Preuves par les Juifs VI  – Fragment n° 13 / 15 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 64 p. 257 / C2 : p. 473 v°

Éditions savantes : Faugère II, 265, XXXIV / Havet XXV.96 / Brunschvicg 590 / Le Guern 445 / Lafuma 480 (série XI) / Sellier 715

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, Pascal. Textes du tricentenaire, Paris, Arthème Fayard, 1963, p. 206-224.

FERREYROLLES Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, Revue philosophique, n° 1-2002, p. 21-40.

GUION Béatrice, Pierre Nicole moraliste, Paris, Champion, 2002.

PASCAL Blaise, Entretien avec M. de Sacy, Original inédit présenté par Pascale Mengotti et Jean Mesnard, Les Carnets, Paris, Desclée de Brouwer, 1994.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “Israël : La rencontre de ce peuple m’étonne”, in Port-Royal et la littérature, II, Paris, Champion, 2012, p. 233-251.

 

 

Éclaircissements

 

Pour les religions, il faut être sincère :

 

Le texte semble assimiler deux choses différentes : la vérité et la sincérité. Mais elles sont associées dans la source : Pascal ne fait ici que reprendre un passage de Jean I, 47. « Jésus voyant Nathanaël qui venait le trouver, dit de lui : Voici un vrai Israélite, sans déguisement et sans artifice. »

Commentaire de la Bible de Port-Royal, Jean, I, 47 : « Voici, dit Jésus, un véritable Israélite, en qui il n’y a point de tromperie ; c’est-à-dire : Voici un digne enfant d’Israël ou de Jacob, dont le Saint-Esprit loue particulièrement la simplicité dans l’Écriture. Quelques-uns disent que le Fils de Dieu donna cet éloge à Nathanaël, à cause que sans dissimuler son sentiment touchant de ceux qui étaient originaires de Nazareth, il ne laissa pas de venir tout simplement trouver Jésus, pour connaître par lui-même ce qu’on lui en avait dit. Mais on peut bien dire aussi, que celui qui connaissait parfaitement le fond du cœur de tous les hommes, loua dans Nathanaël en général sa simplicité et la candeur de ses mœurs, telle qu’il le pénétrait par sa divine lumière. »

Cette notion de vérité est liée à la signification spirituelle des figures de la Bible.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

La distinction est générale. On retrouve par là les deux sortes d’hommes dont Pascal estime que chaque religion est composée :

Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.

Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul Dieu dans la religion naturelle.

Parmi les juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.

Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.

Les juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.

 

vrais païens,

 

Voir la liasse Philosophes.

Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion. Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul Dieu dans la religion naturelle. Ces derniers sont vraisemblablement les stoïciens et les platoniciens.

Comme le groupe augustinien de Port-Royal, Pascal ne croit pas que les païens puissent avoir une véritable vertu.

Jansénius aborde la question et la résout de manière négative dans son Augustinus, seu doctrina S. Augustini de humanae sanitate, aegritudine, medicina adversus pelagianos et massilienses, De statu naturae lapsae, Liber quartus, Prosequitur argumentum de viribus liberi arbitrii post peccatum, Caput octavum, Utrum virtutes philosophorum verae virtutes, an vitia sint, et quare ?, t. II, Louvain, J. Zeger, 1640, col. 581 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 260 sq. Références augustiniennes sur les vertus des païens : p. 260 sq. Les païens, livrés à eux-mêmes, n’ont que des vertus apparentes, qui sont en général plutôt des vices : p. 261. Voir La cité de Dieu, XIX, 24-25 ; XIV, 9, n. 6. Leurs actions sont bonnes, mais inutiles au salut : p. 262. Leurs vertus sont décevantes : p. 262. Thèses pélagiennes sur le salut des anciens justes ; elles ont reparu au moment où Pascal écrit, sous la plume du P. Antoine Sirmond et de La Mothe Le Vayer, auteur du De la vertu des païens, 1641 : p. 263. Voir le livre d’Arnauld, De la nécessité de la foi en Jésus-Christ, 1641 : p. 264.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 150. Saint Augustin et les vertus de l’homme sans la grâce. Le règne de la concupiscence est la preuve d’une déchéance mystérieuse de l’espèce humaine. Dans la corruption, les hommes n’ont que des vertus apparentes, qu’il faut même appeler des vices : p. 152.

