Miracles III  – Fragment n° 3 / 11 – Papier original : RO 453

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 457-457 v° / C2 : p. 255 v° à 257 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 230 /

1678 n° 14 p. 223

Éditions savantes : Faugère I, 283, L, LI, XLVIII ; I, 222, CXLI ; II, 233, XXVI ; II, 215, VI ; I, 325, XVIII ; II, 328, XXXV ; II, 134, XVI / Havet XXIV.74 ; XXV.61, 179 ; XXIII.29, 20 / Brunschvicg 875, 890, 508, 845, 844 bis, 813, 824, 881, 820, 300 / Tourneur p. 153-2 / Le Guern 698 / Lafuma 866 à 876 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 440

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941.

FERREYROLLES Gérard, “Lecture pascalienne des miracles en Montaigne”, in Montaigne et les Essais, 1580-1980, Actes du congrès de Bordeaux, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1983, p. 121-134.

GAZIER Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar. Étude historique et critique avec trois similigravures, Paris, Champion, Paris, 1912.

LANSON Gustave, “Les Provinciales et le livre de La Théologie Morale des Jésuites”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1900, p. 169-195.

LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

MORIARTY Michael, “Pascal, Molina et le molinisme”, Quaderni leif, 13, Université de Catane, 2015, p. 77-90.

SIMON M. et BENOIT A., Le judaïsme et le christianisme antique, Paris, Presses Universitaires de France, 1968.

TAVARD Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969.

THIROUIN Laurent et KRUMENACKER Yves, Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, Chrétiens et Sociétés, n° 5, Université Lyon II, 2006.

THIROUIN Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015.

 

 

Éclaircissements

 

Perpétuité.

 

Voir la liasse Perpétuité. La réflexion de Pascal commence sur la notion de perpétuité, qui est à ses yeux une des marques de la vérité de la religion catholique, et sur la manière dont la perpétuité fait défaut à ses ennemis.

 

Votre caractère est‑il fondé sur Escobar ?

 

Caractère : ce qui résulte de plusieurs marques particulières, qui distingue tellement une chose d’une autre, qu’on la puisse reconnaître aisément. Celui qui s’accoutume à dire des plaisanteries a un mauvais caractère d’esprit, dit M. Pascal. Il n’y a point de passion qui n’ait son caractère particulier, toutes les nations ont aussi chacune leur caractère, soit par leurs vertus, soit par leurs vice (Furetière). Pascal emploie fréquemment ce terme en ce sens, avec des nuances subtiles :

Vanité 13 (Laf. 25, Sel. 59). La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur font que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leur personne d’avec leur suite qu’on y voit d’ordinaire jointe. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : Le caractère de la divinité est empreint sur son visage,etc.

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Imagination. C’est cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours, car elle serait règle infaillible de vérité, si elle l’était infaillible du mensonge. Mais étant le plus souvent fausse elle ne donne aucune marque de sa qualité marquant du même caractère le vrai et le faux.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). C’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c’est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu que notre imagination se perde dans cette pensée.

Laf. 432 série XXX, Sel. 662. Les gens de cette sorte sont académistes, écoliers, et c’est le plus méchant caractère d’hommes que je connaisse. (texte barré verticalement)

Preuves par les Juifs VI (Laf. 471, Sel. 708). Pour moi, j’avoue qu’aussitôt que la religion chrétienne découvre ce principe, que la nature des hommes est corrompue et déchue de Dieu, cela ouvre les yeux à voir partout le caractère de cette vérité ; car la nature est telle, qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme, et hors de l’homme, et une nature corrompue.

Laf. 670, Sel. 549. Diseur de bons mots, mauvais caractère.

Miracles III (Laf. 897, Sel. 448). Comminuentes cor. Saint Paul. Voilà le caractère chrétien. Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. Corneille. Voilà le caractère inhumain. Le caractère humain est le contraire.

 

Sur le jésuite espagnol Antonio Escobar y Mendoza (né à Valladolid en 1589 - décédé le 4 juillet 1669), théologien, exégète et prédicateur et auteur d’un Liber Theologiae moralis viginti et quatuor Societatis Jesu doctoribus reseratus, Lyon, 1644, qui a connu de nombreuses rééditions, voir la note sur Pascal et Escobar de l’édition de la Pochothèque, Pascal Blaise, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, p. 335, et à défaut la note de Pascal, Œuvres, éd. Le Guern, I, Pléiade, p. 1170 sq. Le Dictionnaire de théologie catholique comprend un article sur Escobar. Sur son œuvre, on peut recourir à De Backer Augustin et Alois, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, Deuxième série, Liège, 1884, p. 173-176, ou à Sommervogel, Bibliothèque de la compagnie de Jésus, Bruxelles, 1890-1900, t. 3. Pascal a utilisé l’édition de Bruxelles, 1651.

Escobar Escobar-Liber

 

Escobar et sa Théologie morale.

