Prophéties IV   – Papier original : huit feuillets probablement découpés en 14 papiers post mortem

RO 339-2, RO 301-1, 301-2, 301-3, 303-1, 303-2, 305-1, 305-2, 305-3, 305-4, 307-1, 307-2, 307-3, RO 309-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 70 p. 279 à 283  / C2 : p. 499 à 503 v°

Éditions savantes : Faugère II, 291, XXVI / Havet XXV.168 / Michaut 585 / Brunschvicg 682 / Tourneur p. 335 / Le Guern 451 / Lafuma 486 (série XV) / Sellier 721 à 733

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Éclaircissements

 

 

Bibliographie et généralités

Isaïe, I, 21 à LXIII, 17

Jérémie, II, 35 à XXIII, 17

 

 

 

Jér., 2, 35.

Et dixisti : Absque peccato et innocens ego sum. Et propterea avertatur furor tuus a me.

Ecce ego judicio contendam tecum, eo quod dixeris : Non peccavi.

 

Jérémie, II, 35. « Et dixisti : Absque peccato et innocens ego sum et propterea avertatur furor tuus a me ecce ego iudicio contendam tecum eo quod dixeris : Non peccavi ». Traduction de Port-Royal : « Et cependant vous avez dit : Je suis sans péché, je suis innocent ; que votre fureur s’éloigne de moi. Je m’en vais donc entrer en jugement avec vous, puisque vous dites : Je n’ai point péché. »

 

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Jér., 4, 22.

Sapientes sunt ut faciant mala, bene autem facere nescierunt.

 

Jérémie, IV, 22. « Quia stultus populus meus me non cognovit : filii insipientes sunt, et vecordes sapientes sunt ut faciant mala, bene autem facere nescierunt ». Traduction de Port-Royal : « Tous ces maux sont venus parce que mon peuple est insensé, et qu’il ne m’a point connu. Ce sont des enfants qui n’ont point de sens ni de raison ; ils sont sages pour faire le mal, et ils n’ont point d’intelligence pour faire le bien. »

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Il y a donc une sagesse qui est une vraie folie, puisque ces peuples, dont Dieu dit qu’ils étaient sages pour faire le mal, sont nommés en même temps des insensés, et des enfants sans raison. Telle est la prudence des hommes du siècle, qui se regardent comme de grands politiques, consommés dans la sagesse, et que néanmoins la lumière de l’esprit de Dieu condamne d’une très grande folie, parce qu’ils n’ont que cette sagesse qui tend à faire du mal aux autres, ou à s’en faire à eux-mêmes, et que toute sagesse qui n’est point fondée sur celle de Dieu, est une folie, n’y ayant de vrais sages que ceux qui le sont pour faire le bien, et qui connaissent Dieu d’une connaissance de crainte et d’amour qui les rend soumis à ses volontés ».

 

Jér., 4, 23, etc.

Aspexi terram et ecce vacua erat et nihili, et caelos, et non erat lux in eis.

Vidi montes et ecce movebantur et omnes colles conturbati sunt. Intuitus sum et non erat homo et omne volatile caeli recessit. Aspexi et ecce Carmelus desertus et omnes urbes ejus destructae sunt a facie Domini et a facie irae furoris ejus.

 

Haec enim dicit Dominus : Deserta erit omnis terra sed tamen consummationem non faciam.

 

Jérémie, IV, 23-27. « Aspexi terram, et ecce vacua erat, et nihili : et cœlos, et non erat lux in eis. 24. Vidi montes et ecce movebantur : et omnes colles conturbati sunt. 25. Intuitus sum, et non erat homo : et omne volatile cœli recessit. 26. Aspexi, et ecce carmelus desertus : et omnes urbes ejus destructae sunt a facie Domini, et a facie irae furoris ejus. 27. Haec enim dicit Dominus : Deserta erit omnis terra, sed tamen consummationem non faciam ».

Traduction de Port-Royal : « J’ai regardé la terre, et je n’y ai trouvé qu’un vide et qu’un néant ; j’ai considéré les cieux, et ils étaient sans lumière. 24. J’ai vu les montagnes, et elles tremblaient ; j’ai vu les collines et elles étaient toutes ébranlées. 25. J’ai jeté les yeux de toutes parts, et je n’ai point trouvé d’homme. Et tous les oiseaux mêmes du ciel s’étaient retirés. 26. J’ai vu les campagnes les plus fertiles changées en un désert, et toutes les villes détruites devant la face du Seigneur, et par le souffle de sa colère. 27. Car voici ce que dit le Seigneur : Toute la terre sera déserte ; et néanmoins je ne la perdrai pas entièrement ».

Commentaire de Port-Royal : « Ces paroles de Jérémie, à qui Dieu représentait par avance comme en un tableau l’état funeste et la triste désolation de Jérusalem, sont une description figurée et métaphorique des ravages que le roi de Babylone devait faire dans tous les pays [...]. Mais si ces paroles étant expliquées selon leur sens littéral nous expriment dans la bouche de Jérémie ce que nous avons marqué, étant regardées comme sorties de la bouche de Dieu même, elles sont très propres pour nous donner une idée digne de sa grandeur, et des effets étonnants de sa colère, justement émue contre les péchés des hommes ».

 

Jér., 5, 4.

Ego autem dixi : Forsitan pauperes sunt et stulti ignorantes viam Domini, judicium Dei sui.

Ibo ad optimates et loquar eis. Ipsi enim cognoverunt viam Domini.

Et ecce magis hi simul confregerunt jugum, ruperunt vincula.

