Fragment Raisons des effets n° 15 / 21 – Papier original :  RO 232-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 127 p. 35 v° / C2 : p. 53

Éditions savantes : Faugère I, 220, CXXXIV / Brunschvicg 329 / Tourneur p. 190-3 / Le Guern 89 / Lafuma 96 / Sellier 130

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Bibliographie

 

 

MEURILLON Christian, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 47-54.

MOLINO Jean, "La raison des effets", Méthodes chez Pascal, Presses Universitaires de France, Paris, 1979, p. 477-496.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal, (1670-1678), Paris, Champion, 2009, p. 422 sq.

 

 

Éclaircissements

 

Raison des effets.

La faiblesse de l’homme est la cause de tant de beautés qu’on établit, comme de savoir bien jouer du luth n’est un mal qu’à cause de notre faiblesse.

 

Faiblesse

 

La notion de faiblesse n’a fait que récemment son apparition parmi les concepts pascaliens qui ont intéressé les commentateurs ; c’est cependant une idée importante dans les Pensées.

Voir par exemple Montaigne, Essais, I, 54, Des vaines subtilités, ne s’impose pas comme source du fragment de Pascal : « c’est un témoignage merveilleux de la faiblesse de notre jugement, qu’il recommande des choses par la rareté ou nouvelleté, ou encore par la difficulté, si la bonté et utilité n’y sont jointes ». Voir aussi Charron, De la sagesse, Livre I, ch. XXXIX : « Mais après tout, qui découvre mieux la faiblesse humaine que la religion ? Aussi est-ce son intention de bien faire sentir à l’homme son mal, sa faiblesse, son rien, et par là, le faire recourir à Dieu, son bien, sa force, son tout. Premièrement elle la lui prêche, inculque, reproche, l’appelant poudre, centre, terre, chair, sang, foin. Puis elle la lui insinue et fait sentir d’une très belle et noble façon, introduisant Dieu humilié, affaibli, abaissé pour l’amour de lui, parlant, promettant, jurant, courrouçant, menaçant ; bref, traitant et agissant avec l’homme d’une manière basse, faible, humaine, ainsi qu’un père qui bégaie et fait le petit avec ses petits : étant telle, si grande et invincible la faiblesse humaine, que pour lui donner quelque accès et commerce avec la divinité, et l’approcher de Dieu, il a fallu que Dieu se soit abaissé au plus bas. » La faiblesse de l’homme est un thème sceptique. Huet a composé un Traité philosophique de la faiblesse de l’esprit humain, Londres, J. Nourse, 1741.

Meurillon Christian, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 47-54. Faiblesse, dans le lexique pascalien, ne s’oppose pas visiblement à force ; force de l’homme n’appartient pas à la phraséologie des Pensées. La faiblesse caractérise l’homme par sa condition de créature ; il n’est qu’un point englouti dans la nature : p. 48.

Selon Pascal, la faiblesse est l’un des traits les plus évidents de la nature humaine, à tel point qu’il paraît surprenant que l’on puisse l’ignorer ; voir Vanité 21 (Laf. 33, Sel. 67) : Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu’il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et par une plaisante humilité on croit que c’est sa faute et non pas celle de l’art qu’on se vante toujours d’avoir. Mais il est bon qu’il y ait tant de ces gens‑là au monde qui ne soient pas pyrrhoniens pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l’homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu’il est capable de croire qu’il n’est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable, et de croire, qu’il est au contraire dans la sagesse naturelle.

La faiblesse n’est pas entièrement la conséquence du péché originel. La faiblesse est l’une des composantes de la « disproportion de l’homme », c’est-à-dire du caractère insignifiant de l’homme dans l’univers qui l’entoure. Quand bien même il ne serait pas corrompu, l’homme n’en serait pas moins aussi faible qu’un roseau face à l’univers.

 

Cependant, comme le remarque Marie Pérouse dans son essai de définition de l’idée de faiblesse, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal, (1670-1678), Paris, Champion, 2009, p. 422 sq., le mot apparaît dans des séries de fragments qui font de la faiblesse un des éléments de la corruption. Il se trouve dans des fragments qui sont des prières : voir Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759) : Et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur qui les a mis en moi et qui d’un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de la grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur.

La faiblesse de l’homme est l’un des caractères qui paraissent par sa condition mortelle et vulnérable, qui est consécutive au péché originel. Elle affecte non pas seulement le corps, mais aussi l’activité intellectuelle : voir sur ce point Meurillon Christian, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”, p. 49. Sur le rapport entre faiblesse humaine et puissances trompeuses, voir Pérouse Marie, Ibid., p. 427 sq.

Faiblesse apparaît aussi dans les Pensées dans le contexte politique : voir Meurillon Christian, Ibid.,p. 50, sur Laf. 828, Sel. 668.