Sur l’apparition d’Escobar dans les querelles entre Port-Royal et les jésuites, voir la note de GEF IV, p. 286. En 1651, Arnauld mentionne dans sa Remontrance aux pères jésuites « le livre mystérieux de votre Théologie morale, recueillie par un jésuite espagnol des vingt-quatre plus habiles d’entre vos docteurs, qu’il ne craint pas d’appeler par l’esprit d’humilité qui anime votre compagnie les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, auxquels l’Agneau a découvert les secrets et les mystères de son livre », mais sans donner le nom d’Escobar. En revanche, il le nomme en passant avec le titre de son livre dans L’innocence et la vérité défendues contre les calomnies et les faussetés que les jésuites ont employées en divers libelles de 1652, Seconde partie, Article IV, p. 93-94. Pascal a fait d’Escobar le modèle du jésuite casuiste corrompu dans les Provinciales (voir notamment la cinquième lettre).

Gazier Augustin, Blaise Pascal et Antoine Escobar. Étude historique et critique avec trois similigravures, ne contient que peu de renseignements sur Escobar lui-même, car il ne vise pas à en faire une étude historique, mais à justifier Pascal contre le livre de Karl Weiss, P. Antonio de Escobar y Mendoza als moraltheologe, in Pascals Beleuchtung und im lichte der wahrheit, Fribourg, 1911.

Lanson Gustave, “Les Provinciales et le livre de La Théologie Morale des Jésuites”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1900, p. 169-195.

Pascal, Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. XXXIX. Voir la Provinciale V.

Arnauld Antoine, Remontrance aux pères jésuites touchant un libelle qu’ils ont fait courir dans Paris, sous ce faux titre : La manifeste de la véritable doctrine des jansénistes, telle qu’on la doit exposer au peuple, composé par l’assemblée du Port-Royal, Œuvres, XXIX, p. 514, présente Escobar dans des termes qui annoncent ceux de Pascal. « N’est-ce point encore favoriser le vice et la prostitution que d’enseigner, comme vous faites dans le livre mystérieux de votre théologie morale, recueillie par un jésuite espagnol des vingt-quatre plus habiles d’entre vos docteurs, qu’il ne craint pas d’appeler par l’esprit d’humilité qui anime votre compagnie, les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, auxquels l’Agneau a découvert les secrets et les mystères de son livre... »

Les Provinciales de Pascal, éd. Havet, 1887, I, p. 106-107.

Maynard Ulysse, Les Provinciales et leur réfutation, t. 1, Paris, Didot, 1851, p. 207. Portrait d'Escobar comme un « humble religieux », à « l’âme et aux intentions si pures » qu’il ne comprenait pas pourquoi son nom était « passé à l’état de nom commun » pour « personnifier le mauvais casuisme ».

Pascal a tiré un adjectif du nom d’Escobar. Voir Laf. 692, Sel. 571 : Montalte. Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes qu’il est étrange que les leurs déplaisent. C’est qu’ils ont excédé toute borne. Et de plus il y a bien des gens qui voient le vrai et qui n’y peuvent atteindre, mais il y en a peu qui ne sachent que la pureté de la religion est contraire à nos corruptions. Ridicule de dire qu’une récompense éternelle est offerte à des mœurs escobartines.

 

Tertullien : Nunquam Ecclesia reformabitur.

 

Sur Tertullien, voir Premiers écrits chrétiens, éd. Pouderon, Salamito et Zarini, Pléiade, Paris, Gallimard, 2016, p. 829 sq. et p. 1379-1383. Texte de l’Apologétique et notes. Voir l’article « Tertullien et Augustin », in Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 1397-1401. Sur le point de l’unité de l’Église, voir Simon M. et Benoit A., Le judaïsme et le christianisme antique, p. 166-167.

Nunquam ecclesia reformabitur : voir Tertullien, De virginibus velandis (Du voile des vierges) : « Regula quidem fidei una omnino est, sola immobilis, et irreformabilis ». Voir Œuvres, t. 3, tr. De Genoude, Paris, Vivès, 1852 : « La règle de la foi est absolument une, règle seule immuable, n’admettant aucune réforme ». Ce n’est pas l’Église qui ne sera jamais réformée, selon ce texte de Tertullien, c’est la règle de la foi qui est immuable. Pascal cite sans doute de mémoire.

Tertullien précise du reste que ce point admis, ce qui touche la discipline et la conduite admet des modifications. On trouve une réflexion sur la manière dont l’Église peut adapter ses sacrements selon les temps dans la Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 45-60 ; voir surtout l’introduction de J. Mesnard, p. 51-52, qui évite des erreurs sur le sens de cet opuscule mal connu et souvent mal compris.

Pascal invoque aussi Tertullien dans le fragment Miracles III (Laf. 882, Sel. 444) (dans l’exemple de la poule). Athées. Quelle raison ont-ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Quel est plus difficile de naître ou de ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? Est-il plus difficile de venir en être que d’y revenir. La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible. Populaire façon de juger. Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter ? Une poule ne fait-elle pas des œufs sans coq ? Quoi les distingue par dehors d’avec les autres ? Et qui nous a dit que la poule n’y peut former ce germe aussi bien que le coq ?

 

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Peut‑être avez‑vous des raisons pour ne les pas condamner.

Il suffit que vous approuviez ce que je vous en adresse.

