Preuves par discours I  – Papier original : RO 3-1 r° / v° et RO 7-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 30 à 32 p. 201 à 207 v° / C2 : p. 411 à 417 v°

Éditions de Port-Royal :

     Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janv. 1670 p. 21 / 1678 n° 6 p. 19

     Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janv. 1670 p. 53-61 / 1678 n° 1 et 2 p. 55-62

     Chap. IX - Injustice et corruption de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 73-74 / 1678 n° 5 et 6 p. 74-75

     Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 267 et 273-274 / 1678 n° 58 p. 259 et n° 80 p. 266

Éditions savantes : Faugère II, 163, I / Havet X.1, X.1 bis, XXV.38, XXV.91, XXIV.2, XXIV.56, XI.4 ter, XXV.39, XXV.39 bis, XXIV.5, XI.9 bis / Brunschvicg 233, 535, 89, 231, 477, 606, 542, 278, 277, 604 / Tourneur p. 307 / Le Guern 397 / Lafuma 418 à 426 (série II) / Sellier 680 (Discours de la Machine)

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Éclaircissements

 

 

 

Sommaire

 

Bibliographie

Analyse du Discours Infini rien. Notre âme est jetée dans le corps...

Analyse du texte N’y a-t-il point une vérité substantielle...

Analyse du texte On a bien de l’obligation à ceux qui avertissent des défauts...

Analyse du texte La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit...

Analyse du texte Croyez‑vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ?...

Analyse du texte Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment...

Analyse du texte Il n’y a que la religion chrétienne qui rende l’homme aimable et heureux...

Analyse du texte C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi...

Analyse du texte Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point...

Analyse du texte La seule science qui est contre le sens commun...

 

 

Croyez‑vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ? – Oui. Je vous veux donc faire voir une chose infinie et indivisible.

C’est un point se mouvant partout d’une vitesse infinie.

Car il est un en tous lieux et est tout entier en chaque endroit.

 

L’argument a changé de signification en cours de rédaction. Pascal a d’abord pensé proposer une image de l’immensité de Dieu dans le point mû à vitesse infinie qui se trouve partout. Mais il a substitué à cette idée une leçon de morale intellectuelle, qu’il peut exister des effets que l’on ignore.

Laf. 682, Sel. 561. Mouvement infini. Le mouvement infini, point qui remplit tout, le mouvement en repos. Infini sans quantité, indivisible et infini.

Poulet Georges, Les métamorphoses du cercle, Paris, Plon, 1961, p. 68.

Partout : le sens n’est pas vraiment clair : est-ce que cela signifie en tous les points de l’espace, ou de toutes parts, en tous les sens ? Pascal pense nécessaire de préciser ensuite que le point est en tous lieux.

Indivisible est ici pris au sens strict de L’esprit géométrique, et non dans le sens de Dettonville.

Voir la discussion de la communication de Miel Jan, “Les méthodes de Pascal et l’épistémè classique”, Méthodes chez Pascal, p. 33 sq., au terme de laquelle les interlocuteurs s’accordent sur le fait que « ce point ne se trouve pas dans la nature ». P. Costabel en conclut que « pour Pascal, cette conception du point qui a une vitesse infinie appartient à la nature, c’est-à-dire que ce que nous avons dans notre esprit, nos constructions, notre discours rationnel fait lui aussi partie de la nature ». En revanche, ni P. Costabel ni J. Miel ne remarquent que, dans ce fragment, nature s’oppose à surnature, et que dans ce sens, il n’y a rien d’absurde à parler d’un effet de nature.

L’imagination de ce point mobile répond à des controverses que Pascal a dû connaître. Voir Costabel Pierre, Démarches originales de Descartes savant, Vrin, Paris, 1982, p. 82. Descartes corrigeant Mydorge dans une lettre à Mersenne du 16 octobre 1639, AT II, p. 592-593 ; voir aussi Mersenne, Correspondance, VIII, p. 544-545. Une vitesse infinie implique contradiction, sauf si on l’entend à la manière de Desargues, où la ligne AB sans mouvement est considérée comme identique à un point mû de A à B d’une vitesse infinie : « vous m’écriviez que M. M(ydorge) soutient qu’une pierre, ou autre missile mû de quelque mouvement que ce soit, irait d’une vitesse infinie ; mais vous avez oublié à dire en quel cas, à savoir c’est in vacuo, ou ailleurs, qu’il entend que cela arriverait : ce que je ne puis deviner, ni par conséquent le réfuter. Et je puis seulement dire qu’il implique contradiction qu’il y ait une vitesse infinie en la nature, si ce n’est qu’à l’imitation des pensées de M. des Argues touchant les coniques, on die que la ligne AB, sans mouvement, est la même chose qu’un point mû d’une vitesse infinie d’A jusques à B : car, si la vitesse est infinie, ce point se trouvera en même instant en toute la ligne, et ainsi la composera ». La référence à Desargues rapproche ces controverses de Pascal.

Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, p. 22. Nicolas de Cues et le point à vitesse infinie.

Serres Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, p. 699. Sur le paradoxe de Nicolas de Cues, sur le corps qui se meut d’une vitesse infinie sur une trajectoire circulaire. L’argument est repris dans Leibniz, Correspondance avec Simon Foucher, Phil. I, janvier 1692, p. 405-406. Leibniz dit que c’est la seule interprétation à donner à ce cas. La vitesse infinie est considérée comme immobilisation de tous les points du cercle au même endroit. Rapprochement avec l’image du centre qui est partout dans la sphère infinie : p. 699-700. Modèle de l’ubiquité divine : p. 700.

Spinoza, Principes de la philosophie de Descartes, in Œuvres, Pléiade, p. 204 sq. Doctrine de Zénon : le mouvement d’un corps mû circulairement avec la plus grande vitesse ne diffèrerait pas du repos, s’il existait un mouvement dans l’espace. Spinoza trouve cette conséquence absurde : p. 204. Le point sur une roue qui demeure en même lieu ; et tous les points sont alors constamment dans un même lieu : p. 205. Réponse : l’argument porte plutôt contre l’hypothèse d’une vitesse telle qu’il ne puisse y en avoir de plus grande : p. 205. Même chose pour la lenteur : p. 206. Spinoza a montré plus haut qu’une même partie de la matière ne peut occuper en même temps deux espaces : p. 207.

Orcibal Jean, “Le fragment “Infini rien” et ses sources”, in Pascal, l’homme et l’œuvre, Cahiers de Royaumont, Minuit, Paris, 1956, p. 159-195. Voir p. 163. Effet de nature interprété comme un argument ad hominem contre Giordano Bruno.

Car il est un en tous lieux et est tout entier en chaque endroit : il semble que ce soit une contradiction dans les termes. Un en tous lieux : paradoxe ; il est un puisqu’il est indivisible ; mais il est aussi partout. Tout entier en chaque endroit : tout entier, puisque c’est un point indivisible. Il ne peut pas être par parties en plusieurs endroits différents. Donc s’il est en plusieurs endroits, ce ne peut être que tout entier en chacun.

Silhon Jean de, De l’immortalité de l’âme, Paris, Pierre Billaine, 1634, Livre II, Discours II, Où il est montré que la matière première ne tient pas son être d’elle-même, et que la principe dont elle l’a reçu est une intelligence, p. 337 sq. L’être spirituel « est un être simple, et sans quantité, qui occupe et remplit de telle sorte un certain espace qu’il est tout en tout, et tout en chaque partie de cet espace. »

 

Que cet effet de nature, qui vous semblait impossible auparavant, vous fasse connaître qu’il peut y en avoir d’autres que vous ne connaissez pas encore. Ne tirez pas cette conséquence de votre apprentissage qu’il ne vous reste rien à savoir, mais qu’il vous reste infiniment à savoir.

 

C’est l’argument tout ce qui semble impossible ne laisse pas d’être.

Il vous reste infiniment à savoir : façon d’humilier la raison.

Voltaire, Le philosophe ignorant, XXV, “Absurdités”. In Mélanges, éd. Pléiade, p. 883. Voltaire ajoute : « un point mathématique qui se meut ! Juste ciel ! Un point qui n’existe que dans la tête du géomètre, qui est partout et en même temps, et qui a une vitesse infinie, comme si la vitesse infinie actuelle pouvait exister ! Chaque mot est une folie, et c’est un grand homme qui a dit ces folies ! » L’objection est incohérente : c’est justement parce que le point à vitesse infinie n’existe que dans la tête du géomètre qu’il peut avoir une vitesse infinie actuelle. Noter que l’idée du point mathématique qui se meut n’est pas si absurde que Voltaire veut bien le dire ; il devrait le savoir, puisqu’il connaît les fluxions de Newton.

Le cas envisagé par Pascal trouve peut-être un écho dans les courbes de remplissage qui ont été inventées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Voir Martinez Javier de Lorenzo, “Les mathématiques, science de l’infini”, in Les infinis, Pour la science, n° 278, décembre 2000, p. 24-29. Voir l’encadré p. 27. La courbe de Peano, à l’infini, remplit tout le plan de dimension 2.