Mais la faiblesse de l’homme est liée à sa grandeur par le biais de l’image du roseau pensant : voir Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231). L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. C’est dans sa faiblesse même que, selon Pascal, l’homme montre sa grandeur.

 

Bien jouer du luth

 Luths dans L’harmonie universelle

 

L’Harmonie universelle contient un traité consacré au luth et aux instruments qui lui ressemblent. Il souligne que le luth est considéré au XVIIe siècle comme un instrument fort compliqué, qui exige une grande virtuosité, et dont l’usage surpasse souvent la théorie. Voir Mersenne Marin, Harmonie universelle, Des instruments, Livre second des instruments à cordes, Proposition IX, p. 76.

« L’art où la science et l’industrie de la main est si grande que plusieurs l’ont appelée l’un des principaux instruments de la sagesse et de la raison, dont elle envoie les pensées et les résolutions par tout le monde par le moyen de l’écriture, et dont elle explique les conceptions aussi bien que la langue, comme l’on expérimente aux sourds et aux muets, qui écrivent dans l’air avec le seul mouvement des mains et des doigts, dont ils peuvent faire de grands discours, et des harangues entières aussi vite ou plus qu’avec la langue.

Mais sans m’arrêter à tous les chefs d’œuvre qu’elle fait, il suffit ici de considérer ses mouvements sur le luth, et sur tous les autres instruments, car ils sont si merveilleux que la raison est souvent contrainte d’avouer qu’elle n’est pas capable d’en comprendre la légèreté et la vitesse, qui surpasse la promptitude de l’imagination la plus vive que l’on puisse rencontrer, comme l’on expérimente lorsqu’on veut nombrer les sons qu’elle fait, ou les chordes qu’elle touche, ou ses tremblements dans le temps d’une mesure. Mais puisque la pratique n’en peut être mieux entendue, ni expliquée que par ceux qui enseignent à toucher le luth, je veux donner ici le traité que Monsieur Basset en a fait à ma requête… »

Meurillon Christian, Ibid., p. 47-54. Voir p. 51 : qu’est-ce qui est un mal : savoir bien jouer du luth ou ne savoir point jouer du luth ?

 

Abraham Bosse montre comment jouer du luth est un bien dans la société.

 

 Abraham Bosse

 

Meurillon Christian, Ibid.,p. 50 sq., remarque que Montaigne, Essais, I, 54, Des vaines subtilités, ne s’impose pas comme source du fragment de Pascal. Voir Croquette Bernard, Pascal et Montaigne, p. 96. Montaigne ne fournit que le mot faiblesse appliqué au jugement : « c’est un témoignage merveilleux de la faiblesse de notre jugement, qu’il recommande des choses par la rareté ou nouvelleté, ou encore par la difficulté, si la bonté et utilité n’y sont jointes ». Le luth peut cependant être pris comme un exemple de ce que la difficulté recommande à défaut de l’utilité.

La difficulté du fragment tient principalement à ce que le texte primitif, ne point jouer du luth, paraît incompatible avec le texte définitif, savoir bien jouer du luth. Le problème est compliqué par le fait que les Copies fournissent un amalgame des deux états ; le texte est le même dans les deux Copies. Les éditions qui les ont conservés tentent de résoudre la difficulté par des notes embarrassées.

Il faut d’abord écarter la tentation d’interpréter le fragment comme un jugement esthétique. Nulle part Pascal ne dit que bien jouer du luth soit une fausse beauté. Le fait que cette beauté soit établie, c’est-à-dire acceptée de tout le monde dans la société, ne signifie pas que c’est une beauté fausse comme celles que raille le fragment “Beauté poétique”. Il dit seulement que c’est une beauté admise, jugement de fait qui n’est en rien équivalent à un jugement de valeur. La fausse beauté dénoncée dans “Beauté poétique” est stigmatisée en raison de la disproportion sémantique qu’elle enferme. Il n’y a rien de tel ici.

Pascal veut-il dire que bien jouer du luth est un mal parce que c’est une beauté artificielle ? Rien dans le texte ne le suggère. On peut tirer le texte dans ce sens en invoquant la préface de Nicole à l’Epigrammatum delectus, qui soutient que seul le vrai est beau ; mais rien dans le fragment n’indique la nécessité de cette référence.

L’opinion commune est qu’en soi, jouer du luth est plutôt un bien, parce que c’est une habileté mise au service d’une beauté. Dans cette perspective, ne pas jouer du luth est un mal, puisque c’est manquer de cette habileté à laquelle la société est favorable. Cela est vrai en un sens, si l’on se place dans la mentalité ordinaire de la société.