 

Expression sans doute ironique. Pascal fait sans doute l’hypothèse que les jésuites ont de bonnes raisons de ne pas condamner les casuistes corrompus. Mais il ajoute qu’il lui suffit qu’ils approuvent les opinions probables de ces casuistes qu’il rapporte dans les Provinciales, pour confirmer le reproche de corruption qu’il leur adresse. C’est bien ce que fait le P. Nouët dans ses réponses aux Provinciales, et ce que fera, de manière beaucoup plus claire le P. Pirot dans son Apologie pour les casuistes.

 

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Le pape serait‑il déshonoré pour tenir de Dieu et de la tradition ses lumières ? Et n’est‑ce pas le déshonorer de le séparer de cette sainte union, etc.

 

Thème que l’on trouve développé dans les Provinciales, notamment XVII et XVIII : le pape, comme tous les chefs de l’Église, doit trouver son inspiration dans la parole de Dieu (dans les Écritures) et dans la Tradition.

Sur la notion de tradition telle qu’elle est conçue au XVIIe siècle en France, il faut recourir au livre de Tavard Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris, Cerf, 1969, qui traite la question de façon approfondie.

Tradition : voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Tradition, p. 624-626. Tradition se dit, d’une façon générale, de toute transmission d’une connaissance ou d’une pratique. Les rabbins savent déjà que la parole de Dieu se transmet dans le peuple de Dieu et par le peuple de Dieu. La tradition prophétique que transmet tout le corps de l’Église se distingue de la tradition épiscopale.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, p. 44 sq. Le concile de Trente déclare que la Révélation est contenue non seulement dans l’Écriture, mais dans les Traditions non écrites (sine scripto traditionibus). La tradition divine, qui remonte à la « bouche du Christ » (traditio dominica), la tradition qui remonte aux communications du Saint-Esprit et la tradition dogmatique forment les vérités révélées que les apôtres ont reçues du Christ et que l’Église a transmises. On distingue traditio divina et traditio ecclesiastica. En dehors de l’Écriture, la Tradition doit être acceptée comme une source propre de la foi. Les critères de la tradition sont l’universalité, l’antiquité et la concordance : p. 49. L’Écriture et la Tradition sont deux sources propres, juxtaposées de la foi ; on doit les recevoir avec le même respect : p. 50. Mais l’Écriture conserve dans son contenu et dans sa forme un avantage sur la Tradition. Elles se prêtent un appui mutuel.

Boulenger A., La doctrine catholique, I, Dogme, § 17, Paris, Vitte, p. 18. Le mot tradition a un double sens. Dans le sens large, c’est l’ensemble des vérités révélées par Dieu et transmises soit par écrit, soit de vive voix. Dans le sens strict, la tradition comprend les vérités enseignées par Jésus-Christ et les apôtres et transmises d’âge en âge par une autre voie que l’Écriture sainte. La tradition est antérieure à l’Écriture sainte, puisque l’instruction orale a précédé l’enseignement écrit : p. 18-19. La tradition est une source de la Révélation, distincte de l’Écriture sainte, et qui mérite la même foi. Ses principaux canaux sont les symboles et les professions de foi, les définitions des conciles, les actes des papes (bulles, encycliques, etc.), les écrits des Pères et des docteurs de l’Église, l’enseignement unanime des théologiens et la pratique générale et constante de l’Église, et enfin la liturgie.

Saint Augustin, Œuvres, t. 22, Bibliothèque augustinienne, Paris, Desclée de Brouwer, 1975, p. 788 sq. Note Règle de foi et Tradition. « Consulat regulam fidei quam de Scripturarum planioribus locis et Ecclesiae auctoritate percepit », De Doctrina christiana, III, 2, 2. Augustin fait appel à la tradition apostolique pour résoudre les problèmes douteux relatifs aux vérités révélées : p. 789. Il n’y a pas de distinction entre l'Écriture et la Tradition comme règle de foi selon saint Augustin : p. 790.

Sur la notion de tradition, voir les indications de Perpétuité 7 (Laf. 285, Sel. 317).

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 1417 sq. Tradition.

Sur le sens de ce mot dans la religion juive, voir l’article Tradition dans le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, p. 1140.

Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 82 sq. Pascal considère la Tradition comme la pierre de touche de la vérité religieuse. Toute opinion de théologie dogmatique ou morale n’est vraie que dans la mesure où, ayant son fondement dans la Bible, elle se trouve en conformité avec l’enseignement traditionnel de l’Église. Les Provinciales font sans cesse appel à ce critère : au nom de la tradition, Pascal s’en prend au molinisme et à la casuistique, car les casuistes sont en rupture avec la tradition ecclésiastique : p. 83. Sur la question de la grâce, le molinisme rejoint l’hérésie semi-pélagienne. De l’idée de tradition découle la fixité immuable des dogmes chrétiens à tous les points de vue : la vérité religieuse exclut toute sorte de progrès.

Les positions de Pascal sur la tradition peuvent être utilement comparées à celles que soutient Antoine Arnaud, étudiées par Tavard Georges, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre.

 

Pour faire d’un homme un saint il faut bien que ce soit la grâce et qui en doute ne sait ce que c’est que saint, et qu’homme.

 

Ne sait ce que c’est que saint : les vertus qui font la sainteté sont très au-dessus des forces de l’homme, elles ne sont pas accessibles sans la grâce.

Et qu’homme : la vanité, l’inconstance et l’aveuglement sont des composantes essentielles de la nature de l’homme. Voir les liasses Vanité, Misère et Ennui.