Idcirco percussit eos leo de silva, pardus vigilans super civitates eorum.

 

En fait, Jérémie, V, 4-6. « Ego autem dixi : forsitan pauperes sunt et stulti, ignorantes viam Domini, judicium Dei sui. 5. Ibo igitur ad optimates, et loquar eis : ipsi enim cognoverunt viam Domini, judicium Dei sui, et ecce magis hi simul confregerunt jugum, ruperunt vincula. 6. Idcirco percussit eos leo de silva, lupus ad vesperam vastavit eos, pardus vigilans super civitates eorum : omnis qui egressus fuerit ex eis, capietur : quia multiplicatae sunt praevaricationes eorum, confortatae sunt aversiones eorum ».

Traduction de Port-Royal : « Pour moi, je disais : Il n’y a peut-être que les pauvres qui soient sans sagesse, qui ignorent la voie du Seigneur, et les ordonnances de leur Dieu. 5. J’irai donc trouver les princes du peuple, et je leur parlerai. Car ce sont ceux-là qui connaissent la voie du Seigneur et les ordonnances de leur Dieu. Mais j’ai trouvé que ceux-là ont conspiré tous ensemble avec encore plus de hardiesse pour briser le joug du Seigneur, et rompre ses liens. 6. C’est pourquoi le lion de la forêt les dévorera, le loup qui cherche sa proie sur le soir les ravira, le léopard tiendra toujours les yeux ouverts sur leurs villes, et déchirera tous ceux qui en sortiront ; parce que leurs iniquités se sont multipliées, et que leurs désobéissances n’ont point eu de fin ».

Commentaire : « Comme Dieu avait commandé à Jérémie de chercher dans toute la ville de Jérusalem un homme qui agît selon la justice, ce saint prophète après avoir considéré les pauvres, c’est-à-dire le commun du peuple, que l’ignorance où ils étaient de la voie et de la loi du Seigneur, pouvait peut-être leur tenir lieu de quelque excuse de ce qu’ils n’y marchaient pas, et qu’ainsi il irait voir parmi les grands, c’est-à-dire parmi les prêtres et les chefs du peuple, si la connaissance qu’ils avaient de la loi de Dieu les rendaient plus soumis à ses volontés, il se trouva [...] que ceux qui étaient les maîtres des autres étaient pires que leurs disciples, et que plus ils étaient puissants et élevés en autorité, plus ils étaient insolents dans leurs désordres ». Le commentaire du verset 6 présente les différentes identifications proposées pour les bêtes féroces en question, assimilées soit à Nabuchodonosor, soit à Alexandre, soit à Nabuzardan, soit à Antiochus Epiphane.

 

Jér., 5, 29.

Numquid super his non visitabo, dicit Dominus, aut super gentem hujuscemodi non ulciscetur anima mea ?

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Jér., 5, 30.

Stupor et mirabilia facta sunt in terra.

Prophetae prophetabant mendacium et sacerdotes applaudebant manibus, et populus meus dilexit talia. Quid igitur fiet in novissimo ejus ?

 

Jérémie, V, 29-31. « Numquid super his non visitabo, dicit Dominus ? aut super gentem hujuscemodi non ulciscetur anima mea ? 30. Stupor et mirabilia facta sunt in terra. 31. Prophetae prophetabant mendacium, et sacerdotes applaudebant manibus suis : et populus meus dilexit talia : quid igitur fiet in novissimo ejus ? ». Traduction de Port-Royal : « Ne punirai-je point ces excès, dit le Seigneur, et ne me vengerai-je point d’une nation si criminelle ? 30. Il s’est fait sur la terre des choses étranges, et qu’on ne peut écouter qu’avec le dernier étonnement. 31. Les prophètes débitaient des mensonges comme des prophéties ; les prêtres les applaudissaient, et mon peuple y trouvait son plaisir. Quelle sera donc enfin la punition que je lui réserve ? »

Le verset 31 est cité dans le Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, 1983, p. 464, en ces termes : « Les prophètes, dit Jérémie, ont annoncé de fausses doctrines de la part de Dieu : les prêtres y ont donné la main, et mon peuple y a pris plaisir. Quelle punition leur est donc préparée ? »

 

Jér., 6, 16.

Haec dicit Dominus : State super vias, et videte et interrogate de semitis antiquis, quae sit via bona et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris, et dixerunt : Non ambulabimus.

Et constitui super vos speculatores : audite vocem tubae, et dixerunt : Non audiemus.

Audite gentes quanta ego faciam eis. Audi terra, ecce ego adducam mala, etc.

 

Jérémie, VI, 16-19. « Haec dicit Dominus : State super vias, et videte, et interrogate de semitis antiquis, quae sit via bona, et ambulate in ea : et invenietis refrigerium animabus Vestris. Et dixerunt : Non ambulabimus. 17. Et constitui super vos speculatores, et dixi : Audite vocem tubae. Et dixerunt : Non audiemus. 18. Ideo audite gentes, et cognosce congregatio, quanta ego faciam eis. 19. Audi terra : Ecce ego adducam mala super populum istum : fructum cogitationum ejus : quia verba mea non audierunt, et legem meam projecerunt ».

