Pensées diverses II – Fragment n° 11 / 37 – Papier original : RO 249-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 105 p. 351 v°-353  / C2 : p. 307-307 v°

Éditions savantes : Faugère I, 324, XV ; II, 375, XLIII / Havet XXIV.93, XXV.104 / Brunschvicg 885 et 502 / Tourneur p. 87 / Le Guern 515 / Lafuma 602 et 603 (série XXIV) / Sellier 500

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Bibliographie

 

 

BARNES Annie, Lettres inédits de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saibnt-Cyran, Paris, Vrin, 1962.

CARRAUD Vincent, Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, Paris, Vrin, 2007.

CAZELLES Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

FERREYROLLES Gérard, “Esquisse des passions vertueuses chez Pascal”, in L’intelligence du passé. Les faits, l’écriture et le sens. Mélanges offerts à Jean Lafond par ses amis, Publications de l’Université de Tours, Tours, 1988, p. 429-436.

MISONO Keisuke, Écrire contre le jansénisme. Léonard de Marandé polémiste vulgarisateur, Paris, Champion, 2012.

ORCIBAL Jean, La spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Paris, Vrin, 1962.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 325-340.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

TAVARD Georges, La tradition au XVIIe siècle, Paris, Cerf, 1969.

 

 

Éclaircissements

 

Est fait prêtre qui veut l’être, comme sous Jéroboam.

 

Cette phrase exige un bref rappel d’un épisode de l’histoire du peuple juif telle que la rapporte la Bible.

Le royaume des Juifs a été fondé par Saül, puis David. Après le règne de Salomon, mort en 974 avant J.-C., sa prospérité est très compromise, et les tribus du nord, jalouses des tribus du sud chez lesquelles se trouvait le temple de Jérusalem, refusent d’obéir à l’héritier légitime, Roboam, qui avait rejeté leurs réclamations, et choisissent pour roi Jéroboam, un ancien fonctionnaire de Salomon.

Jéroboam effectue alors une scission politique et un schisme religieux qui sépare le royaume d’Israël du royaume de Juda.

Le royaume du sud, dit de Juda, comprend les deux tribus de Juda et de Benjamin, avec Jérusalem pour capitale. Comme c’est à Jérusalem que se trouve le Temple, seul lieu où soit permis le culte de Yahvé, son roi Roboam reste maître de la religion nationale. Ainsi que l’écrit Racine dans la Préface d’Athalie, « comme les rois de Juda étaient de la maison de David, et qu’ils avaient dans leur partage la ville et le temple de Jérusalem, tout ce qu’il y avait de prêtres et de lévites se retirèrent auprès d’eux, et leur demeurèrent toujours attachés. Car, depuis que le temple de Salomon fut bâti, il n’était plus permis de sacrifier ailleurs, et tous ces autres autels qu’on élevait à Dieu sur des montagnes, appelés par cette raison dans l’Écriture les hauts lieux, ne lui étaient point agréables. Ainsi le culte légitime ne subsistait plus que dans Juda ».

Le royaume d’Israël, qui comprend les dix tribus du nord, prend pour capitale Samarie. Les rois n’y ont plus de caractère religieux. Tout au plus disposent-ils de ces « hauts lieux » (excelsa), autels élevés par les patriarches aux endroits où Dieu s’était manifesté à eux. Leur suppression, ordonnée lors de la fondation du temple par Salomon, n’a jamais été réalisée dans le royaume d’Israël. Mais leur maintien était une violation caractérisée des ordres divins.

Le schisme entre Israël et Juda contraint alors Jéroboam de constituer un clergé de substitution.

L’histoire des deux États est détaillée dans les Livres des Rois et des Chroniques. L’épisode qui nous intéresse se trouve dans le IIIe Livre des Rois (que les Bibles d’aujourd’hui présentent comme le Ier Livre des Rois. Le verset 33 de la traduction du chapitre XXIII est le suivant : XIII, v. 33. « Après ces choses Jéroboam ne revint point du dérèglement de sa voie toute corrompue, mais il prit au contraire des derniers du peuple pour en faire les prêtres des hauts lieux. Quiconque le voulait remplissait sa main, et il devenait prêtre des hauts lieux. » Note de l’éd. de Port-Royal : « remplissait sa main signifie achetait de lui le sacerdoce ». Ce qui constitue évidemment une simonie doublée d’un schisme et de l’établissement de l’idolâtrie.

L’accent de la note se trouve sur la comparaison de l’époque de Pascal avec celle de Jéroboam. La suite du texte en développe les conséquences pour le temps de Pascal.

 

C’est une chose horrible qu’on nous propose la discipline de l’Église d’aujourd’hui pour tellement bonne qu’on fasse un crime de la vouloir changer. Autrefois elle était bonne infailliblement et on trouve qu’on a pu la changer sans péché. Et maintenant, telle qu’elle est, on ne la pourra souhaiter changée ?

Il a bien été permis de changer la coutume de ne faire des prêtres qu’avec tant de circonspection qu’il n’y en avait presque point qui en fussent dignes, et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume qui en fait tant d’indignes ?