Il faut bien que ce soit la grâce : la grâce de Dieu est non seulement efficace mais victorieuse, de sorte qu’elle seule, et elle seule, peut triompher des faiblesses de l’homme et le conduire à la sainteté. Sur le sens de l’expression grâce victorieuse, voir Lalane Noël, De la grâce victorieuse de Jésus-Christ, ou Molina et ses disciples convaincus de l’erreur des Pélagiens et des semi-Pélagiens sur le point de la grâce suffisante soumise au libre-arbitre, selon les actes de la Congrégation de Auxiliis. Pour l’explication des cinq propositions de la grâce équivoques et ambiguës, et la plupart fabriquées à plaisir, insérées dans une lettre envoyée depuis peu à Rome, par le sieur de Bonlieu, docteur en théologie, Paris, 1651.

La délectation engendrée dans l’âme de l’homme est proprement victorieuse parce qu’elle triomphe invinciblement la délectation de concupiscence. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 329 sq. et surtout p. 331, n. 1. « Quod amplius nos delectat, secundum id operemur necesse est », Expos. Epist. Ad. Galat., 5, n. 49.

Saint Augustin, Œuvres, Premières polémiques contre Julien, Bibliothèque augustinienne, t. 23, p. 778-787, note sur La théorie augustinienne de la délectation victorieuse. La doctrine de la délectation n’est pas contraire à la liberté : pour saint Augustin, la preuve que le pécheur exerce sa liberté en commettant le péché, c’est le plaisir qu’il prend au péché ; de même le juste exerce sa liberté en faisant le bien sous l’effet de la grâce parce qu’il prend plaisir au bien qu’il fait : p. 779. La décision de ne pas consentir à la delectatio peccandi est présentée comme une delectatio justitiae : p. 780. La grâce n’impose pas de contrainte à la volonté ; elle épouse sa spontanéité en substituant la délectation du bien à celle du mal : p. 781.

Thirouin Laurent et Krumenacker Yves, Les écoles de pensée religieuse à l’époque moderne, Chrétiens et Sociétés, n° 5, p. 39 sq. La référence fondamentale est la formule de saint Augustin dans son Expositio Epistulae ad Galatos, V, 49 : « Quod enim amplius nos delectat, secundum id operemus necesse est », « Il est nécessaire que nous agissions conformément à ce qui nous charme le plus » : p. 40. Principe : toute action volontaire de l’homme, quelles que soient les formes qu’elle prenne, est la résultante d’un plaisir. On ne peut se déterminer qu’en fonction d’un bien convoité. La discussion porte surtout sur l’idée de delectatio victrix : p. 41 sq. La délectation est dite victrix, non parce qu’elle triomphe de la volonté, mais parce qu’elle vainc une autre délectation concurrente : p. 42. Voir Jansénius, Augustinus, t. III, Gratia Christi, livre VIII, c. 2 : « La délectation victorieuse, qui est un secours efficace pour saint Augustin, est relative. En effet, elle est victorieuse quand elle en surmonte une autre. S’il arrive que l’autre soit plus forte l’âme sera attachée sans suite à des désirs inefficaces, et ne voudra jamais efficacement ce qu’elle doit vouloir ».

Sur ce sujet, voir la discussion de De Lubac Henri, Augustinisme et théologie moderne, p. 92 sq.

 

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Les hérétiques ont toujours combattu ces trois marques qu’ils n’ont point.

 

Une des distinctions principales de la logique argumentative des Pensées concerne les marques de la religion chrétienne de ses preuves : l’analyse de cette distinction, particulièrement à propos de l’édition de Port-Royal à l’établissement de laquelle ont participé des théologiens, est pertinente, et sa portée peut être précisée et accrue, par le rapprochement avec la notion classique de Notes de l’Église, telle qu’elle a été définie dans les premiers temps du christianisme. Les notes de l’Église sont l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité. L’Église catholique a toujours considéré que même aux incroyants, elles permettaient de reconnaître la véritable religion.

Boulenger A., Manuel d’apologétique, Introduction à la doctrine catholique, Vitte, Lyon-Paris, 1928, § 340 sq., p. 356 sq. Les notes sont des signes extérieurs et visibles grâce auxquels on peut reconnaître la vraie Église et la discerner de celles qui sont fausses. Le concile de Nicée-Constantinople au IVe siècle en propose quatre. Les notes sont soit négatives, soit positives, p. 357, § 343. La note négative est celle dont l’absence démontrerait la fausseté d’une Église, mais dont la présence ne suffit pas à en démontrer la vérité. Ces notes négatives peuvent être multipliées à l’infini et appartenir à n’importe quelle Église ou n’importe quelle religion : qu’une religion enseigne le monothéisme, qu’elle prescrive le bien et défende le mal, cela ne suffit pas à prouver que c’est la vraie. La note positive est celle dont la présence démontre la vérité de l’Église où elle se trouve ; c’est la propriété exclusive de la vraie Église. Il y a des critères insuffisants : § 345, p. 358. L’infaillibilité par exemple est un critère essentiel, mais ce n’est pas un critère visible : p. 358. L’exigence de visibilité des notes fait qu’on ne peut retenir comme notes ni la prédication exacte de l’Évangile, ni l’administration correcte des sacrements (contre les protestants) : p. 358-359. Les quatre notes du concile de Nicée-Constantinople et leur valeur respective : p. 359 sq.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941, ch. III, p. 198 sq. Propriétés et notes de l’Église. Les notes ou signes distinctifs sont des propriétés essentielles de l’Église qui ont pour particularité de la rendre visible et par suite reconnaissable : p. 199. Le nombre des notes s’élève à quatre selon le symbole de Nicée : p. 199. La preuve de la visibilité de l’Église se fait en démontrant que ses éléments essentiels sont visibles : p. 204.