Traduction de Port-Royal : « Voici ce que dit le Seigneur : Tenez-vous sur les voies, considérez et demandez quels sont les anciens sentiers pour connaître la bonne voie ; et marchez-y, et vous trouverez la paix et le rafraîchissement de vos âmes. Mais ils m’ont répondu : Nous n’y marcherons point. 17. J’ai établi des sentinelles sur vous, et je vous ai dit : Écoutez le bruit de la trompette : Et ils ont répondu : Nous ne l’écouterons point. 18. C’est pourquoi écoutez nations, écoutez peuples assemblés, avec quelle rigueur je les veux punir. 19. Terre, écoutez-moi : Je m’en vais faire fondre toutes sortes de maux sur ce peuple, qui seront le fruit de leurs pensées criminelles, parce qu’ils n’ont point écouté ma parole, et qu’ils ont rejeté ma loi. »

Commentaire de Port-Royal : « Les faux prophètes et les pasteurs complaisants promettaient la paix au peuple de Dieu au milieu de leurs désordres. Mais le Seigneur parlant à ce peuple par la bouche de Jérémie, lui fait connaître comment ils pourraient trouver la paix véritable et le rafraîchissement, c’est-à-dire la tranquillité et le repos de leurs âmes. Prenez garde, leur dit-il, à demeurer fermes dans les voies que les prophètes mes fidèles serviteurs vous ont enseignées ». Les prophètes sont présentés comme les « sentinelles » que le peuple doit écouter.

 

Fiance aux sacrements extérieurs.

 

Fiance : vieux mot qui signifiait autrefois assurance qu’on avait de la fidélité de quelqu’un.

 

Jér., 7, 14.

Faciam domui huic in qua invocatum est nomen meum et in qua vos habetis fiduciam et loco quem dedi vobis et patribus vestris sicut feci Silo.

 

Jérémie, VII, 14. « Faciam domui huic, in qua invocatum est nomen meum, et in qua vos habetis fiduciam ; et loco, quem dedi vobis et patribus Vestris, sicut feci Silo ». Traduction de Port-Royal : « Je traiterai cette maison où mon nom a été invoqué, en laquelle vous mettez toute votre confiance, et ce lieu que je vous ai donné après l’avoir donné à vos pères, comme j’ai traité Silo ». Silo se trouve à quelque 40 kilomètres de Jérusalem, en Samarie. Le sanctuaire de Silo, résidence de l’Arche, a été détruit par les Philistins (Bible de Jérusalem). Ceux-ci ont emporté l’arche, qui fut rapidement rendue aux Juifs.

 

Tu ergo noli orare pro populo hoc.

 

Jérémie, VII, 16. « Tu ergo noli orare pro populo hoc, nec assumas pro eis laudem et orationem, et non obsistas mihi : quia non exaudiam te ». Traduction de Port-Royal : « Vous donc Jérémie n’entreprenez point d’intercéder pour ce peuple, ni de me conjurer et de me prier pour eux, et ne vous opposez point à moi, parce que je ne vous exaucerai point ». Commentaire de Port-Royal : « Dieu est disposé à faire miséricorde aux vrais pénitents. Mais sondant le cœur de son peuple, il le trouvait endurci dans ses désordres, et il savait que ce cœur rebelle à ses lois demeurerait inflexible. Ainsi voulant épargner à son prophète la douleur de n’être point exaucé dans ses prières, il lui défend de le prier ».

 

L’essentiel n’est pas le sacrifice extérieur.

 

L’idée que Dieu ne demande pas des sacrifices charnels, mais la purification spirituelle du cœur est formulée dans plusieurs fragments des Pensées.

Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures.

Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.

La lettre tue.

Tout arrivait en figures.

Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple : les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.

Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

 

Jér., 7, 22.

Quia non sum locutus cum patribus vestris et non praecepi eis, in die qua eduxi eos de terra Egypti, de verbo holocautomatum et victimarum.

Sed hoc verbum praecepi eis, dicens : Audite vocem meam et ero vobis Deus et vos eritis mihi populus et ambulate in omni via quam mandavi vobis, ut bene sit vobis, et non audierunt.

 

Jérémie VII, 22-24. « Quia non sum locutus cum patribus vestris, et non praecepi eis, in die qua eduxi eos de terra Aegypti, de verbo holocaustomatum, et victimarum. 23. Sed hoc verbum praecepi eis dicens : Audite vocem meam, et ero vobis Deus, et vos eritis mihi populus et ambulate in omni via, quam mandavi vobis, ut bene sit vobis. 24. Et non audierunt ».

Traduction de Port-Royal : « Car je n’ai point ordonné à vos pères, au jour que je les ai tirés de l’Égypte, de m’offrir des holocaustes et des victimes ; 23. mais voici le commandement que je leur ai fait : Écoutez ma parole, et je serai votre Dieu, et vous serez mon peuple ; et marchez dans toutes les voies que je vous prescrirai, afin que vous soyez comblés de biens. Et après cela, ils ne m’ont point écouté ».

Commentaire de Port-Royal : « Il est visible, selon saint Jérôme, que Dieu parle ici du premier Décalogue écrit de sa main sur les deux tables de pierre. Car il ne commanda point alors à son peuple de lui offrir des victimes, voulant sans doute que le cœur même embrasé de son amour fût la victime qu’ils lui offrissent, comme la preuve la plus solide de la vérité du culte qu’ils lui rendraient. Mais quand ils se furent abandonnés à l’idolâtrie, et qu’ils eussent adoré le veau d’or, ce fut alors qu’il leur ordonna, pour condescendre à leur faiblesse, de lui offrir des victimes, plutôt qu’aux démons ».

 

Multitude de doctrines.

 

Cette indication fait allusion aux infidélités du peuple juif à son Dieu. Mais on peut aussi entendre que Pascal y voit un rapport avec à la multiplicité des opinions et des doctrines qu’il a reprochée aux casuistes.

