Fragment Misère n° 17 / 24 – Papier original :  RO 67-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Misère n° 97 p. 19 v° et 21 / C2 : p. 39

Éditions savantes : Faugère I, 224, CLII / Havet XXV.16 / Michaut 188 / Brunschvicg 205 / Tourneur p. 186-3 / Le Guern 64 / Maeda III p. 120 / Lafuma 68 / Sellier 102

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Bibliographie

 

BODART Roger, “Les espaces infinis (de saint Augustin à Pascal)”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p.131-135.

BORGES Jorge-Luis, “Pascal”, Enquêtes 1937-1952, p. 128-129.

CHÂTELLIER Louis, Les espaces infinis et le silence de Dieu. Science et religion, XVIe-XIXe siècle, Paris, Aubier-Flammarion, 2003.

JOVY Ernest, “A propos d’une pensée de Pascal : Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie”, Études pascaliennes, Recueil de notes sur les Pensées, avec un avertissement de J. R. Armogathe, Vrin, Paris, 1981, p. 7-57.

JULLIEN Vincent, Philosophie naturelle et géométrie au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2006.

KOYRÉ Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, Gallimard, Paris, 1962.

MAGNIONT Gilles, Traces de la voix pascalienne. Examen des marques de l’énonciation dans les Pensées, Lyon, P. U. L., 2003.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 97 sq.

PAVLOVITS Tamás, Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 146 sq.

SEIDENGART Jean, Dieu, l’univers et la sphère infinie. Penser l’infinité cosmique à l’aube de la science classique, Paris, Albin Michel, 2006.

 

Éclaircissements

 

On peut poser la question de savoir qui parle à la première personne dans ce fragment. Sur le je de condition humaine, équivalent à un nous, voir Magniont Gilles, Traces de la voix pascalienne. Examen des marques de l’énonciation dans les Pensées, Lyon, P. U. L., 2003, p. 38 sq. L’emploi du je est censé permettre l’assimilation d’une expérience par le lecteur.

Une note de l’édition Brunschvicg, GEF XIII, p. 127, présente le fragment Transition 7 (Laf. 201, Sel. 233), Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie, comme le « cri pénétrant [...] d’un savant et d’un chrétien ». L’édition P. Sellier et G. Ferreyrolles, Classiques Garnier, 2010, p. 270, sur le fragment Laf. 201, Sel. 233, fait remarquer que saint Augustin, Sur le Psaume 145, n. 12, tient à peu près le même langage : « Tu lèves les yeux vers le ciel et tu es frappé d’effroi []. Tu considères l’ensemble de la terre, et tu frissonnes ».

Mais le fragment Misère 17 semble annoncer le discours que Pascal prête à l’incrédule dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) : Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’à un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour. Tout ce que je connais est que je dois bientôt mourir ; mais ce que j’ignore le plus est cette mort même que je ne saurais éviter.

C’est dans ce sens que Lafuma interprète ce passage et ceux qui lui ressemblent : « réflexion que Pascal met dans la bouche de l’incroyant » (Pensées, II, Notes, éd. du Luxembourg, p. 41).

En admettant qu’on attribue ce discours à l’incroyant, comme le contexte ne permet pas d’en douter, on est conduit à lui attribuer aussi le discours tenu dans ce fragment, ainsi que la proposition du fragment Transition 7, Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

Cependant, les deux questions finales du fragment suggèrent que ce discours est orienté par une recherche sur l’auteur de la conduite du monde au sein duquel l’homme se sent perdu. Il ne s’agit pas d’un athée, ni même d’un pyrrhonien. D’une certaine manière, les mêmes questions peuvent se poser au chrétien, lorsqu’il considère sa condition au sein de l’univers.

C’est pourquoi on retrouvera ces thèmes dans le fragment Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), “Disproportion de l’homme”, qui opère le passage à une perspective surnaturelle. Il ne s’agit donc pas d’un discours assignable à une position fixe, comme celle de l’athée ou du libertin, mais d’un discours qui ouvre sur une évolution.

 

Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante,

 

Hurter, Theologiae dogmaticae compendium, t. II, p. 47. Différents sens du mot. Éternité peut signifier : 1. Une durée comportant un commencement et une fin, mais très longue ; 2. Une durée comportant un début et une succession, mais pas de fin ; 3. Une durée successive, mais sans début ni fin ; 4. Une durée sans début ni fin ni succession, ce qui est proprement l’éternité de Dieu. Dans le fragment présent c’est le troisième sens qui est en cause.