Le concile de Constantinople (381) ajoute au Symbole de Nicée in unam, sanctam, catholicam et apostolicam ecclesiam dans l’Expositio fidei CL patrum ; voir Conciliorum oecumenicorum decreta. Les notes de l’Église sont donc l’unité, la sainteté, la catholicité et l’apostolicité.

Hurter H., Theologia generalis, I, Tractatus III, De Ecclesia Christi, Caput III, De proprietatibus Ecclesiae, et caput IV, De notis Ecclesiae, Oeniponte, Libraria academica wagneriana, 1896, p. 304 sq. et p. 329 sq. « Inquirendum restat quomodo Christi Ecclesia agnosci dignoscique possit. Thesis LXII, Pura Evangelii praedicatio et legitima sacramentorum administratio haberi nequeunt tamquam notae sive solae sive praecipuae Ecclesiae verae, § 317, p. 329. Thesis LXIII, Unitas, sanctitas, catholicitas et apostolicitas, quae sunt proprietates Ecclesiae Christi, jure optimo ejusdem notae necessariae et sufficientes existimantur, § 319, p. 330. Visibilité des notes : p. 330. Caractère essentiel des notes : p. 330. Thesis LXIV, Recensitae notae illi soli coetui competunt, qui communione cum romano pontifice sociatur : ideoque ille solus vera Christi Ecclesia censeri debet : § 321, p. 331.

Sur l’unité, voir Boulenger, Manuel d’apologétique, Introduction à la doctrine catholique, § 349 sq., p. 361 sq. Subordination de tous les fidèles à la même hiérarchie et au même magistère enseignant. L’Église romaine possède la note d’unité : § 380, p. 384. Voir aussi Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, § 149, p. 206 sq.

Sur la sainteté, voit Boulenger, Ibid., § 348 sq., p. 360 sq. Propriété essentielle des principes et des membres : p. 360. L’Église romaine possède la note de sainteté : § 379, p. 383. Voir aussi Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, § 150, p. 209 sq.

Sur la catholicité, voir Boulenger, Ibid., § 350 sq., p. 361 sq. Propriété essentielle, l’Église est universelle : p. 362. Voir aussi Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, § 151, p. 211 sq. ; et Bouyer, Dictionnaire théologique, p. 126-127. Étymologiquement, le mot catholicité est synonyme d’universalité. On distingue la catholicité de droit, par laquelle l’Église est ouverte à tous les hommes, et la catholicité de fait, que son œuvre missionnaire tend à réaliser.

Sur l’apostolicité, voir Boulenger, Ibid., § 351 sq., p. 362 sq. Succession continue et légitime du gouvernement de l’Église depuis les apôtres. Apostolicité de gouvernement : p. 362. L’Église romaine possède la note d’apostolicité : § 382, p. 385. Voir aussi Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, § 152, p. 214 sq.

Pascal estime que la vérité de la religion chrétienne se découvre en effet par les marques qu’elle donne d’elle-même, mais celles qu’il propose sont différentes des notes dont il vient d’être question :

A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Je n’entends point que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis, et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser, et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne, quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connaître si elles sont ou non.

Mais ces marques ne se confondent pas avec les notes dont il est question plus haut. Celles que Pascal invoque sont la perpétuité, la bonne vie et les miracles. Il les nomme dans le fragment Miracles III (Laf. 894, Sel. 448)Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles.Ils détruisent la perpétuité par la probabilité, la bonne vie par leur morale, les miracles en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence.Si on les croit l'Église n'aura que faire de perpétuité, sainteté, ni miracles.Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence, eux de même, mais il faudrait n'avoir point de sincérité pour les nier, ou avoir perdu le sens pour nier la conséquence.

 

Perpétuité.

Molina.

Nouveauté.

 

Luis Molina est un jésuite, né à Cuenca en 1535 et mort en 1600. Il fut élève de Fonseca à l’université de Coïmbra, professeur de théologie à Evora, puis à Madrid. Ses ouvrages eurent une grande influence sur Suarez et Vasquez. Il entra en conflit avec les Dominicains qui dénoncèrent ses écrits comme contraires à l’orthodoxie et à la doctrine de saint Thomas. Il est l’auteur d’un De concordia liberi arbitrii cum divinae gratiae donis, 1588.

Molina

 

On trouve un exposé substantiel de ses doctrines dans le Dictionnaire de théologie catholique, article Molinisme. On appelle molinisme le système qui accorde une très large part à l’autonomie du libre arbitre humain et insiste sur la prédestination post prævisa merita et la grâce suffisante, qui n’a son effet que par une libre décision de l’homme.