Voir sur la multiplication des maximes des casuistes, le Premier écrit des curés de Paris, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 407-409.

« 9. Ces opinions accommodantes ne commencèrent pas par cet excès, mais par des choses moins grossières, et qu’on proposait seulement comme des doutes. Elles se fortifièrent peu à peu par le nombre des sectateurs, dont les maximes relâchées ne manquent jamais : de sorte qu’ayant déjà formé un corps considérable de casuistes qui les soutenaient, les ministres de l’Église, craignant de choquer ce grand nombre, et espérant que la douceur et la raison seraient capables de ramener ces personnes égarées, supportèrent ces désordres avec une patience qui a paru par l’événement, non seulement inutile, mais dommageable : car, se voyant ainsi en liberté d’écrire, ils ont tant écrit en peu de temps, que l’Église gémit aujourd’hui sous cette monstrueuse charge de volumes. La licence de leurs opinions, qui s’est accrue avec le nombre de leurs livres, les a fait avancer à grands pas dans la corruption des sentiments et dans la hardiesse de les proposer. Ainsi les maximes qu’ils n’avaient jetées d’abord que comme de simples pensées furent bientôt données pour probables ; ils passèrent de là à les produire pour sûres en conscience, et enfin pour aussi sûres que les opinions contraires, par un progrès si hardi, qu’enfin les puissances de l’Église commençant à s’en émouvoir, on fit diverses censures de ces doctrines. L’Assemblée générale de France les censura en 1642, dans le livre du P. Bauny Jésuite, où elles sont presque toutes ramassées ; car ces livres ne font que se copier les uns les autres. La Sorbonne les condamna de même ; la Faculté de Louvain ensuite, et feu M. l’Archevêque de Paris aussi, par plusieurs censures. De sorte qu’il y avait sujet d’espérer que tant d’autorités jointes ensemble arrêteraient un mal qui croissait toujours. Mais on fut bien éloigné d’en demeurer à ce point : le P. Héreau fit, au Collège de Clermont, des leçons si étranges pour permettre l’homicide, et les PP. Flahaut et Le Court en firent de même à Caen de si terribles pour autoriser les duels, que cela obligea l’Université de Paris à en demander justice au Parlement, et à entreprendre cette longue procédure qui a été connue de tout le monde. Le P. Héreau ayant été, sur cette accusation, condamné par le Conseil à tenir prison dans le Collège des Jésuites, avec défenses d’enseigner dorénavant, cela assoupit un peu l’ardeur des casuistes ; mais ils ne faisaient cependant que préparer de nouvelles matières, pour les produire toutes à la fois en un temps plus favorable.

En effet, on vit paraître, un peu après, Escobar, le P. Lamy, Mascarenhas, Caramuel et plusieurs autres, tellement remplis des opinions déjà condamnées, et de plusieurs nouvelles plus horribles qu’auparavant, que nous, qui, par la connaissance que nous avons de l’intérieur des consciences, remarquions le tort que ces dérèglements y apportaient, nous nous crûmes obligés à nous y opposer fortement. Ce fut pourquoi nous nous adressâmes, les années dernières, à l’Assemblée du Clergé qui se tenait alors, pour y demander la condamnation des principales propositions de ces derniers auteurs, dont nous leur présentâmes un extrait. »

 

Jér., 11, 13.

Secundum numerum enim civitatum tuarum erant dei tui, Juda, et secundum numerum viarum Jerusalem posuisti aram confusionis.

Tu ergo noli orare pro populo hoc.

 

Jérémie, XI, 13-14. « Secundum numerum enim civitatum tuarum, erant dii tui Juda : et secundum numerum viarum Jerusalem, posuistis aras confusionis aras ad libandum Baalim. 14. Tu ergo noli orare pro populo hoc, et ne assumas pro eis laudem et orationem : quia non exaudiam in tempore clamoris eorum ad me, in tempore afflictionis eorum ». Traduction de Port-Royal : « Car pour vous, Juda, vous avez eu autant de dieux différents que de villes ; et vous, ô Jérusalem, vous n’avez point eu de rue qui n’eût son autel de confusion, son autel pour sacrifier à Baal. 14. Vous donc, ô Jérémie, n’entreprenez point d’intercéder pour ce peuple, ne me conjurez point, et ne me priez point pour eux : parce que je ne les écouterai point au temps qu’ils crieront vers moi, au temps qu’ils seront le plus affligés ».

Citation incomplète. Le commentaire de Port-Royal remarque la répétition dans le texte de Jérémie. Il explique l’interdiction faite à Jérémie de s’opposer au projet de Dieu, parce que celui-ci voulait faire miséricorde à certains membres du peuple en faisant usage du châtiment même pour les amender et leur faire ensuite grâce. « On ne doit donc pas inférer de ce passage qu’il y ait des gens si méchants qu’il ne faille point prier pour eux, puisque tant qu’ils sont en cette vie, il y a lieu d’espérer que la grâce de Jésus-Christ en pourra faire de vrais pénitents ».

Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, Paris, Champion, 2013, p. 580, sur les efforts de Jérémie pour plaider auprès de Dieu la cause de son peuple.

 

Jér., 11, 21.

Non prophetabis in nomine Domini et non morieris in manibus nostris.

Propterea haec dicit Dominus. 