Mais dire que c’est un mal de ne pas savoir jouer du luth trahit une faiblesse : car surévaluer le don de bien jouer d’un instrument de musique témoigne d’une vanité évidente. Un demi-habile blâmerait la société pour sa légèreté et son peu de conscience de ce qui est véritablement important dans la vie. La remarque est juste, mais banale et platement moralisante. Cela pourrait être du Nicole.

À ce stade, le fragment n’est en rien attaché à la raison des effets : on ne dépasse pas l’ordre des effets.

Dans le deuxième temps de la rédaction, Pascal revient sur cette idée. Les corrections aboutissent à une expression nouvelle, différente de la première, voire contraire, mais qui accède à la raison des effets.

Jouer du luth est un divertissement, qu’on le pratique adroitement ou non. Pascal met l’activité qui consiste à jouer du luth en parallèle avec d’autres jeux, mais aussi avec certaines occupations sérieuses dans le fragment Laf. 620, Sel. 513 : L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin. Or à quoi pense le monde ? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague etc. et à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi et qu’être homme. Tout divertissement a pour racine la faiblesse de l’homme, puisqu’au fond il vient de la conscience confuse de son caractère fragile et mortel. C’est donc la faiblesse de l’homme qui fait un divertissement de la pratique du luth. Le divertissement en général est un mal parce qu’il dissimule à l’homme se véritable condition. Donc bien savoir jouer du luth est un mal qui provient de la faiblesse de l’homme.

Il n’y a aucune raison de conserver la partie barrée, comme c’est le cas dans l’édition Sellier. La copie ne conserve deux formulations contraires que parce le copiste a hésité sur celle qu’il fallait conserver, et nullement parce que le manuscrit le lui imposait. En l’occurrence, la leçon du manuscrit prime sur les Copies.

Il y a un autre point de vue auquel on peut se placer pour dire que jouer du luth est l’expression de la faiblesse de l’homme, en rapprochant ce fragment de Laf. 585, Sel. 486 : Il y a un certain modèle d’agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte telle qu’elle est et la chose qui nous plaît. Voir Lafond Jean, “Un débat d’esthétique à l’époque classique : la théorie du beau dans l’Epigrammatum delectus de Port-Royal et la critique par le Père Vavasseur”, Acta conventus neo-latini turonensis, Paris, 1980, p. 1269-1277 ; voir p. 1271. Les augustiniens voient dans la nature humaine un mixte de force et de faiblesse : la poésie ne peut donc être agréable que si elle diversifie les tons, car sa faiblesse rend l’homme incapable d’une tension continue. On rejoint par là l’une des remarques de Mersenne en faveur de la musique. C’est une autre manière d’expliquer l’établissement de certaines beautés par la faiblesse de l’homme. Mais il semble que le texte de Pascal, qui ne fait pas état de ce goût de la variété issu de notre faiblesse, ne s’oriente pas dans ce sens.

Le rapprochement avec d’autres fragments permet de proposer une interprétation plus pertinente, relative à la raison des effets.

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Je voudrais de bon cœur voir le livre italien dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, dell'opinone regina del mondo. J'y souscris sans le connaître, sauf le mal s'il y en a.

Raisons des effets 7 (Laf. 88, Sel. 122). C’est l’effet de la force, non de la coutume, car ceux qui sont capables d’inventer sont rares. Les plus forts en nombre ne veulent que suivre et refusent la gloire à ces inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s’ils s’obstinent à la vouloir obtenir et à mépriser ceux qui n’inventent pas, les autres leur donneront des noms ridicules, leur donneraient des coups de bâton. Qu’on ne se pique donc pas de cette subtilité ou qu’on se contente en soimême.

Laf. 554, Sel. 463. La force est la reine du monde et non pas l'opinion, mais l'opinion est celle qui use de la force. C'est la force qui fait l'opinion. La mollesse est belle selon notre opinion. Pourquoi? parce que qui voudra danser sur la corde sera seul, et je ferai une cabale plus forte de gens qui diront que cela n'est pas beau.

Réagissant à l’idée contenue dans le titre Dell’opinione regina del mondo (Vanité 31, Laf. 44, Sel. 78), Pascal remarque dans Raisons des effets 7 (Laf. 88, Sel. 122) qu’au contraire c’est la force, c’est-à-dire la pluralité qui impose les opinions. Qu’il s’agisse de l’art de la danse acrobatique, de la virtuosité musicale ou de la recherche scientifique, la faiblesse des hommes les rend incapables d’atteindre à ces pratiques difficiles. Ils ont donc tout intérêt à les dénigrer : ils s’unissent donc en une cabale dont la force vise à déprécier ces activités dont seuls sont capables quelques individus isolés.

Par conséquent c’est bien la faiblesse et l’incapacité des hommes, mais aussi leur force lorsqu’ils s’unissent contre les inventeurs, autrement dit la majorité, qui fait l’opinion.