 

Havet, dans son édition des Pensées, XXIV, 93 consacre une longue note à ce passage (t. 2, p. 146-147). Rapportant ce fragment à la « polémique contre la religion relâchée », il remarque que les jansénistes « reprochaient à la discipline ecclésiastique de leur temps d’avoir abaissé et comme dégradé, avec la grâce même de Jésus-Christ, les instruments de cette grâce, la direction des consciences, les sacrements de la pénitence et de l’Eucharistie, et le caractère auguste du prêtre, dispensateur de la parole, des sacrements, de la grâce même ».

Sur la haute idée que Port-Royal se fait de l’état ecclésiastique, voir dans le tome II de l’édition de 1644 des Lettres chrétiennes et spirituelles de Saint-Cyran p. 277 sq., les Pensées de M. de Saint-Cyran sur le sacerdoce. Voir aussi les Diverses pensées sur le sacerdoce, cité dans Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Paris, Vrin, 1962, p. 207-232, et la notice sur ce sujet, p. 24-29. Voir enfin les lettres CXII à CXVIII, à un ecclésiastique, sur son ordination et l’ordre de la prêtrise, p. 517-551, dans l’édition des Œuvres chrétiennes et spirituelles, tome second, Lyon, Laurent Aubin, 1679.

Sur l’imperfection du clergé du siècle, voir Fontaine Nicolas, Mémoires, éd. Thouvenin, Champion, 2001, p. 240 sq. Plaintes de M. Hillerin sur les imperfections des fidèles et du clergé.

Tavard Georges, La tradition au XVIIe siècle, p. 84. Thème de La tradition de l’Église sur le sujet de la pénitence et de la communion, dans ce texte rédigé par Sacy (éd. Cognet, p. 266, n. 2) : il existe d’une part les “pratiques anciennes et universelles de l’Église” qui ne sont pas d’invention humaine, mais « de l’esprit de Dieu » ; elles enferment « les raisons de la foi et les sentiments de l’Église, qui sont entièrement immuables, [...] quelque changement qui arrive dans l’observation des pratiques ». D’autre part, « quant à ces ordonnances générales de toute l’Église, comme c’est l’esprit de Dieu qui les forme, elles sont invariables dans leur justice et leur sainteté, aussi bien que cet Esprit ». Mais l’Église introduit aussi des relâchements qui peuvent être prudents et nécessaires, car elle s’accommode à la faiblesse de ses enfants et aux circonstances des temps et lieux ; mais elle ne s’y résout qu’à regret, et « conservant toujours dans le cœur le désir que ces premières lois pussent être observées » : p. 84.

Arnauld Antoine, La fréquente communion, Préface, § XXVII, 9e éd., 1696, p. 104 sq. L’Église est incorruptible dans sa foi ; elle est corruptible dans ses mœurs en la plupart de ses membres ; elle dégénérera toujours peu à peu de sa pureté initiale, « à mesure qu’elle s’avancera vers la fin du monde ». Les hérétiques qui abandonnent l’Église sous prétexte qu’elle a cessé d’être la véritable Église confondent corruption des mœurs et de la foi. Les mœurs de l’Église vont toujours se relâchant, mais de nombreux conciles se déclarent destinés à la réformation de l’Église. Le relâchement des religions particulières est l’image du relâchement de la générale : § XXXVIII, 9e éd., 1696, p. 106 sq. Voir aussi p. 243 : « comme la corruption des mœurs croîtra toujours dans l’Église, selon l’Évangile, à mesure que la naissance du soleil de justice s’éloignera de nous par le cours des siècles, de même que le froid s’augmente dans la nature, à mesure que le soleil s’éloigne par le cours des mois : cette corruption s’est accrue dans ces derniers temps, et après avoir été la mère de tant d’hérésies, qui toutes ont rejeté les exercices laborieux de la pénitence, aussi bien que la confession des péchés, et ont obligé l’Église à les soutenir selon la doctrine de tous les pères : elle a encore réduit les théologiens catholiques à les défendre seulement dans leurs écrits, et les prédicateurs à les prêcher dans les chaires ; sans pouvoir dans l’application des règles surmonter, que très rarement, le torrent du siècle, et l’enchantement de l’amour du monde, qui est la source de tous les vices, et l’ennemi de la pénitence. »

Voir dans le même sens l’idée développée dans Arnauld Antoine, La fréquente communion, IIe p., ch. XVIII, p. 541 sq.

« Que l’église retient toujours dans le cœur, le désir que les pécheurs fassent pénitence, selon les règles saintes de tous les pères ; et que c’est abuser de l’indulgence dont elle a usé dans les derniers temps, que de condamner de témérité ceux, qui, dans le dessein de satisfaire à Dieu, voudraient suivre l’ordre universel, qu’elle a observé durant tant de siècles, et lequel elle n’a jamais rétracté par aucun décret, ou canon.

Il est certain que l’Église peut bien quelquefois changer d’usages et d’actions extérieures ; mais il est aussi peu possible qu’elle change de sentiments, qu’il est impossible, qu’elle cesse d’être la colonne de la vérité. Car qui ne voit qu’il faut être capable de faillir, pour être capable de se rétracter, et que si l’église se pouvait dédire de ses maximes, elle ne serait pas seulement susceptible d’erreur, mais elle s’en condamnerait elle-même, et perdrait ainsi l’avantage qu’elle a, d’être la maison du sage architecte, et la retraite assurée des âmes fidèles, se trouvant bâtie sur l’instabilité du sable, et non pas sur l’immobilité de la pierre ?