Pour une présentation plus synthétique, voir Bartmann Bernard, Précis de Théologie Dogmatique, t. I, p. 164-166, et t. II, p. 89-90, qui permet d’ordonner les idées.

On trouve aussi une synthèse claire due à L. Ceyssens dans Bluche François, Dictionnaire du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1990, dans les articles Molina, p. 1044, et Molinisme, p. 1044-1045.

Molina représente, aux yeux des jansénistes, comme le fantôme du pélagianisme, dont il renouvelle les erreurs sur la grâce et la nature de l’homme. Pascal développe avec clarté ce point de la doctrine théologique de Molina sur la grâce dans la section Restes des pélagiens du Traité de la prédestination, dernier en date des Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 796-797.

Moriarty Michael, “Pascal, Molina et le molinisme”, Quaderni leif, 13, Université de Catane, 2015, p. 77-90.

Note directement liée à la précédente. Ce que Pascal souligne surtout dans la présente note, c’est que le molinisme, à force d’introduire des erreurs dans la théologie de la grâce, ruine la perpétuité de l’Église catholique.

Flint Thomas P., Divine Providence, the Molinist Account, Cornell University Press, Ithaca and London, 1998.

 

Miracles.

Que je hais ceux qui font les douteux des miracles. Montaigne en parle comme il faut dans les deux endroits. On voit en l’un combien il est prudent et néanmoins il croit en l’autre et se moque des incrédules.

 

Le latin dubius signifie, selon le contexte, indécis en parlant des hommes, ou incertain en parlant des choses.

Douteux signifie selon Furetière problématique. C’est une question fort douteuse (Furetière). Richelet et le Dictionnaire de l’Académie de même. Mais ce sens ne semble pas convenir ici.

Furetière ne donne pas le mot douteur, que l’on pourrait attendre. Tourneur, p. 154, se demande si douteux n’est pas une inadvertance pour douteurs. Havet et Brunschvicg lisent douteurs.

Douteux signifie ordinairement incertain. Incertain signifie à la fois qui est l’objet d’une incertitude, et qui est sujet au doute. Peut-être Pascal déplace-t-il le sens de douteux d’une manière analogue de l’objet dont on doute au sujet qui doute.

Le verbe haïr ne s’applique évidemment pas, dans l’esprit de Pascal, aux personnes mêmes, mais seulement à l’attitude intellectuelle qui consiste à mettre les miracles en doute.

Pascal ne prend pas Montaigne pour un douteux en matière de miracles ; voir Essais, I, 27, éd. Garnier, I, p. 196 ; et III, 11, p. 474. Voir l’analyse de Ferreyrolles Gérard, “Lecture pascalienne des miracles en Montaigne”, in Montaigne et les Essais, 1580-1980, Actes du congrès de Bordeaux, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1983, p. 121-134. G. Ferreyrolles analyse la manière dont Pascal peut entendre Montaigne comme à la fois pour et contre les miracles, sans contradiction.

Sur la manière dont Pascal, en général, lit et entend Montaigne, voir Thirouin Laurent, Pascal ou le défaut de la méthode. Lecture des Pensées selon leur ordre, Paris, Champion, 2015, p. 157 sq. Montaigne demi-habile ? Voir le dossier thématique sur Montaigne.

Sur ceux qui déclarent les miracles impossibles, voir Miracles III (Laf. 882, Sel. 444). Athées. Quelle raison ont-ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Quel est plus difficile de naître ou de ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? Est-il plus difficile de venir en être que d’y revenir. La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible. Populaire façon de juger. Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter ? une poule ne fait-elle pas des œufs sans coq ? Quoi les distingue par dehors d’avec les autres ? Et qui nous a dit que la poule n’y peut former ce germe aussi bien que le coq ?

Les deux endroits de Montaigne dont il est question dans ce passage :

Montaigne, Essais, III, 11, Des boiteux, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 1073. « J'ai vu la naissance de plusieurs miracles de mon temps. Encore qu'ils s'étouffent en naissant, nous ne laissons pas de prévoir le train qu'ils eussent pris, s'ils eussent vécu leur âge. Car il n'est que de trouver le bout du fil, on en dévide tant qu'on veut : Et il y a plus loin, de rien à la plus petite chose du monde, qu'il n'y a de celle-là, jusques à la plus grande. Or les premiers qui sont abreuvés de ce commencement d'étrangeté, venant à semer leur histoire, sentent par les oppositions qu'on leur fait, où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroit de quelque pièce fausse. Outre ce que, insita hominibus libidine alendi de industria rumores, nous faisons naturellement conscience, de rendre ce qu'on nous a prêté, sans quelque usure, et accession de notre cru. L'erreur particulier fait premièrement l'erreur publique : et à son tour après, l'erreur publique fait l'erreur particulière. Ainsi va tout ce bâtiment, s’étoffant et formant, de main en main : de manière que le plus éloigné témoin en est mieux instruit que le plus voisin : et le dernier informé, mieux persuadé que le premier. C'est un progrès naturel ».

Montaigne, Essais, I, 27 (26), C’est folie de rapporter le vrai et le faux à notre suffisance, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 185 « C’est une sotte présomption d’aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas vraisemblable ».