Éternité : voir Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 552 sq. Le livre XI des Confessions de saint Augustin porte sur l’impossibilité de fixer le présent. Voir la note sur La conception du temps chez saint Augustin dans Confessions, Œuvres de saint Augustin, t. 14, Paris, Desclée de Brouwer, 1962, p. 581-591.

L’esprit géométrique, I, § 39, OC III, p. 411. « Ceux qui ne seront pas satisfaits de ces raisons, et qui demeureront dans la créance que l’espace n’est pas divisible à l’infini, ne peuvent rien prétendre aux démonstrations géométriques ; et, quoi qu’ils puissent être éclairés en d’autres choses, ils le seront fort peu en celles-ci : car on peut aisément être très habile homme et mauvais géomètre.

Mais ceux qui verront clairement ces vérités pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts, et apprendre par cette considération merveilleuse à se connaître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d’étendue, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s’estimer son juste prix, et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie. »

 

memoria hospitis unius diei praetereuntis,

 

Sagesse, V, 15 : la Bible de Port-Royal traduit : « Parce que l’espérance des méchants est comme ces petites pailles que le vent emporte ; ou comme l’écume légère qui est dispersée par la tempête ; ou comme la fumée que le vent dissipe ; ou comme le souvenir d’un homme qui passe et qui n’est qu’un jour en un même lieu » (tr. Sacy). Il faudrait « le souvenir d’un hôte d’un jour qui passe ». La Bible de Louvain donne « le souvenir d’un homme logé pour un jour qui passe outre ». Le verset suivant complète l’idée : « Mais les justes vivront éternellement ; le Seigneur leur réserve la récompense, et le Très-Haut a soin d’eux » (tr. Sacy). Pascal supprime l’idée qu’il est question des méchants. Le commentaire de Sacy, en revanche, insiste sur ce point : « Qui pourrait croire que ces grandes actions que les méchants font souvent dans le monde avec tant de bruit et tant d’éclat, ne sont que comme ces petites pailles, ou comme l’écume, ou comme la fumée que le vent emporte ? Qui oserait dire que cette gloire imaginaire qu’ils se proposent après leur mort, et qu’ils considèrent comme le prix de tant de travaux, soit comme le souvenir d’un hôte qui passe, et qui n’est qu’un jour dans un même lieu ? Il n’y a que la foi qui nous puisse persuader de vérités si contraires à nos sens et à notre esprit, et il n’y a que l’Esprit de Dieu qui nous en puisse donner par avance le goût et le sentiment ». L’usage que Pascal fait de ce passage de la Sagesse est en fait séparé de toute signification religieuse.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce que c’est que le monde, ni que moi‑même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle‑même, et ne se connaît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l’univers qui m’enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans que je sache pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu’en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m’est donné à vivre m’est assigné à ce point plutôt qu’en un autre de toute l’éternité qui m’a précédé et de toute celle qui me suit.

Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m’enferment comme un atome et comme une ombre qui ne dure qu’un instant sans retour.

 

le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent,

 

Le petit espace que je remplis rappelle le cachot de Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230) : Que l’homme étant revenu à soi considère ce qu’il est au prix de ce qui est, qu’il se regarde comme égaré. Et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, les maisons et soi‑même, son juste prix. Voir aussi Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), qui oppose les vastes étendues cosmiques et le coin où l’homme se trouve confiné.

L’idée sous-jacente à ces expressions est l’uniformité et l’isotopie de l’espace, qui est l’une des conséquences de la révolution cosmologique. Dans l’univers aristotélicien, les espaces cosmiques sont finis et clos, et l’homme est situé au centre du monde. La terre est un lieu d’une nature spécifique, soumis au changement et à la corruption, mais propre à l’homme. Les espaces qui contiennent les étoiles fixes sont d’une autre nature, que le changement n’atteint pas. La découverte de l’infinité du monde conduit à l’idée que l’espace cosmique est d’une nature uniforme, parfaitement géométrique, et tel que les différents points de l’univers ne diffèrent en rien les uns des autres, sinon par leur situation.