D’ailleurs il est manifeste par les principes de notre foi qu’une doctrine que tous les Pères enseignent unanimement, et qu’ils ne proposent point comme une chose douteuse, mais comme certaine et indubitable parmi tous les catholiques, comme tenue, crue, et observée par toutes les régions de la terre, et qui ayant pris son origine des apôtres, s’est répandue par toute l’Église, ne saurait être estimée une doctrine de l’invention des hommes, mais de l’inspiration de Dieu ; et par conséquent aussi immuable que l’esprit qui l’a inspirée, et qui ne passera jamais, quoi que le ciel et la terre passent. Cela étant ainsi, [...] il est impossible que l’Église n’ait encore aujourd’hui ces mêmes sentiments, et qu’elle ne les conserve jusques à la fin des siècles. [...]

Mais quoi que l’Église ait toujours retenu, et retienne encore ces sentiments, il est néanmoins arrivé depuis quelques siècles, que le relâchement des hommes l’a empêchée de les mettre en pratique aussi parfaitement qu’elle eût bien voulu, et l’a obligée, comme une bonne mère, de condescendre à l’infirmité de ses enfants, en leur accordant un autre usage, qui en apparence est plus facile, et moins sévère ; mais qui est aussi beaucoup moins utile, et moins parfait ; de la même sorte que les médecins cédant à l’opposition que les malades font aux remèdes, ne leur ordonnant pas toujours ceux qu’ils jugent les plus salutaires, mais ceux dont ils les jugent plus capables. Et de la même sorte encore (pour recourir à la source dont l’Église prend sa conduite) que nous voyons Dieu même dans l’Écriture avoir fait quantité de choses par indulgence, et contre ses premiers desseins, à cause du désordre des temps et de la dureté des cœurs, comme Jésus-Christ dit dans l’évangile. C’est cette même dureté des hommes, qui contraint souvent l’Église, comme elle s’en plaint en son dernier concile plus d’une fois, de condescendre, et de s’accommoder à leurs relâchements, avec un gémissement secret et inénarrable (comme dit l’apôtre) que le Saint Esprit excite en elle, à cause du dérèglement de la piété ancienne, qu’elle remarque en ses enfants. Et c’est la seule raison, qui fait que l’Église depuis quelques siècles souffre les changements qui sont arrivés dans la pratique de la pénitence, sans que néanmoins l’on puisse montrer qu’elle les ait fait, ni par le chef, qui est le pape, dans son conseil particulier, ni par le même chef, dans le conseil et le sénat général de l’Église, qui sont les conciles. De sorte qu’il faut bien prendre garde, de ne confondre pas en ceci, comme en toutes choses semblables, les dispenses, et les lois ; les condescendances, et les premières institutions ; ce que la nécessité fait faire comme par force, et ce que l’on ferait par une volonté libre. »

Pascal connaît parfaitement cette distinction, dont il fait état dans le XIVe Provinciale, à propos des sanctions à appliquer aux meurtriers, où il affirme que les principes dogmatiques de l’Église et les commandements de Dieu sont immuables, mais que les rites et les formes peuvent varier selon les époques : « Ce sont, mes Pères, ces raisons toutes saintes qui, depuis que Dieu s’est fait homme pour le salut des hommes, ont rendu leur condition si considérable à l’Église, qu’elle a toujours puni l’homicide qui les détruit comme un des plus grands attentats qu’on puisse commettre contre Dieu. Je vous en rapporterai quelques exemples non pas dans la pensée que toutes ces sévérités doivent être gardées, je sais que l’Église peut disposer diversement de cette discipline extérieure, mais pour faire entendre quel est son esprit immuable sur ce sujet. Car les pénitences qu’elle ordonne pour le meurtre peuvent être différentes selon la diversité des temps ; mais l’horreur qu’elle a pour le meurtre ne peut jamais changer par le changement des temps. »

Mais si Pascal et le groupe de Port-Royal admettent les changements dans les formes et les rites, il considèrent comme « horribles » les tentatives visant à changer et à dégrader l’esprit même de la religion. Le texte, assez peu connu, dans lequel Pascal précise ses idées sur le point particulier du baptême est intitulé Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 45 sq. On y trouve la même opposition, à propos des fidèles en général, entre l’esprit qui régnait dans l’Église primitive, et le relâchement de l’Église moderne : comme l’écrit J. Mesnard, « l’objet de Pascal est de montrer [...] que, dans la dispensation du baptême, l’Église a toujours conservé le même esprit, bien qu’elle ait changé de conduite », p. 51.

« Dans les premiers temps, on ne voyait que des Chrétiens parfaitement consommés dans tous les points nécessaires à salut.

Au lieu que l’on voit aujourd’hui une ignorance si grossière qu’elle fait gémir tous ceux qui ont des sentiments de tendresse pour l’Église.

On n’entrait alors dans l’Église qu’après de grands travaux et de longs désirs.