Sur les douteurs, on peut se demander si Arnauld ne se rappelle pas une discussion avec Pascal sur les miracles, lorsqu’il a composé l’opuscule Réplique ou réfutation de la réponse à un écrit touchant la véritable intelligence des mots de sens de Jansénius dans la constitution du pape, pour la dispute qu’il avait avec Pascal sur la signature du formulaire en 1661 : voir Arnauld Antoine, Ms. 140 de la Bibliothèque du Patrimoine de Clermont-Ferrand, f° 45 v., et OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1300-1301. « Il y en a, par exemple, qui s’imaginent qu’il y a de la force d’esprit à douter de tous les miracles, sans en avoir d’autre raison sinon qu’on en a souvent raconté qui ne se sont pas trouvés véritables, et qu’il n’y avait plus lieu de croire les uns que les autres.

Les autres au contraire feraient conscience de douter d’aucun miracle, parce qu’ils s’imaginent qu’ils seraient obligés de douter de tous, s’ils doutaient d’aucun, et qu’ils se persuadent que ce leur est assez de savoir ce qui est possible à Dieu pour croire tout ce qu’on leur dit des effets de sa toute-puissance.

La disposition de ces derniers est bien meilleure que celle des premiers ; mais il est vrai néanmoins que les uns et les autres raisonnent également mal. Car la possibilité de tous ces miracles n’est pas une raison suffisante pour nous les faire croire tous, Dieu ne faisant pas tout ce qu’il peut faire ; et ce n’en est pas aussi une de n’en croire aucun de ce qu’il s’est trouvé quelques personnes assez méchantes pour en feindre de faux, ou de ce que d’autres ont pris pour miracles ce qui n’était qu’un effet de la nature.

Mais il faut croire les miracles quand on a raison de les croire, et ne les pas croire quand on a raison de ne les croire pas ; et on a raison de les croire, quand ils sont accompagnés de circonstances qui ne nous donnent aucun sujet d’y soupçonner aucune fausseté, mais qui nous donnent, au contraire, toute sorte d’assurance qu’il n’y a que vérité et que sincérité dans le rapport qu’on nous en fait.

Je soutiens, par exemple, que ces circonstances se sont rencontrées dans les deux miracles qui sont arrivées à Port-Royal, et particulièrement dans le premier, et qu’il n’y a point d’homme raisonnable qui puisse douter au moins du fait ; c’est-à-dire de la maladie dans toute sa grandeur, et de la guérison dans toute sa perfection, pourvu qu’il fasse attention à toutes les circonstances et aux témoignages de toutes les personnes du dedans et du dehors de la maison qui en ont attesté la vérité » : p. 1300-1031.

 

Quoi qu’il en soit, l’Église est sans preuve s’ils ont raison.

Ou Dieu a confondu les faux miracles ou il les a prédits. Et par l’un et l’autre il s’est élevé au‑dessus de ce qui est surnaturel à notre égard, et nous y a élevés nous‑mêmes.

 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

Il s'est élevé au-dessus de ce qui est surnaturel à notre égard : l’édition Sellier met entre parenthèses la formule « surnaturel à notre égard », qui est une expression technique.

Voir dans le fragment Miracles I (Laf. 830, Sel. 419), § 3, les expressions quoad subjectum et quoad ordinem naturae, qui appartiennent au style scolastique. Saint Thomas parle de miracula quoad nos dans la Somme théologique, Q. 110, art. 4, ad secundum. « Miracula simpliciter loquendo, dicuntur, ut dictum est, cum aliqua fiunt praeter ordinem totius naturae creatae. Sed quia non omnis virtus naturae creatae est nota nobis, ideo cum aliquid fit praeter ordinem naturae creatae nobis notae, per virtutem creatam nobis ignotam, est miraculum quoad nos. Sic igitur cum daemones aliquid faciunt sua virtute naturali, miracula dicuntur non simpliciter, sed quoad nos. Et hoc modo magi per daemones miracula faciunt » (Référence fournie par Philippe Sellier). Quoad : à l’égard de...

 

L’Église enseigne et Dieu inspire l’un et l’autre infailliblement. L’opération de l’Église ne sert qu’à préparer à la grâce, ou à la condamnation. Ce qu’elle fait suffit pour condamner, non pour inspirer.

 

Cette différence entre Dieu qui connaît le for intérieur et son Église qui ne connaît que les conduites extérieures est expliquée dans un autre passage, la pensée n° 10K (Laf. 923, Sel. 753)Sur les confessions et absolutions sans marques de regret. Dieu ne regarde que l’intérieur, l’Église ne juge que par l’extérieur. Dieu absout aussitôt qu’il voit la pénitence dans le cœur ; l’Église, quand elle la voit dans les œuvres. Dieu fera une Église pure au-dedans, qui confonde par sa sainteté intérieure et toute spirituelle, l’impiété intérieure dessages superbes et des pharisiens. Et l’Église fera une assemblée d’hommes dont les mœurs extérieures soient si pures qu’elles confondent les mœurs des païens ; s’il y en a d’hypocrites, mais si bien déguisés qu’elle n’en reconnaisse pas le venin, elle les souffre. Car, encore qu’ils ne soient pas reçus de Dieu qu’ils ne peuvent tromper, ils le sont des hommes qu’ils trompent. Et ainsi elle n’est pas déshonorée par leur conduite, qui paraît sainte.