 

Jérémie, XI, 21. « Propterea haec dicit Dominus ad viros Anathoth, qui quaerunt animam tuam, et dicunt : Non prophetabis in nomine Domini et non morieris in manibus nostris. 22. Propterea haec dicit Dominus exercituum ». Traduction de Port-Royal : « C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur aux habitants d’Anathoth, qui cherchent à m’ôter la vie, et qui disent : Ne prophétisez point au nom du Seigneur, de peur que vous ne mouriez de notre main. 22. Voici donc ce que dit le Seigneur des armées ».

Commentaire de Port-Royal : « Anathot était un bourg distant de trois milles, c’est-à-dire d’une lieue ou environ de Jérusalem. C’était là que Jérémie demeurait ordinairement. C’est pourquoi comme les habitants d’Anathot l’entendaient prophétiser tous les jours touchant les malheurs du royaume de Juda, ils prétendaient par leurs menaces lui fermer la bouche, et cherchaient à le tuer ». Surtout, « les habitants d’Anathot, qui cherchaient à faire mourir Jérémie, à cause qu’il prophétisait au nom du Seigneur, ont été l’image des Juifs, qui n’ont pu souffrir, comme il est marqué dans l’Évangile, que Jésus-Christ leur prêchât la vérité, et qui lui ont à la fin ôté la vie pour ce seul sujet. Car c’est une règle qu’on doit suivre, selon saint Jérôme, de regarder tous les prophètes comme ayant figuré Jésus-Christ dans la plupart de leurs actions. »

On peut se demander si « Propterea haec dicit Dominus exercituum » est une reprise du début du verset 21 que Pascal aurait postposé, ou un fragment initial du verset 22. La deuxième hypothèse semble préférable.

Voir sur la ville natale de Jérémie, Anathot, la Préface du livre de Jérémie dans la Bible de Port-Royal, reproduite dans Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, I, p. 568.

 

Jér., 15, 2.

Quod si dixerint ad te : Quo egrediemur ? dices ad eos : Haec dicit Dominus : Qui ad mortem ad mortem, et qui ad gladium ad gladium, et qui ad famem ad famem, et qui ad captivitatem ad captivitatem.

 

Jérémie, XV, 2. « Quod si dixerint ad te : Quo egrediemur ? dices ad eos : Haec dicit Dominus : Qui ad mortem, ad mortem : et qui ad gladium, ad gladium et qui ad famem, ad famem et qui ad captivitatem, ad captivitatem ». Traduction de Port-Royal : « Que s’ils vous disent : Où irons-nous ? vous leur direz : Voici ce que dit le Seigneur. Qui est destiné à mourir, meure ; qui à périr par l’épée, périsse par l’épée ; qui à périr par la famine, périsse par la famine ; qui à aller en captivité aille en captivité. »

Ce verset est cité dans un passage du Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, 1983, p. 467, en ces termes : « Et s’ils vous demandent : Que ferons-nous donc ? dites-leur que ceux qui sont destinés à la mort aillent à la mort, que ceux qui sont réservés à la famine et au meurtre courent à la fin qui leur est destinée ».

 

Jér., 17, 9.

Pravum est cor omnium et inscrutabile : quis cognoscet illud ? (C’est‑à‑dire qui en connaîtra toute la malice ? Car il est déjà connu qu’il est méchant).

Ego Dominus scrutans cor et probans renes.

 

Jérémie, XVII, 9-10. « Pravum est cor omnium, et inscrutabile : quis cognoscet illud ? 10. Ego Dominus scrutans cor, et probans rênes : qui do unicuique juxta viam suam et juxta fructum adinventionum suarum ». Traduction de Port-Royal : « Le cœur de tous les hommes est corrompu, il est impénétrable ; qui pourra le connaître ? 10. C’est moi qui suis le Seigneur, qui sonde les cœurs, et qui éprouve les reins, qui rends à chacun selon sa voie, et selon le fruit de ses pensées et de ses œuvres. »

Le commentaire qui accompagne cette citation signifie, comme le dit La Rochefoucauld, Maximes, 3, « Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amour-propre, il y reste encore bien des terres inconnues ». On sait que le cœur de l’homme est corrompu et mauvais ; mais ce n’est pas pour autant que l’on mesure toute sa méchanceté : chacun ignore sa propre corruption, et même si les autres peuvent en connaître une partie par nos actes, ils ne la pénètrent pas entièrement. Seul Dieu connaît par son omniscience la profondeur de la corruption humaine. Le commentaire de la Bible de Port-Royal insiste sur l’idée qu’il ne s’agit pas seulement des habitants de Juda : « Peut-être aussi que comme il venait de condamner la fausse confiance qu’a l’homme dans l’homme, [...] il en prend sujet de déclarer que cette secrète corruption du cœur est générale dans tous les hommes, soit qu’ils s’y laissent aller volontairement, ou qu’ils en sentent seulement les mauvais effets, sans qu’ils y consentent. Or l’abîme de ce cœur étant impénétrable, qui peut le connaître, et en discerner la véritable disposition, sinon celui qui sonde, par la lumière toute divine de son Esprit, ses replis cachés, et qui éprouve ses reins et ses affections charnelles, afin de rendre à chacun selon sa voie, c’est-à-dire selon ses actions, et selon le fruit de ses pensées. » L’enseignement que Port-Royal tire de la Bible converge, sur ce thème, avec les observations des moralistes comme La Rochefoucauld, pour dire que l’homme ne se connaît jamais entièrement lui-même, et que la maxime connais-toi toi-même rencontre les plus grandes difficultés. Voir dans De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 8, OC III, éd. J. Mesnard, p. 416 : pour savoir comment persuader efficacement, « il faudrait pour en juger connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme même ne connaît presque jamais ».