On s’y trouve maintenant sans aucune peine, sans soin et sans travail.

On n’y était admis qu’après un examen très exact.

On y est reçu maintenant avant qu’on soit en état d’être examiné.

On n’y était reçu alors qu’après avoir abjuré sa vie passée, qu’après avoir renoncé au monde, et à la chair, et au diable.

On y entre maintenant avant qu’on soit en état de faire aucune de ces choses.

Enfin il fallait autrefois sortir du monde pour être reçu dans l’Église.

Au lieu qu’on entre aujourd’hui dans l’Église au même temps que dans le monde. »

Les changements dans la discipline sont imposés à l’Église par le relâchement des fidèles.

Il n’y a pas là la marque d’un esprit chagrin et passéiste, mais un aspect d’une vision du destin de l’Église.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 449 sq. L’Église a assurément la promesse que le mal ne l’emportera pas sur elle, et qu’elle ne disparaîtra pas. Mais loin de croire que le retour du Christ aura lieu lorsque l’humanité se sera élevée vers Dieu, Pascal voit le second avènement du Fils de Dieu intervenir au moment où le vaisseau de l’Église paraîtra près de sombrer.

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., 2010, p. 325-340. Voir p. 330 sq. On ne trouve pas chez Pascal l’idée d’une décadence de l’Église qui serait survenue à partir du XIIe siècle : p. 330. La dénonciation du pouvoir des papes, notamment sur la bulle Unam sanctam de 1302 et Cum apostolatus officio de 1559, n’est qu’un cas de la tendance habituelle de la cour de Rome à la libido dominandi. Il n’insiste pas sur l’existence d’un âge d’or de la patristique aux IV-Ve siècles : p. 331. Mais dans l’histoire de l’Église, Pascal est frappé par la persistance d’une traînée de feu annoncée par les prophètes et entretenue par les saints, et des ordres comme les dominicains, auxquels il reproche vertement de manquer à leur mission : p. 331-332. Certes, tout n’est pas perdu pour cet ordre, comme le montre l’exhortation finale de la deuxième Provinciale. Mais il en va autrement des jésuites : leurs généraux eux-mêmes se sont plaints de leur décadence : p. 333. Pascal dénonce non pas seulement le relâchement des jésuites, mais le caractère anti-évangélique de leur politique, et l’ébranlement des lois de l’éthique catholique et la trahison de la théologie traditionnelle de la grâce. La campagne des Provinciales montre que Port-Royal n’en désespère pas pour autant : p. 334. Cependant les perspectives de l’avenir sont sombres ; Pascal cite Luc, XVIII, 8, Lorsque le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouvera de la foi sur la terre ? Le déclin dans les derniers temps de l’Église a été prophétisé dans les deux Testaments : p. 336. La dénonciation des faux prophètes dans l’ancien et le nouveau Testaments a suscité l’annonce d’une histoire marquée de conflits violents, de périodes sombres. Pascal ne s’attend pas à une christianisation croissante du monde. L’Église est un vaisseau battu par l’orage ; elle ne périra point, mais dans quel état parviendra-t-elle à la fin du monde ?

Voir, dans le même sens le Projet de mandement rédigé par Pascal pour un évêque non identifié, in Les Provinciales, édition de L. Cognet, Garnier, Paris, 1992, p. 461-462.

« Si Jésus-Christ, en promettant à l’Église que sa vérité et son esprit reposeraient sur elle éternellement, l’avait en même temps assurée d’une suite calme et tranquille de vérité et de paix, on aurait sujet d’être surpris de voir le mensonge et l’erreur paraître avec tant d’insolence. Mais quelle raison y a-t-il de l’être, après qu’il a déclaré que plusieurs y jetteraient le trouble, sous l’apparence néanmoins de la piété, et qu’ils viendraient en son nom pour détourner les hommes de la véritable voie : de sorte que ces désordres, qui croîtraient toujours, seraient enfin si grands dans la fin des siècles, que les élus mêmes en seraient séduits s’il était possible de les séduire ? Il est donc indubitable que ces scandales devaient arriver, quoiqu’à la ruine de ceux qui les causent et de ceux qui s’y perdent. Car Dieu les souffre, non pas afin qu’on suive ces désordres, mais afin qu’on les combatte, et qu’il paraisse en cette épreuve ceux qui lui sont véritablement fidèles. »

La comparaison entre l’époque du royaume juif et la chrétienté XVIIe siècle français est expressément faite dans les paragraphes suivants du Projet de mandement :

