 121. La géométrie est un modèle universel de raisonnement.

Mersenne Marin, Questions théologiques, Question XXXVIII, éd. Pessel, p. 357. La musique et l’optique « n’ont toutes deux nuls principes si clairs, et si certains qu’on n’en puisse douter, tant parce qu’elles présupposent les sens, et leurs opérations, dont la manière nous est inconnue, que parce qu’elles mêlent toujours la physique dans leurs raisonnements, laquelle ne nous donne pas les principes de connaissance, ou d’effet ». Seules l’arithmétique et la géométrie méritent proprement le nom de sciences : p. 358.

 

Tous les géomètres seraient donc fins s’ils avaient la vue bonne, car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu’ils connaissent. Et les esprits fins seraient géomètres s’ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie.

 

La conjonction des deux esprits de géométrie et de finesse : voir Brunschvicg Léon, Le génie de Pascal, p. 63. Il n’y a pas deux mondes différents, celui de la géométrie et celui de la finesse : « ce qui caractérise un Pascal, c’est tout au contraire qu’il a traité des affaires morales et religieuses aussi géométriquement qu’il a su aborder finement le calcul des probabilités et la géométrie infinitésimale ». Ce type d’intelligence permet de découvrir de plus en plus de singularités : p. 64. La géométrie ne s’est jamais autant appuyée sur la finesse. Brunschvicg fournit quelques exemples tirés de l’œuvre scientifique de Pascal, qui conjuguent esprit de géométrie et esprit de finesse.

 

Ce qui fait donc que de certains esprits fins ne sont pas géomètres, c’est qu’ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie. Mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c’est qu’ils ne voient pas ce qui est devant eux et qu’étant accoutumés aux principes nets et grossiers de géométrie, et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine, on les sent plutôt qu’on ne les voit, on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d’eux‑mêmes. Ce sont choses tellement délicates, et si nombreuses, qu’il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent le démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu’on n’en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l’entreprendre. Il faut tout d’un coup voir la chose d’un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusqu’à un certain degré. Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins et que les fins soient géomètres, à cause que les géomètres veulent traiter géométriquement ces choses fines et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions et ensuite par les principes, ce qui n’est pas la manière d’agir en cette sorte de raisonnement.

 

Au moins jusqu’à un certain degré est une addition dans l’interligne. C’est peut-être une façon d’opposer la manière dont l’esprit de finesse procède, qui n’est immédiate que jusqu’à un certain point, à celle du cœur, qui ne justifierait pas cette réserve.

Certains pensent qu’il n’est pas possible d’être géomètre et fin à la fois : voir Sabrié J. B., De l’humanisme au rationalisme, Pierre Charron (1541-1603), Slatkine Reprints, Genève, 1970, (réimpression de l’édition de Paris, Alcan, 1913), p. 255 sq., sur Huarte. Des divers genres d’esprit, qui se trouvent parmi les hommes, il n’y en a qu’un qu’on puisse posséder à un degré éminent. Il n’y a qu’une science qui corresponde à chaque genre d’esprit et où chaque individu puisse exceller.

Comme exemple de géomètre qui n’est que géomètre, on peut citer l’exemple de Roberval : voir Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, p. 371. Selon des Billettes, on appelle Roberval « le géomètre » tout court, parce qu’il n’a pas de finesse ; ce qui est différent de l’esprit géométrique. Roberval serait un « géomètre d’étude ». Sa grossièreté est bien connue.

Baillet Adrien, Vie de M. Descartes, Seconde partie, Paris, Hortemels, Livre VII, ch. XVII, éd. 1691, p. 381. « C’est ce qui acheva de le détacher de M. de Roberval, qui dès l’an 1649 lui avait fait connaître et à M. son Père, combien il était médiocre métaphysicien sur la nature des choses spirituelles, et combien il était important qu’il se tût toute sa vie sur les opinions des libertins et des déistes ».

Le défaut de l’esprit de géométrie systématique a été critiqué par Nicole Pierre, Préface d’Arnauld, Nouveaux éléments de géométrie.