Sur la science de Dieu et le fait que « Dieu sait tout » (I Jean, III, 20), voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 156 sq. Dieu connaît ce qui est difficilement connaissable, comme les pensées et les sentiments du cœur humain : p.159.

 

Et dixerunt : Venite et cogitemus contra Jeremiam cogitationes. Non enim peribit lex a sacerdote neque sermo a propheta.

 

Jérémie, XVIII, 18. « Et dixerunt : Venite, et cogitemus contra Jeremiam cogitationes : non enim peribit lex a sacerdote, neque consilium a sapiente, nec sermo a propheta : venite et percutiamus eum lingua, et non attendamus ad universos sermones ejus ». Traduction de Port-Royal : « Et ils ont dit : Venez, formons des desseins contre Jérémie ; car nous ne laisserons pas de trouver sans lui des prêtres qui nous instruisent de la loi, des sages qui nous fassent part de leurs conseils, et des prophètes qui nous annoncent la parole du Seigneur. Venez, perçons-le avec les traits de nos langues, et n’ayons aucun égard à tous ses discours. »

La référence de cette citation manque. Le manuscrit montre qu’elle a été notée entre le passage de Jérémie XVII, 9 et Jérémie XVII, 17. Faut-il suppose que Pascal, après l’avoir notée, a décidé de revenir un peu en arrière ?

Voir plus haut, Jérémie, XI, 21.

 

Jér., 17, 17.

Non sis tu mihi formidini, tu spes mea in die afflictionum.

 

Jérémie, XVII, 17. « Non sis tu mihi formidini, spes mea tu in die afflictionis ». Traduction de Port-Royal : « Ne me devenez point un sujet de crainte, puisque c’est vous qui êtes mon espérance au jour de l’affliction. »

 

Jér., 23, 15.

A prophetis enim Jerusalem egressa est pollutio super omnem terram.

 

Jérémie, XXIII, 15. « Propterea haec dicit Dominus exercituum ad prophetas : Ecce ego cibabo eos absinthio, et potabo eos felle ; a prophetis enim Jerusalem egressa est pollutio super omnem terram ». Traduction de Port-Royal : « C’est pourquoi voici ce que le Seigneur des armées dit aux prophètes : Je les nourrirai d’absinthe, et je les abreuverai de fiel, parce que la corruption s’est répandue des prophètes de Jérusalem sur toute la terre. »

Citation à laquelle fait écho un passage du Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes, in Provinciales, éd. Cognet, Garnier, 1983, p. 464, en ces termes : « C’est des prophètes que l’abomination est née, et c’est de là qu’elle a rempli toute la terre. »

 

Jér., 23, 17.

Dicunt his qui blasphemant me : Locutus est Dominus pax erit vobis, et omni qui ambulat in pravitate cordis sui dixerunt : Non veniet super vos malum.

 

Jérémie, XXIII, 17. « Dicunt his, qui blasphemant me. Locutus est Dominus : Pax erit vobis : et omni qui ambulat in pravitate cordis sui, dixerunt : Non veniet super vos malum ». Traduction de Port-Royal : « Ils disent à ceux qui me blasphèment : Le Seigneur l’a dit : Vous aurez la paix ; et à tous ceux qui marchent dans la corruption de leur cœur : Il ne vous arrivera point de mal. »

Les citations relatives à la corruption des princes, des prêtres et du peuple ont peut-être un rapport avec les polémiques contre les casuistes. On trouve en tout cas une parenté d’idées avec la deuxième partie du Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes, dont on trouve la copie dans C2, f° 603. Mais trois citations seulement sont communes à cet écrit et au présent papier.

 

Le Projet de mandement

 

Sur cet opuscule peu connu, voir la brève notice de l’édition des Provinciales par L. Cognet, Garnier, 1983, p. 460, et celle de GEF VII, p. 377-379.

Les références des citations, qui n’appartiennent pas au texte original, ont été ajoutées pour faciliter la comparaison avec le présent fragment.

« § 9. Voilà l’état présent des choses. Quoique la licence y soit grande, elle n’est pas néanmoins sans une puissante opposition. Mais un temps doit venir, duquel il est écrit : Malheur à celles qui seront enceintes en ce jour là ! et croyez-vous qu’alors le fils de l’homme trouve de la foi sur la terre ?[Matth., XXIV, 19 et Luc, XVIII, 18] Et c’est en ce temps que les prêtres mêmes et le reste des fidèles, ayant presque tous consenti aux impiétés des faux docteurs, la mesure étant ainsi comblée, la fin de l’Église et de l’univers doit arriver avec la seconde venue du Messie : de même que la destruction de l’Ancien Temple et de la Synagogue est arrivée dans une semblable corruption, les faux prophètes ayant entraîné dans leur parti le peuple et les prêtres mêmes au premier avènement du Messie.