« Car, comme toutes choses leur arrivaient en figure, et que la Synagogue a été l’image de l’Église, selon saint Paul, nous pouvons nous instruire, par ce qui lui est arrivé, de ce qui nous doit avenir, et voir, dans leur exemple, la source, le progrès et la consommation de l’impiété. L’Écriture nous apprend donc que c’est des faux prophètes que l’impiété a pris son origine et qu’elle s’est de là répandue sur le reste des hommes, comme le dit Jérémie. C’est des prophètes que l’abomination est née, et c’est de là qu’elle a rempli toute la terre ; qu’ils ont formé une conspiration ouverte contre la vérité au milieu du peuple de Dieu : [conjuratio prophetarum] in medio ejus ; que les grands du monde ont été les premiers suppôts de leurs doctrines flatteuses ; que les peuples en ont été infectés ensuite. Mais tandis que les prêtres du Seigneur en sont demeurés exempts, Dieu a suspendu les effets de sa colère ; mais quand les prêtres même s’y sont plongés, et que, dès lors, il n’est rien resté pour apaiser la colère divine, les fléaux de Dieu sont tombés sur ce peuple, sans mesure, et y sont demeurés jusqu’à ce jour. Les prophètes, dit Jérémie, ont annoncé de fausses doctrines de la part de Dieu : les prêtres y ont donné les mains, et mon peuple y a pris plaisir. Quelle punition leur est donc préparée ? C’est alors qu’il n’y a plus de miséricorde à attendre, parce qu’il n’y a plus personne pour la demander. Les prêtres, dit Ézéchiel, ont eux-mêmes violé ma loi. Les princes et les peuples ont exercé leurs violences, et les prophètes les flattaient dans leurs désordres. J’ai cherché quelqu’un qui opposât sa justice à ma vengeance, et je n’en ai point trouvé. Je répandrai donc sur eux le feu de mon indignation, et je ferai retomber sur leurs têtes le fruit de leurs impiétés.

Voilà le dernier des malheurs où, par la grâce de Dieu, l’Église n’est pas encore, et où elle ne tombera pas, tant qu’il plaira à Dieu de soutenir ses pasteurs contre la corruption des faux docteurs qui les combattent ; et c’est ce qu’il importe de faire entendre à ceux qui sont sous notre conduite, afin qu’ils ne cessent de demander à Dieu la continuation d’un zèle si important et si nécessaire, et qu’ils évitent eux-mêmes les doctrines molles et flatteuses de ces séducteurs qui ne travaillent qu’à les perdre. Car de la même manière que la piété des saints de l’Ancien Testament consistait à s’opposer aux nouveautés des faux prophètes, qui étaient les casuistes de leurs temps, de même la piété des fidèles doit avoir maintenant pour objet de résister au relâchement des casuistes, qui sont les faux prophètes d’aujourd’hui [...].

Que si Dieu a traité de cette sorte le peuple Juif, dans les ombres et les ténèbres où il était, s’il ne leur a pas pardonné leurs crimes, quoiqu’ils s’y fussent engagés sur l’autorité de tant de docteurs graves et éminents en apparence, s’il n’a pas épargné les hommes des premiers temps, dit saint Pierre, comment traitera-t-il un peuple qu’il a rempli de tant de lumières et de tant d’effets de son amour, s’il a assez d’aveuglement et d’ingratitude pour se dispenser de l’aimer, sur la foi de quelques casuistes modernes qui l’en assurent ? »

On trouverait des idées analogues dans le fragment Laf. 967, Sel. 800. De sorte que s’il est vrai d’une part que quelques religieux relâchés et quelques casuistes corrompus, qui ne sont point membres de la hiérarchie, ont trempé dans ces corruptions, mais il est constant de l’autre que les véritables pasteurs de l’Église qui sont les véritables dépositaires de la parole divine, l’ont conservée immuable contre les efforts de ceux qui ont entrepris de la ruiner. [...] Car si quelques-uns de ces hommes qui par une vocation extraordinaire ont fait profession de sortir du monde et de prendre l’habit de religieux, pour suivre dans un état plus parfait que le commun des chrétiens sont tombés dans des égarements qui font horreur au commun des chrétiens et sont devenus entre nous ce que les faux prophètes étaient entre les Juifs, c’est un malheur particulier et personnel qu’il faut à la vérité déplorer, dont on ne peut rien conclure contre le soin que Dieu prend de son Église puisque toutes ces choses sont si clairement prédites et qu’il a été annoncé depuis si longtemps que ces tentations s’élèveraient de la part de ces sortes de personnes, que quand on est bien instruit on voit plutôt en cela des marques de la conduite de Dieu que de son oubli à notre égard.

 

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Abraham ne prit rien pour lui mais seulement pour ses serviteurs.

 

Genèse, XIV, 21-24. « Or le roi de Sodome dit à Abram : Donnez-moi les personnes, et prenez le reste pour vous. 22. Abram lui répondit : Je lève la main et jure par le Seigneur le Dieu très haut, possesseur du ciel et de la terre, 23. Que je ne recevrai rien de tout ce qui est à vous, depuis le moindre fil jusqu’à ce qu’à un cordon de soulier, afin que vous ne puissiez pas dire que vous avez enrichi Abram. 24. J’excepte seulement ce que mes gens ont pris pour leur nourriture, et ce qui est dû à ceux qui sont venus avec moi, Aner, Escol et Mambré, qui pourront prendre leur part du butin ».

Genèse, Préface de Le Maistre de Sacy. « On verra dans la manière dont Abraham se conduit envers l’intendant de sa maison et dont cet intendant se conduit envers Abraham, la manière pleine de bonté et d’humanité avec laquelle les maîtres se doivent conduire envers leurs serviteurs, et l’obéissance pleine d’affection, de fidélité et de respect que les serviteurs doivent conserver envers leurs maîtres ». Sacy renvoie à la Genèse, ch. XXIV, pour illustrer le désintéressement d’Abraham et sa générosité à l’égard de son serviteur.