« Cette coutume même de rejeter tout ce qui n’est pas entièrement clair, peut engager dans un défaut très considérable, qui est de vouloir pratiquer cette exactitude en toute sorte de matières, et de contredire tout ce qui n’est pas proposé avec l’évidence géométrique. Cependant il y a une infinité de choses dont on ne doit pas juger en cette manière et qui ne peuvent pas être réduites à des démonstrations méthodiques. Et la raison en est qu’elles ne dépendent pas d’un certain nombre de principes grossiers et certains, comme les vérités mathématiques ; mais d’un grand nombre de preuves et de circonstances, qu’il faut que l’esprit voie tout d’un coup, et qui n’étant pas convaincantes séparément, ne laissent pas de persuader avec raison, lorsqu’elles sont jointes ensemble. La plupart des matières morales et humaines sont de ce nombre ; et il y a même des vérités de la religion, qui se prouvent beaucoup mieux par la lumière de plusieurs principes, qui s’entraident et se soutiennent les uns les autres, que par des raisonnements semblables aux démonstrations géométriques ».

Contre l’utilité des mathématiques et leur mauvais effet sur l’esprit, voir La Mothe Le Vayer, Discours sceptique sur la musique, in Mersenne, Questions harmoniques, éd. Pessel, p. 141. L’inutilité des mathématiques est selon Le Vayer avouée par les mathématiciens mêmes. Les mathématiques demandent une attention excessive. Elles portent à l’humeur atrabilaire. Elles ne donnent pas d’aptitude à “la conversation civile” : p. 142. Les mathématiciens passent pour fous et demeurent tous enfin misérables : p. 142.

 

Ce n’est pas que l’esprit ne le fasse mais il le fait tacitement, naturellement et sans art, car l’expression en passe tous les hommes, et le sentiment n’en appartient qu’à peu d’hommes.

 

Sans art : sur la notion d’art, voir Pariente Jean-Claude, L’analyse du langage à Port-Royal, p. 105 sq. Art de penser et art de parler. Un art, selon la Logique, se définit comme une méthode de bien faire quelque chose : p. 107.

 

Et les esprits fins au contraire, ayant ainsi accoutumé à juger d’une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des principes si stériles, qu’ils n’ont point accoutumé de voir ainsi en détail, qu’ils s’en rebutent et s’en dégoûtent.

 

Pascal pense sans doute au chevalier de Méré, qui ne comprenait pas la divisibilité infinie de l’espace ni les véritables règles des partis.

 

Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres.

 

Qu’est-ce que Pascal entend par esprits faux ? On peut trouver un exemple dans le fragment Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91). Tyrannie. La tyrannie est de vouloir avoir par une voie ce qu’on ne peut avoir que par une autre. On rend différents devoirs aux différents mérites, devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort donc on doit m’aimer, je suis... Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas, il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas.

Un autre exemple peut certainement être trouvé dans la manière dont pensent les casuistes contre lesquels Pascal a écrit les Provinciales, qui font un usage déréglé de la notion de probabilité. Voir sur ce point Géométries de Port-Royal, éd. D. Descotes, p. 61-81 ; Descotes Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197.

 

Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l’esprit droit, mais pourvu qu’on leur explique bien toutes choses par définitions et principes ; autrement ils sont faux et insupportables, car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis.

Et les fins qui ne sont que fins ne peuvent avoir la patience de descendre jusque dans les premiers principes des choses spéculatives et d’imagination qu’ils n’ont jamais vues dans le monde, et tout à fait hors d’usage.

 

Ces dernières lignes sont écrites verticalement en marge de gauche.

L’imagination n’est pas ici envisagée comme une puissance trompeuse. Voir ce que Gérard Ferreyrolles écrit sur l’imagination rationnelle dans Les reines du monde. L’imagination et la coutume chez Pascal, p. 187 sq.

Il suffit du reste de lire les Lettres de A. Dettonville, pour savoir à quel point la patience et l’imagination du lecteur est sollicitée. Les traités de Pascal sur les coniques étaient aussi illustrés par des figures dont le P. Mersenne a remarqué la complexité.

Noter que Pascal trouve le géomètre qui n’est que géomètre insupportable, mais qu’il n’adresse pas le même reproche au fin qui n’est que fin.