L'opération de l'Église ne sert qu'à préparer à la grâce, ou à la condamnation. Ce qu'elle fait suffit pour condamner, non pour inspirer : l’Église ne peut donner ni retirer la grâce, qui n’appartient qu’à Dieu. Mais l’enseignement qu’elle délivre aux fidèles a suffisamment d’autorité et de vérité pour que soit condamné un homme qui les refuse. En revanche, l’Église n’a pas le pouvoir de donner aux fidèles l’inspiration qui ne peut venir que de Dieu.

Pascal dit ailleurs que l’Église ne voit que les actions extérieures des hommes : elle peut donc constater les cas où celle-ci s’écarte de la bonne voie, et sur ce point, sa condamnation est possible et valide. Mais l’inspiration est toute intérieure, et le fond du cœur des hommes est invisible : Dieu connaît les cœurs, parce qu’il est la source de l’inspiration.

Infailliblement : qui ne peut pas donner lieu à erreur ou manquer son but. L’Église dans son enseignement est infaillible en ce sens que l’assemblée des fidèles (représentée par le concile) ne peut pas se tromper. Dieu, lorsqu’il inspire ou lorsqu’il donne sa grâce à un homme, ne peut échouer : les effets de sa volonté suivent toujours de cette grâce.

Noter qu’il faut distinguer infailliblement et nécessairement. Lorsqu’un événement est le produit d’un processus qui conduit mécaniquement à un résultat, il est nécessaire. Infailliblement laisse subsister une incertitude, mais signifie que le résultat, sans être mécaniquement nécessaire, aboutit pourtant toujours au même résultat.

 

Omne regnum divisum, car Jésus-Christ agissait contre le diable et détruisait son empire sur les cœurs, dont l’exorcisme est la figuration, pour établir le royaume de Dieu. Et ainsi il ajoute : Si in digito Dei, regnum Dei ad vos.

Si le diable favorisait la doctrine qui le détruit, il serait divisé, comme disait Jésus-Christ. Si Dieu favorisait la doctrine qui détruit l’Église, il serait divisé.

 

Luc, XI, 14-20. « Un jour, Jésus chassa un démon qui était muet, et lorsqu’il eut chassé le démon, le muet parla, et tout le peuple fut ravi en admiration. 15. Mais quelques-uns d’entre eux dirent : Il ne chasse les démons que par Belzébuth prince des démons. 16. Et d’autres le voulaient tenter, lui demandaient qu’il leur fît voir un prodige dans l’air. 17. Mais Jésus connaissant leurs pensées, leur dit : Tout royaume divisé contre lui-même sera détruit, et toute maison divisée contre elle-même tombera en ruine. 18. Si donc Satan est aussi divisé contre lui-même, comment son règne subsistera-t-il ? Car vous dites que c’est par Belzébuth que je chasse les démons. 19. Que si je chasse les démons par Belzébuth, par qui vos enfants les chassent-ils ? C’est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges. 20. Mais si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc visible que le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous ». Renvois en marge à Matthieu, IX, 32, et XII, 22, et à Marc, III, 32 et VIII, 11.

Si le diable favorisait la doctrine qui le détruit, il serait divisé comme disait Jésus-Christ. Si Dieu favorisait la doctrine qui détruit l'Église il serait divisé : deux suppositions qui conduisent à des conséquences absurdes.

La doctrine qui détruit l'Église : cette doctrine pourrait être l’hérésie calviniste, par exemple. Mais dans le présent contexte, il faut peut-être entendre que si l’on supposait que la doctrine de Port-Royal était contraire à la vérité, et si Dieu favorisait Port-Royal par un miracle (ce qui est effectivement le cas), alors il faudrait conclure que l’Église serait divisée. Ce qui est absurde.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 148 sq.  À supposer que le démon puisse se servir des objets religieux comme la sainte épine, à quoi cela lui servirait-il ? Cela ne profiterait qu’à la réalisation du royaume de Dieu. Quand c’est un objet religieux qui est le moyen apparent d’un prodige, il n’est pas besoin de craindre d’être trompé par la ruse du démon. Voir p. 215. Si le diable se servait d'une relique comme l'Épine pour faire un miracle, il irait contre son propre intérêt.

Si in digito Dei, regnum Dei ad vos : Luc, XI, 20. « Mais si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, il est donc visible que le royaume de Dieu est venu jusqu’à vous ».

 

Quand le fort armé possède son bien, ce qu’il possède est en paix.

 

À lier aux lignes précédentes.

Sur les différentes traductions de ce passage, voir Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 249. Voir Luc, XI, 2 : « Cum fortis armatus custodit atrium suum, in pace sunt ea quae possidet ».

Tr. de la Bible de Louvain : « Quand le fort bien armé garde son hostel, les choses qu’il a sont en seureté ».

Tr. de Pascal : « Quand le fort armé possède son bien, ce qu’il possède est en paix ».

Tr. du Nouveau Testament de Mons : « Lorsque le fort armé garde sa maison tout ce qu’il possède est en paix ».

Lhermet en tire la conclusion que Pascal s’inspire du Nouveau Testament de Mons (et non pas l’inverse).