Barnes Annie, Lettres inédites de Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, contient une Vie d’Abraham, p. 379-421.

Cazelles Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, p. 185 sq. Abraham, patriarche type avec ses vertus, sa fermeté et sa réussite. Il vit en étranger au milieu de princes puissants, capables même de lui prendre sa femme, mais il prospère avec l’appui de son Dieu. Les promesses divines sur sa postérité : p. 186. Le sacrifice d’Isaac : p. 186.

Sur l’Abraham de Pascal, voir Sellier Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., 2010, p. 471-483. Abraham prophète : p. 473. L’Abraham de Pascal n’est pas celui de la justification par la foi, cher à saint Paul. Pascal est muet sur la bigamie d’Abraham, sur les mensonges du patriarche à Pharaon et à Abimelech, et surtout sur le sacrifice d’Isaac. Abraham illustre la définition pascalienne du prophétisme, de parler de Dieu par sentiment intérieur et immédiat : p. 476.

 

Ainsi le juste ne prend rien pour soi du monde ni des applaudissements du monde, mais seulement pour ses passions desquelles il se sert comme maître en disant à l’une : Va et viens, sub te erit appetitus tuus. Les passions ainsi dominées sont vertus : l’avarice, la jalousie, la colère, Dieu même se les attribue. Et ce sont aussi bien vertus que la clémence, la pitié, la constance, qui sont aussi des passions. Il faut s’en servir comme d’esclaves et, leur laissant leur aliment, empêcher que l’âme n’y en prenne. Car quand les passions sont les maîtresses, elles sont vices et alors elles donnent à l’âme de leur aliment, et l’âme s’en nourrit et s’en empoisonne.

 

En marge de gauche se trouve une note fragmentaire barrée, que Tourneur lit, sans certitude, est quispiam, et dont l’origine et le sens demeurent obscurs.

Sub te erit appetitus tuus : « votre concupiscence sera sous vous, et vous la dominerez », Genèse, IV, 7 (tr. de Port-Royal). Paroles adressées à Caïn avant le meurtre d’Abel.

Voir le commentaire de ce passage dans Ferreyrolles Gérard, “Esquisse des passions vertueuses chez Pascal”, in L’intelligence du passé. Les faits, l’écriture et le sens. Mélanges offerts à Jean Lafond par ses amis, Publications de l’Université de Tours, Tours, 1988, p. 429-436. Pascal prend parti dans une controverse ancienne relative à la nature des passions. Les philosophes stoïciens condamnaient les passions comme incompatibles avec la sagesse, parce qu’elles sont des maladies de l’âme. Les péripatéticiens pensaient au contraire que les passions, soumises à la raison, sont bonnes et louables. Saint Augustin et saint Thomas d’Aquin penchent en ce second sens : les passions ne sont mauvaises que lorsqu’elles prennent le dessus sur la raison. Descartes sera dans une certaine mesure du même avis. Pascal, pense de son côté qu’il ne faut pas rejeter les passions, parce que l’on peut s’en servir pour le bien : c’est ce que, selon ce fragment, Abraham fait pour ses serviteurs.

Voir des références complémentaires dans la note de l’édition de M. Le Guern des Œuvres complètes de Pascal, II, Pléiade, p. 1504.

Le P. Senault, dans son Usage des passions, Leyde, Elzévier, éd. de 1658, consacre un traité au « commerce des passions avec les vertus et les vices », avec un Discours intitulé Que les passions sont les semences des vertus, suivi d’un second, Que les passions sont les semences des vices. Les deux suivants montrent « qu’il n’y a point de passions qui ne puissent être changées et vertus », et « que la conduite des passions est le principal emploi des vertus ».

Voir le bref commentaire de Havet, éd. des Pensées, t. 2, 1866, p. 219.

Pascal s’éloigne du discours commun des moralistes en ce qu’il ne considère pas les passions en général comme mauvaises en elles-mêmes. La clémence, la pitié et la constance, mais aussi l'avarice, la jalousie, la colère sont mises sur le même plan, comme passions, c’est-à-dire affections de l’âme, qui sont susceptibles d’être des vertus.

Cette manière de considérer les passions doit être rapportée à la distinction augustinienne de l’uti et du frui. Surcette distinction essentielle dans la doctrine augustinienne, le meilleur commentaire se trouve dans Saint Augustin, De doctrina christiana, I, 4, n. 4, Bibliothèque augustinienne, 11/2, Institut d’Études augustiniennes, 1997, note p. 449-463. Voir p. 456, les définitions : « Frui enim est amore alicui rei inhaerere propter seipsam », I, 4, 4 ; et pour uti, I, 22, 20 : « quaeritur utrum propter se homo ab homine diligendus sit, an propter aliud. Si enim propter se, fruimur eo ; si propter aliud, utimur eo ». Voir p. 456 sq., sur l’application de cette distinction dans différents contextes ; voir notamment p. 458 sq., sur les difficultés rencontrées par saint Augustin dans l’application à l’expression de la charité chrétienne.