§ 10. Car, comme toutes choses leur arrivaient en figure, et que la Synagogue a été l’image de l’Église, selon saint Paul, nous pouvons nous instruire, par ce qui lui est arrivé, de ce qui nous doit avenir, et voir, dans leur exemple, la source, le progrès et la consommation de l’impiété. L’Écriture nous apprend donc que c’est des faux prophètes que l’impiété a pris son origine et qu’elle s’est de là répandue sur le reste des hommes, comme le dit Jérémie. C’est des prophètes que l’abomination est née, et c’est de là qu’elle a rempli toute la terre [Jérémie, XXIII, 15] ; qu’ils ont formé une conspiration ouverte contre la vérité au milieu du peuple de Dieu : [conjuratio prophetarum] in medio ejus [Ézéchiel, XXII, 25] ; que les grands du monde ont été les premiers suppôts de leurs doctrines flatteuses ; que les peuples en ont été infectés ensuite. Mais tandis que les prêtres du Seigneur en sont demeurés exempts, Dieu a suspendu les effets de sa colère ; mais quand les prêtres même s’y sont plongés, et que, dès lors, il n’est rien resté pour apaiser la colère divine, les fléaux de Dieu sont tombés sur ce peuple, sans mesure, et y sont demeurés jusqu’à ce jour. Les prophètes, dit Jérémie, ont annoncé de fausses doctrines de la part de Dieu : les prêtres y ont donné les mains, et mon peuple y a pris plaisir. Quelle punition leur est donc préparée ?[Jérémie, V, 31] C’est alors qu’il n’y a plus de miséricorde à attendre, parce qu’il n’y a plus personne pour la demander. Les prêtres, dit Ézéchiel, ont eux-mêmes violé ma loi. Les princes et les peuples ont exercé leurs violences, et les prophètes les flattaient dans leurs désordres. J’ai cherché quelqu’un qui opposât sa justice à ma vengeance, et je n’en ai point trouvé. Je répandrai donc sur eux le feu de mon indignation, et je ferai retomber sur leurs têtes le fruit de leurs impiétés[Ézéchiel, XXII, 25-31].

§ 11. Voilà le dernier des malheurs où, par la grâce de Dieu, l’Église n’est pas encore, et où elle ne tombera pas, tant qu’il plaira à Dieu de soutenir ses pasteurs contre la corruption des faux docteurs qui les combattent ; et c’est ce qu’il importe de faire entendre à ceux qui sont sous notre conduite, afin qu’ils ne cessent de demander à Dieu la continuation d’un zèle si important et si nécessaire, et qu’ils évitent eux-mêmes les doctrines molles et flatteuses de ces séducteurs qui ne travaillent qu’à les perdre. Car de la même manière que la piété des saints de l’Ancien Testament consistait à s’opposer aux nouveautés des faux prophètes, qui étaient les casuistes de leurs temps : de même la piété des fidèles doit avoir maintenant pour objet de résister au relâchement des casuistes, qui sont les faux prophètes d’aujourd’hui. Et nous ne devons cesser de faire entendre à nos peuples ce que les vrais prophètes criaient incessamment aux leurs, que l’autorité de ces docteurs ne les rendra pas excusables devant Dieu, s’ils suivent leurs fausses doctrines ; que toute la société des casuistes ne saurait assurer la conscience contre la vérité éternelle. Et que cette abominable doctrine de la probabilité, qui est le fondement de toutes leurs erreurs, est la plus grande de leurs erreurs ; que rien ne saurait les sauver que la vérité et la prière, et que c’est une fausseté horrible de dire qu’on se sauve aussi bien par l’une que par l’autre de deux opinions contraires, et dont il y en a par conséquent une de fausse. C’est ce qu’ils soutiennent tous, et sans quoi toute leur doctrine tombe par terre ; car ils n’ont point d’autre fondement à ces horribles maximes, qu’ils renouvellent encore dans ce nouveau livre : Qu’on peut discerner par la seule lumière de la raison quand il est permis ou défendu de tuer son prochain ; qu’on le peut tuer pour défendre ou réparer son honneur ; qu’on peut, sans crime, calomnier ceux qui médisent de nous ; que tous nos péchés seront remis, pourvu que nous les confessions sans quitter les occasions prochaines, sans faire pénitence en cette vie, et sans avoir d’autre regret d’avoir péché, sinon pour le mal temporel qui en revient, et encore si faible que le pécheur et pénitent juge qu’il est prêt à retomber en peu de temps. Quand on leur demande sur quoi ils fondent ces horribles maximes, ils n’ont autre chose à répondre, sinon que leurs Pères et leurs docteurs l’ayant jugé probable, cela est sûr en conscience, et aussi sûr que, les opinions contraires. Car de la même manière que la piété des saints de l’Ancien Testament consistait à s’opposer aux nouveautés des faux prophètes, qui étaient les casuistes de leurs temps : de même la piété des fidèles doit avoir maintenant pour objet de résister au relâchement des casuistes, qui sont les faux prophètes d’aujourd’hui. Et nous ne devons cesser de faire entendre à nos peuples ce que les vrais prophètes criaient incessamment aux leurs, que l’autorité de ces docteurs ne les rendra pas excusables devant Dieu, s’ils suivent leurs fausses doctrines ; que toute la société des casuistes ne saurait assurer la conscience contre la vérité éternelle. Et que cette abominable doctrine de la probabilité, qui est le fondement de toutes leurs erreurs, est la plus grande de leurs erreurs ; que rien ne saurait les sauver que la vérité et la prière, et que c’est une fausseté horrible de dire qu’on se sauve aussi bien par l’une que par l’autre de deux opinions contraires, et dont il y en a par conséquent une de fausse. C’est ce qu’ils soutiennent tous, et sans quoi toute leur doctrine tombe par terre ; car ils n’ont point d’autre fondement à ces horribles maximes, qu’ils renouvellent encore dans ce nouveau livre : Qu’on peut discerner par la seule lumière de la raison quand il est permis ou défendu de tuer son prochain ; qu’on le peut tuer pour défendre ou réparer son honneur ; qu’on peut, sans crime, calomnier ceux qui médisent de nous ; que tous nos péchés seront remis, pourvu que nous les confessions sans quitter les occasions prochaines, sans faire pénitence en cette vie, et sans avoir d’autre regret d’avoir péché, sinon pour le mal temporel qui en revient, et encore si faible que le pécheur et pénitent juge qu’il est prêt à retomber en peu de temps. Quand on leur demande sur quoi ils fondent ces horribles maximes, ils n’ont autre chose à répondre, sinon que leurs Pères et leurs docteurs l’ayant jugé probable, cela est sûr en conscience, et aussi sûr que, les opinions contraires. Et c’est sur quoi nous annonçons à tous ceux sur qui Dieu nous a donné de l’autorité, que ce sont des faussetés diaboliques, et que tous ceux qui suivront ces maximes sur la foi de ces faux docteurs périront avec eux. De même que les prophètes de Dieu annonçaient autrefois à leurs peuples, qui se reposaient ainsi sur leurs faux prophètes, que Dieu exterminera tout ensemble, et ces maîtres, et ces disciples, magistros et discipulos [Malachie, II, 12] ; et que ceux qui assurent ainsi la conscience des hommes, et ceux qui reçoivent ces assurances, seront ensemble précipités dans une pareille ruine : Et qui beatificant, et qui beatificantur [Isaïe, IX, 16]. De sorte que tant s’en faut que cette probabilité de sentiments et cette autorité des docteurs qui les enseignent excuse devant Dieu ceux qui les suivent, que cette confiance est au contraire le plus grand sujet de la colère de Dieu sur eux, parce qu’elle ne vient en effet que d’un désir corrompu de chercher du repos dans ses vices, et non pas d’une recherche pure et sincère de la vérité de Dieu, qui ferait aisément discerner la fausseté de ces opinions, qui font horreur à tous ceux qui ont de véritables sentiments de Dieu. Et c’est pourquoi cette tranquillité dans les crimes les augmente si fort, que Dieu a déclaré par ses prophètes à la Synagogue, et par elle à l’Église, que toute la prière des plus justes ne sauverait pas de sa fureur ceux qui auraient ainsi suivi ces maîtres de fausses doctrines. C’est ce qu’on voit en Jérémie, lorsqu’il demandait miséricorde à Dieu pour les Juifs, et qu’il lui représentait que c’était sur la foi de ces faux prophètes qu’ils étaient demeurés dans leurs crimes. Seigneur, dit-il, ils ont agi de la sorte, parce que leurs prophètes les assuraient que vous approuviez leur conduite ; et que bien loin de les punir, vous les rempliriez de bonheur et de paix[Jérémie, XIV, 13]. C’est-à-dire, qu’ils avaient suivi l’autorité de plusieurs grands docteurs qui étaient tenus pour prophètes. Et cependant que répond Dieu à ce saint homme ? Les prophètes ont parlé selon leur propre esprit, et non pas selon le mien, dit le Seigneur. Ce ne sont pas mes paroles, mais leurs propres paroles qu’ils ont annoncées ; et c’est pourquoi je perdrai ces docteurs ; mais j’exterminerai de même ceux qui les ont écoutés et suivis. Ne priez donc point pour ce peuple ; car quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi pour arrêter ma fureur, je ne leur ferais point miséricorde. Et s’ils vous demandent : Que ferons-nous donc ? dites-leur que ceux qui sont destinés à la mort aillent à la mort, et que ceux qui sont réservés à la famine et au meurtre courent à la fin qui leur est destinée[Jérémie, XV, 1-2].