Cet aspect de la révolution scientifique du XVIIe siècle a été résumé par Koyré Alexandre, “Galilée et la révolution scientifique du XVIIe siècle”, in Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, 1973, p. 197.

« Le fait que la physique moderne a son prologue et son épilogue dans les cieux, ou, plus simplement, le fait que la physique moderne prend sa source dans l’étude des problèmes astronomiques et maintient ce lien à travers toute son histoire, a un sens profond et implique d’importantes conséquences. Il implique notamment l’abandon de la conception classique et médiévale du cosmos - unité fermée d’un Tout, Tout qualitativement déterminé et hiérarchiquement ordonné, dans lequel les parties différentes qui le composent, à savoir le Ciel et la Terre, sont sujettes à des lois différentes – et son remplacement par celle de l’Univers, c’est-à-dire d’un ensemble ouvert et indéfiniment étendu de l’Être, uni par l’identité des lois fondamentales qui le gouvernent ; il détermine la fusion de la physique céleste avec la physique terrestre, qui permet à cette dernière d’utiliser et d’appliquer à ses problèmes les méthodes des mathématiques hypothético-déductives développées par la première ; il implique l’impossibilité d’établir une physique terrestre ou, du moins, une mécanique terrestre, sans développer en même temps une mécanique céleste. »

L’univers est considéré comme composé d’un espace entièrement géométrique, uniforme et isotope, c’est-à-dire identique à lui-même dans toutes ses directions et en toutes ses places.

Il en résulte que l’homme ne saurait y trouver une place qui lui soit propre, comme c’était le cas dans l’ancien monde : chaque point de l’espace étant strictement semblable à tous les autres, il n’y a aucune raison pour que je me trouve ici plutôt qu’en n’importe quel autre endroit. Quel que soit le point où il se trouve, l’homme est toujours pris dans l’abîme des infinités qui l’engloutissent, et qu’il ne peut évidemment connaître ni comprendre, puisqu’il n’a aucune proportion avec elles. Ce qui est dit ici de l’espace vaut aussi pour le temps, dans lequel l’éternité rend tous les instants équivalents par leur égal éloignement d’un commencement et d’une fin rejetés à l’infini, de sorte qu’il n’y a pas de raison essentielle pour que je vive à tel moment plutôt qu’à tel autre.

L’espace et le temps sont donc indifférents par leur uniformité et leur infinité à l’homme qui n’en remplit qu’une portion insignifiante. C’est en ce sens que Pascal peut dire que non seulement l’homme ignore les espaces infinis qui dépassent ses sens et son esprit, mais que les espaces infinis l’ignorent, au sens où ils sont strictement indifférents à la sa présence ou à son absence.

Ce fragment prolonge et amplifie donc le fragment Vanité 29 (Laf. 42, Sel. 76), Combien de royaumes nous ignorent ! Dans Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231), l’univers ne sait pas qu’il écrase l’homme.

Il faut cependant noter que ce fragment contient en germe le mouvement contraire qui aura lieu dans la liasse Grandeur, avec l’idée du roseau pensant, Grandeur 9 (Laf. 113, Sel. 145) et Transition 5. C’est le fait même que les espaces infinis m’ignorent qui sera le signe de la supériorité de l’homme, qui, par la pensée, comprend l’espace universel. Mais on est alors dans un autre mouvement d’argumentation.

           

je m’effraie

 

Transition 7 (Laf. 201, Sel. 233). Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

Dans Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), Pascal écrit : Qui se considérera de la sorte s’effraiera de soi-même et se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l’infini et du néant il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que sa curiosité se changeant en admiration il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption.

Car enfin qu’est‑ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes ; la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.

Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 97 sq. Contemplation et effroi chez Pascal.

Pavlovits Tamás, Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 146 sq. Analyse de la notion d’effroi et de ses différentes formes chez Pascal. Pavlovits distingue plusieurs sortes d’effroi dont la significations es différente : p. 146 sq. L’effroi ordinaire, l’effroi éprouvé lors de la contemplation de l’infini, et l’effroi éprouvé lors de la considération de l’être humain lui-même à partir de l’infinité : p. 148 sq.

Jovy Ernest, “À propos d’une pensée de Pascal : Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie”, Études pascaliennes, Recueil de notes sur les Pensées, avec un avertissement de J. R. Armogathe, Vrin, Paris, 1981, p. 7-57.