Sur l’emploi propre que Pascal fait de la distinction de l’uti et du frui, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 152 sq. Uti et frui. Jouir d’une réalité, selon saint Augustin, c’est « s’attacher amoureusement à elle pour elle-même » ; en user, « c’est référer ce dont on use à ce qu’on aime et désire obtenir ». Le chrétien donc doit user du monde et non en jouir. En revanche, la réalité dont il faut jouir, c’est-à-dire à laquelle il faut tout rapporter comme fin ultime, c’est Dieu. La concupiscence fait user de tout pour soumettre tout ce qui existe à la satisfaction de l’amour de soi. Sur la manière dont Pascal reprend en termes lapidaires les notions qu’il trouve chez saint Augustin, voir p. 154.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes : la cupidité et la charité. Ce n’est pas que la cupidité ne puisse être avec la foi en Dieu et que la charité ne soit avec les biens de la terre, mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde, et la charité au contraire.

Si l’on est dominé par une passion, c’est-à-dire si l’on prend pour fin ce qu’elle fait convoiter, elle est un vice, « et l’âme s’en nourrit et s’en empoisonne ». En revanche, si la charité use des passions, et les ayant soumises, les fait servir aux fins de Dieu, elles deviennent des vertus. C’est ce que, selon ce fragment, Abraham fait pour ses serviteurs. Les passions ne doivent donc pas être rejetées en elles-mêmes.

On voit cependant que Pascal ne se rallie pas sur ce point à Descartes, qui entend soumettre les passions à la raison. Sur l’anticartésianisme de Pascal sur le sujet des passions, on peut consulter Carraud Vincent, Pascal. Des connaissances naturelles à l’étude de l’homme, p. 213-219.

Cette thèse s’appuie sur l’œuvre de Pascal lui-même, notamment dans la XIe Provinciale, où Pascal montre que la raillerie, telle qu’il l’a pratiquée, est « commune aux Pères de l’Église, et qu’elle est autorisée par l’Écriture, par l’exemple des plus grands saints, et par celui de Dieu même » (éd. Cognet, Garnier, p. 195-196), et qu’il ne l’a employée que dans le souci de ramener les jésuites à la raison. En revanche, que les injures des polémistes jésuites trahissent une haine violente, qui va jusqu’à souhaiter la damnation de leurs ennemis.

L’avarice, la jalousie, la colère, Dieu même se les attribue : le procédé qui consiste à invoquer la conduite de Dieu pour justifier une conduite humaine analogue à celles dont il est question ici est déjà présent dans la XIe Provinciale.

L’avarice : au sens classique d’avidité. L’avidité est une passion d’acquérir, complémentaire de la jalousie, qui est une passion de conserver ce que l’on possède. Le mot est ici d’autant plus surprenant que l’avarice, qui « se dit d’un trop grand attachement au bien », est un des sept péchés capitaux, que l’Écriture déclare à plusieurs reprises la haine que Dieu a de l’avarice. Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 304-305, ne mentionne pas cet « attribut » de Dieu.

Sur la jalousie, voir Descartes, Traité de passions, Art. 58, et  Art. 167, « De la jalousie. La jalousie est une espèce de crainte qui se rapporte au désir qu’on a de se conserver la possession de quelque bien ; et elle ne vient pas tant de la force des raisons qui font juger qu’on le peut perdre que de la grande estime qu’on en fait, laquelle est cause qu’on examine jusqu’aux moindres sujets de soupçon, et qu’on les prend pour des raisons fort considérables. » Descartes dit ensuite En quoi cette passion peut être honnête (Art. 168.), puis En quoi elle est blâmable (Art. 169). Sur la manière dont Dieu s’attribue la jalousie, voir Exode, XX, 5 : « Non adorabis ea, neque coles. Ego sum Dominus Deus tuus fortis, zelotes, visitans iniquitatem patrum in filios, in tertiam et quartam generationem eorum qui oderunt me » ; « Vous ne les [sc. les autres dieux] adorerez point, et vous ne leur rendrez point le souverain culte. Car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération dans tous ceux qui le haïssent ». Jaloux traduit le latin zelotes.

Sur la colère, voir Senault, Usage des passions, éd. de 1658, p. 439 sq., De la nature, des propriétés et des effets de la colère. La suite expose le bon et le mauvais usage de la colère. Voir aussi, d’une manière différente, Descartes, Traité des passions, Art. 199. « De la colère. La colère est aussi une espèce de haine ou d’aversion que nous avons contre ceux qui ont fait quelque mal, ou qui ont tâché de nuire, non pas indifféremment à qui que ce soit, mais particulièrement à nous. Ainsi elle contient tout le même que l’indignation, et cela de plus qu’elle est fondée sur une action qui nous touche et dont nous avons désir de nous venger. » Sur la colère que Dieu s’attribue, voir le fragment Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter. [...] Ainsi iratus est, Dieu jaloux, etc. Car les choses de Dieu étant inexprimables elles ne peuvent être dites autrement et l’Église d’aujourd’hui en use encore, quia confortavit seras,etc.

Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, ch. 91, § 16, éd. Michon, Garnier-Flammarion, p. 356. « Dieu est parfois dit en colère, dans la mesure où il veut, dans l’ordre de sa sagesse, punir quelqu’un ».