Pascal traite directement le problème de la vertu des païens à propos des Stoïciens dans la liasse Philosophes des Pensées. Voir Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175). Contre les philosophes qui ont Dieu sans J.-C. Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes, et ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se sentent pleins de sentiments pour l’aimer et l’adorer, et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils s’estiment bons, à la bonne heure ! Mais s’ils s’y trouvent répugnants s’ils n’ont aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes, et que pour toute perfection, ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent à eux. Ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes

Arnauld Antoine, Seconde apologie de M. Jansénius, III, XVIII, Œuvres, XVII, p. 321 sq. « Qui oserait dire que ceux-là aient agi par le mouvement de cet amour divin, que l’Écriture nous témoigne avoir été dans une ignorance profonde du vrai Dieu ; avoir été sans Dieu en ce monde, comme dit saint Paul, Sine Deo in hoc mundo ? Peut-on aimer ce qu’on ne connaît point ; et n’est-ce pas de ces païens que le prophète roi dit : Répandez votre colère sur les nations qui ne vous connaissent point, et sur les royaumes qui n’adorent point votre nom ? Il doit donc demeurer pour constant et pour assuré que toutes les actions de cette infinité de païens, qui ont vécu dans l’ignorance du vrai Dieu, n’ont pu procéder d’aucun mouvement de son amour, ni, par conséquent, être autres que des péchés [...] » : p. 321. Cas des rares hommes qui « par la considération des choses visibles », se sont élevés « à la contemplation des invisibles » : « la connaissance qu’ils ont eue de Dieu n’a servi qu’à les rendre pires, et à les précipiter dans des désordres horribles ; parce que l’ayant connu, ils ne l’ont pas glorifié, et ne lui ont pas rendu grâces ». On ne peut trouver d’amour de Dieu « dans ces ingrats et dans ces superbes, qui se sont égarés dans leurs pensées et qui ont mieux aimé servir à la créature que d’adorer le créateur » : p. 321-322.

Guion Béatrice, Pierre Nicole moraliste, p. 490 sq. Nicole avait pour projet de thèse de soutenir que « les païens n’avaient fait aucune bonne action », il a été empêché par N. Cornet.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, I, p. 132 sq. Les vertus des païens sont des vices déguisés.

Sur le salut des païens, voir Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 71 sq. Le problème de la vertu des païens a été discuté tout au long du siècle. Il remonte à saint Augustin, qui s’était interrogé sur les vertus des philosophes à Rome : voir saint Augustin, Cité de Dieu, I, Liv. V, Bibliothèque augustinienne, p. 705. Comparaison avec les vertus chrétiennes : p. 707. Et Liv. XIX, p. 165 : il n’y a pas de vraies vertus chez les païens ; ce ne sont que des vices lorsqu’elles ne sont pas rapportées à Dieu. Voir p. 766, n. 23.

L’attitude de Pascal à l’égard des païens n’est cependant pas marquée par une hostilité sans nuance.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 150 sq. Saint Augustin pense tout de même qu’il y a des degrés dans les vertus païennes et marque parfois sa préférence pour la grandeur des Romains et des Stoïciens : p. 153 sq. Certains hommes vivent dans une certaine vertu, quoiqu’ils ne soient pas chrétiens. Leurs actions sont bonnes en elles-mêmes, mais inutiles pour le salut. Les vertus des Romains sont purement apparentes, car elles cachent le désir de la gloire.

Ferreyrolles Gérard, “Les païens dans la stratégie argumentative de Pascal”, Revue philosophique, n° 1-2002, p. 21-4. Les païens apparaissent sous la plume de Pascal au moment où il passe du terrain de la grâce à celui de la morale : Pascal les invoque dans les Provinciales à propos de la responsabilité des hommes dans leurs actes. La valeur que les Provinciales reconnaissent aux païens ne leur est pas complètement déniée dans les Pensées : Pascal rappelle que l’un des livres les plus illustres de l’Ancien Testament a pour auteur Job, qui est un païen. Même dépourvus de grâce et laissés aux seules forces de la nature, les païens ne sont pas incapables de la justice. Les lois des païens ne sont pas entièrement dépourvues de valeur, puisque Pascal pense qu’elles sont une imitation des lois de Moïse. Même la religion des païens n’est pas dépourvue de valeur, ni entièrement exposée au mépris de Pascal. Les païens ne connaissent point Dieu par définition (Perpétuité 11 - Laf. 289, Sel. 321), mais certains, comme Épictète, ont « connu Dieu » (voir l’Entretien avec M. de Sacy). Parmi les païens, il y a des adorateurs des bêtes, mais il y a aussi des « adorateurs d’un seul dieu dans la religion naturelle », qui se découvre non par la foi, mais par la raison. Pascal témoigne d’une certaine estime pour la sincérité de certains païens. Dans l’Entretien avec M. de Sacy, Pascal présente par exemple Épictète comme « un des philosophes du monde qui ait mieux connu les devoirs de l’homme. Il veut, avant toutes choses, qu’il regarde Dieu comme son principal objet ; qu’il soit persuadé qu’il gouverne tout avec justice ; qu’il se soumette à lui de bon cœur, et qu’il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu’avec une très grande sagesse. »