Note de l’éd. Brunscvicg minor : « cri pénétrant [...] d’un savant et d’un chrétien ». C’est évidemment un contresens. La phrase n’est pas mise au compte « d’un savant et d’un chrétien », mais d’un homme frappé par le silence du monde. C’est le silence, et non l’infinité, qui effraie. Autrement dit, c’est l’incrédule qui parle. C’est en ce sens que l’interprète Lafuma, éd. Luxembourg, Notes, p. 41.

Kepler Johannes, De stella nova Serpentarii, cap. XXI, Opera omnia, II, éd. Frisch, Francfort et Erlangen, Heyder et Zimmer, 1859, p. 688.

« Brunus ita infinitum facit mundum, ut quot sunt stellae fixae, tot mundos, et hanc nostram regionem mobilium unum ex innumerabilibus faciat, nulla fere nota a ceteris circumpositis distinctam ; adeoque si quis in stella Canis eset (puto unus ex Cynocephalis Luciani), ei faciem eandem mundi inde esse apparituram, quae nobis hinc apparet ex nostro mundo fixas suspectantibus. Itaque secundum illos hoc novum sidus novus aliquis mundus fuerit. Quae sola cogitatio nescio quid horroris occulti prae se fert ; dum errare sese quis deprehendit in hoc immenso, cujus termini, cujus medium ideoque et certa loca negantur ».

Traduction : Bruno fait le monde à tel point infini qu’il admet autant de mondes que d’étoiles fixes, et fait de notre région, celle des planètes, un des innombrables autres mondes, à peine différent par quelque caractéristique des autres mondes qui l’entourent ; aussi un observateur placé sur l’étoile du Chien (disons : un des Cynocéphales de Lucien) verrait le monde exactement sous le même aspect qui s’offre à nous lorsque, de notre monde, nous contemplons les étoiles fixes. Ainsi, à les en croire, l’étoile nouvelle était un monde nouveau. Cette pensée porte avec elle ne sais quelle horreur secrète : en effet, on se trouve errant dans cette immensité à laquelle sont déniées toute limite, tout centre, et par là même tout lieu déterminé. Voir Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, Paris, Gallimard, 1962, p. 86.

L’angoisse suscitée par la révolution astronomique a été étudiée par Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, p. 47 sq. Voir sur Kepler et « l’horreur secrète » dont il fait état, p. 86.

Cependant, cette interprétation de la révolution astronomique a été récemment remise en question par Jullien Vincent, Philosophie naturelle et géométrie au XVIIe siècle, Paris, Champion, 2006, p. 153 sq., qui montre, textes à l’appui, que le passage de l’héliocentrisme au géocentrisme ne correspond pas à un passage de l’ordre au désordre, de la sérénité à l’inquiétude, voire à l’angoisse.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), “Disproportion de l’homme”, tire une conclusion plus profonde : ce n’est pas du monde que naît l’effroi, mais de l’homme lui-même. D’autre part, cet effroi doit déboucher sur le sentiment de la disproportion, qui doit engendrer non pas la terreur, mais l’admiration. Le présent fragment s’arrête donc à l’étape qui précède “Disproportion de l’homme”.

 

et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors.

 

Voir ci-dessus sur l’équivalence de toutes les situations dans l’espace et le temps universel. On trouve une autre forme de la même idée, savoir que tous les lieux sont équivalents et qu’il n’y a pas de raison de se fixer sur l’un plus que sur l’autre, dans Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), mais avec une transposition dans l’ordre des esprits : Cela étant bien compris je crois qu’on se tiendra en repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un autre ait un peu plus d’intelligence des choses s’il en a, et s’il les prend un peu de plus haut, n’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout et la durée de notre vie n’est-elle pas également infirme de l’éternité pour durer dix ans davantage. Dans la vue de ces infinis tous les finis sont égaux et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

L’inutilité de ces interrogations est aussi expliquée dans cet extrait.

Mais alors que dans Transition 4 Pascal tire de cette idée la conclusion que l’on doit demeurer en repos, il se cantonne ici à proposer son aspect le plus angoissant.

 

Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi ?

 

Voir le dossier sur le moi, et Laf. 688, Sel. 567.