§ 12. Que si Dieu a traité de cette sorte le peuple Juif, dans les ombres et les ténèbres où il était ; s’il ne leur a pas pardonné leurs crimes, quoiqu’ils s’y fussent engagés sur l’autorité de tant de docteurs graves et éminents en apparence ; s’il n’a pas épargné les hommes des premiers temps, dit saint Pierre, comment traitera-t-il un peuple qu’il a rempli de tant de lumières et de tant d’effets de son amour, s’il a assez d’aveuglement et d’ingratitude pour se dispenser de l’aimer, sur la foi de quelques casuistes modernes qui l’en assurent ?

§ 13. Nous déclarons donc hautement que ceux qui seraient dans ces erreurs seraient absolument inexcusables de recevoir la fausseté de ces mains étrangères, qui la leur offrent au préjudice de la vérité qui leur est présentée par les mains paternelles de leurs propres pasteurs ; et qu’ils soient doublement coupables dans ces impiétés, et pour avoir reçu des opinions qu’ils ne devaient jamais admettre, et pour les avoir reçues de ceux qu’ils ne devaient point écouter. Car comme ces personnes qui sont hors de la hiérarchie n’ont de pouvoir d’y exercer aucune fonction que sous nos ordres et selon nos règlements, tout ce qu’ils disent contre notre aveu doit être regardé comme suspect et irrecevable, et ainsi les fidèles en doivent demeurer exempts, et demander à Dieu la persévérance des pasteurs naturels de son Église ; afin que ce malheureux repos, et ce consentement général dans l’erreur qui doit attirer le dernier jugement de Dieu, n’arrive pas de nos jours comme il arriva à la fin de la Synagogue, lorsque les prophètes se relâchèrent. Les princes sont dans la corruption, les prêtres les y accompagnent. Les prophètes les y confirment, et tous ensemble, en cet état, se reposent encore sur le Seigneur, en disant [Jérémie, VII, 4] : Dieu est au milieu de nous ; il ne nous arrivera pas de mal. C’est pour cette raison, dit le Seigneur, que Jérusalem sera totalement détruite, et que le Temple de Dieu sera renversé et anéanti. »