Mersenne Marin, L’impiété des déistes, I, ch. XIV, éd. D. Descotes, Paris, Champion, p. 214. « L’ire de Dieu n’est autre chose que l’aversion qu’il a du mal, comme d’un dérèglement, et d’une abolition de l’ordre, qu’il a établi. »

L’expression iratus est, que Pascal mentionne dans ce dernier fragment, est fréquente dans l’Écriture.

Nombres, XXII, 22. « Et iratus est Deus. Stetitque angelus Domini in via contra Balaam, qui insidebat asinae et duos pueros habebat secum » ; tr. de Port-Royal : « Alors Dieu se mit en colère, et l’ange du Seigneur se présenta dans le chemin devant Balaam qui était sur son ânesse, et qui avait deux serviteurs avec lui ».

Deutéronome, XXIX, 27. « Idcirco iratus est furor Domini contra terram istam ut induceret super eam omnia maledicta quae in hoc volumine scripta sunt » ; tr. de Port-Royal : « C’est pour cela que la fureur du Seigneur s’est allumée contre le peuple de cette terre ; qu’il a fait fondre sur eux toutes les malédictions qui sont écrites dans ce livre ».

Premier livre des rois, XI, 9. « Igitur iratus est Dominus Salomoni qud aversa esset mens ejus a Domino Deo Israel qui apparuerat ei secundo » ; tr. de Port-Royal : « Le Seigneur se mit donc en colère contre Salomon de ce que son esprit s’était détourné du Seigneur et Dieu d’Israël qui lui avait apparu une seconde fois ».

Deuxième livre de Samuel (Deuxième livre des Rois), VI, 7. « Iratusque est indignatione Dominus contra Ozam et percussit eum super temeritate qui mortuus est ibi juxta arcam Dei » ; tr. de Port-Royal : « En même temps la colère du Seigneur s’alluma contre Oza, et il le frappa à cause de sa témérité ; et Oza tomba mort sur la place devant l’arche de Dieu ».

Paralipomènes, XIII, 10. « Iratus est itaque Dominus contra Ozam et percussit eum eo quod contigisset arcam et mortuus est ibi coram Deo » ; tr. de Port-Royal : « Alors le Seigneur, irrité contre Oza, le frappa pour avoir touché l’arche ; et il tomba mort devant le Seigneur ».

Judith, XI, 17. « Et quoniam iratus est illis Deus hoc ipsa missa sum nuntiare tibi » ; tr. de Port-Royal : « [Dieu] étant en colère contre eux, m’a envoyée vers vous pour vous annoncer ces choses ».

Job, XLII, 7. « Postquam autem locutus est Dominus verba haec ad Job dixit ad Eliphaz Themaniten iratus est furor meus in te et in duos amicos tuos quoniam non estis locuti coram me rectum sicut servus meus Job » ; tr. de Port-Royal : « Le Seigneur, ayant parlé à Job de cette sorte, dit à Éliphaz de Théman : Ma fureur s’est allumée contre vous et vos deux amis, parce que vous n’avez point parlé devant moi dans la droiture de la vérité, comme mon serviteur Job ».

Psaumes, LXXIII, 1. « Ut quid Deus repulisti in finem : iratus est furor tuus super oves pascuae tuae ? » ; tr. de Port-Royal : « Pourquoi, ô Dieu, nous avez-vous rejetés pour toujours, et pourquoi votre fureur s’est-elle allumée contre les brebis que vous nourrissez dans vos pâturages ? »

Isaïe, V, 25. « Ideo iratus est furor Domini in populum suum, et extendit manum suam super eum, et percussit eum : et conturbati sunt montes, et facta sunt morticina eorum, quasi stercus in medio platearum. In his omnibus non est aversus furor ejus, sed adhuc manus ejus extenta ». Tr. de Port-Royal : « C’est pour cela que la fureur du Seigneur s’est allumée contre son peuple, qu’il a étendu sa main sur lui, et qu’il l’a frappé de plaies que les montagnes ont été ébranlées, et que leurs cadavres ont été jetés comme de l’ordure au milieu des places publiques. Et néanmoins après tous ces maux sa fureur n’est point encore apaisée, et son bras est toujours levé. »

La pitié : voir Descartes, Traité des passions, Art. 62. La moquerie, l’envie, la pitié.

La constance : sur la manière dont la constance peut être mise au service de la charité, voir :

Philosophes 8 (Laf. 146, Sel. 179). Stoïques. Ils concluent qu’on peut toujours ce qu’on peut quelquefois et que, puisque le désir de la gloire fait bien faire à ceux qu’il possède quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fiévreux que la santé ne peut imiter. Épictète conclut de ce qu’il y a des chrétiens constants que chacun le peut bien être.

Preuves de Jésus-Christ 18 (Laf. 316, Sel. 347). Qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en Jésus-Christ ? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante ? Oui, car le même saint Luc peint celle de saint Etienne plus forte que celle de Jésus-Christ. Ils le font capable de crainte, avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé c’est quand il se trouble lui-même et quand les hommes le troublent il est tout fort.