Sur ces observations Pascal fonde la raison de certains phénomènes sociaux, comme l’hostilité de la masse à ce qui témoigne d’un talent exceptionnel ou du génie de l’invention.

 

Pour approfondir…

 

Le problème de la valeur de la musique, et du goût et du dégoût que l’on peut en avoir est abordé par le P. Mersenne dans les Questions harmoniques (1634), Question I, À savoir si la musique est agréable, si les hommes savants y doivent prendre plaisir ; et quel jugement l’on doit faire de ceux qui ne s’y plaisent pas, et qui la méprisent, ou qui la haïssent, éd. A. Pessel, Paris, Fayard, 1985, p. 113 sq. Mersenne remarque que « plusieurs se persuadent qu’il n’est pas possible que l’on doute si la musique est agréable, puisqu’elle n’a nulle autre fin que la récréation des auditeurs, et que ce contentement est aussi propre à l’homme que la raison ; de là vient qu’ils jugent que ceux qui ne se plaisent pas à la musique sont brutaux, et indignes de la société des hommes. Il y en a même qui disent que c’est un signe de réprobation de n’aimer pas le plaisir innocent de l’harmonie, et que ceux qui la haïssent témoignent qu’ils n’aiment pas Dieu, et qu’ils sont destinés à la damnation ». Mais il ajoute qu’il faut examiner si les ennemis de la musique n’ont pas de bonnes raisons : en effet, « de quelque côté que l’on considère l’harmonie, elle n’a ce semble rien qui mérite l’attention d’un honnête homme », car la musique « ne sert point à d’autres usages qu’à faire passer et perdre le temps, ce que ceux qui aiment les sons appellent un honnête divertissement et une récréation innocente ». « De là vient que ceux qui ont l’esprit et le jugement solide ne peuvent entendre parler des joueurs de luth, de violon ou des autres instruments qu’ils ne s’en rient, comme des jongleurs et des ménétriers, qui n’ont l’esprit et les mains propres qu’à servir de plaisantins, et à faire passer le temps à ceux qui sont indignes d’avoir du temps, puisqu’ils l’emploient si mal et si inutilement. En effet l’on voit peu d’honnêtes gens qui s’emploient à ce métier, qui est si infâme et si décrié que ceux qui savent la musique n’osent le confesser dans la compagnie des hommes savants, sans rougir de honte, ou sans passer pour des hommes de peu de jugement » : p. 115.

Mersenne est conscient du fait que le goût pour la musique est fréquemment une affaire d’établissement et de convention ; il indique ensuite que si l’on peut entendre du plain-chant des heures sans s’ennuyer, « sitôt que l’on a ouï un concert l’espace d’une demi heure, l’on s’en rebute, et si l’on y demeure, c’est le plus souvent pour se rendre complaisant et de bonne compagnie, et non pour le contentement que l’on en reçoit » : p. 116.

Le caractère de divertissement inhérent à la musique est indiqué plus bas : « L’on expérimente que l’attention que l’on prête à la musique détourne l’esprit des bonnes pensées que l’on a des choses divines, ou des difficultés qui appartiennent aux sciences, dont ce plaisir est ennemi, puisqu’il en empêche l’exercice, et conséquemment qu’il peut aussi bien être appelé petite épilepsie, comme le plaisir brutal qui fait perdre l’usage de la raison ». La suite détaille les mauvais effets et la musique, qui non seulement abat l’esprit martial, mais prédispose au « mauvais amour » et « à plusieurs inclinations vicieuses » : p. 121. Dans un second temps, Mersenne prend la défense de la musique, en insinuant que ceux qui ne l’aiment pas « n’ont pas ouï de bonne musique, et qu’ils se sont seulement rencontrés en des lieux où les voix sont rudes et mauvaises, comme il arrive quasi dans toutes les églises cathédrales » : p. 123. Répondant aux arguments précédents, il remarque que « le divertissement que l’on prend aux cartes, aux dés et autres jeux » font perdre beaucoup plus de temps, et dérèglent « entièrement l’esprit, au lieu que les accords le règlent, et de rude et farouche qu’il est, le polissent et le rendent plus doux et plus traitable » : p. 126. « Cette distraction d’esprit est commune aux autres plaisirs, qui ne sont faits que pour distraire l’esprit de ses occupations plus sérieuses, de peur qu’une trop longue et trop forte attention ne lui nuise, c’est pourquoi la récréation est d’autant plus louable et meilleure qu’elle divertit davantage l’esprit, afin qu’il prenne de nouvelles forces pour recommencer ses spéculations, et son exercice ordinaire » : p. 129. Ces arguments seront repris et soutenus dans L’harmonie universelle, qui consacre un livre à l’utilité de l’harmonie. Dans la Question 2, Mersenne insère le Discours sceptique de la musique de La Mothe le Vayer : p. 141 sq.