Pascal Blaise, Entretien avec M. de Sacy, Original inédit présenté par Pascale Mengotti et Jean Mesnard, Les Carnets, p. 41 sq. Une découverte de Strowski et de Bédier, c’est que Pascal a lu Épictète dans la traduction française des Propos (ou Entretiens) suivis du Manuel par le feuillant Jean de Saint-François, Jean Goulu avant son entrée en religion, publiée en 1609. Pascal a lu et repensé Épictète, et surtout il l’a rattaché à son univers propre : Pascal connaît la distance réelle qui sépare le panthéiste Épictète du christianisme, distance que Jean Goulu et certains adeptes du stoïcisme chrétien ont voulu réduire. Mais il pénètre Épictète de christianisme : p. 48-49.

 

vrais juifs,

 

Voir plus haut l’origine scripturaire de cette expression.

Sur la condition des Juifs, voir principalement Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 465 sq., le « mystère d’Israël ».

Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, Pascal. Textes du tricentenaire, p. 206-224. Voir p. 208 : « Le message que ce peuple est chargé de transmettre au monde est [...] de première importance, et il ne peut être transmis que par un peuple sincère. Aussi Pascal s’emploie à souligner que ce peuple est le moins suspect de nous favoriser, le plus exact et zélé qui se puisse dire pour la loi et les prophètes, qui les porte incorrompus [...]. De même Pascal souligne la sincérité de Moïse qui ne cache pas la honte de son peuple [...] et rappelle que les Juifs portent avec amour ce livre où leur ingratitude est mentionnée ».

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

La distinction des deux sortes d’hommes vaut aussi parmi les Juifs. C’est par elle que les Juifs sont proches des chrétiens.

Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.

Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. Jésus-Christ selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.

Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les Juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu. Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.

Prophéties VII (Laf. 492, Sel. 736). La sincérité des Juifs. Depuis qu’ils n’ont plus de prophètes. Macchabées. [...] Sincères contre leur honneur et mourant pour cela. Cela n’a point d’exemple dans le monde ni sa racine dans la nature.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion. La religion des Juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies, en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse. Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

La formule sincérité des Juifs a quelque chose de paradoxal, dans la mesure où le thème de la perfidie des Juifs est ancien.

Sellier Philippe, “Israël : La rencontre de ce peuple m’étonne”, in Port-Royal et la littérature, II, 2012, p. 233-251. Voir p. 241. Perfidia ne signifie pas perfidie, mais incrédulité. Voir les anciennes prières du vendredi saint, dont la huitième invoque la miséricorde divine sur les Juifs qui n’ont pas accueilli le Christ : « Prions aussi pour les juifs qui ne croient pas, que notre Dieu et Seigneur ôte le voile qui est sur leurs cœurs, afin qu’eux aussi reconnaissent le Christ Jésus notre Seigneur. – Prions : Dieu tout-puissant et éternel, toi qui n’exclus pas de ta miséricorde même l’incrédulité juive, écoute nos prières. Nous te les présentons pour que tu mettes un terme à l’aveuglement de ce peuple, afin qu’après avoir découvert la lumière de ta vérité, qui est le Christ, ils échappent à leurs ténèbres ». Voir la note 10 des p. 241-242. Attente de la conversion des Juifs : p. 243 sq.

De Lubac Henri, Exégèse médiévale, II, 1, p. 153 sq. Perfidia : l’infidélité judaïque n’est pas la païenne ni l’hérétique. Perfidia, infidelitas, fides : la perfidia est moins une simple absence de foi qu’une opposition à la foi, un manque de foi chez celui qui devrait croire. Spécificité de la perfidia juive : p. 156 et 162. Au départ, elle suppose la foi véritable ; ne passe pas ex fide in fidem ; elle interrompt le courant prophétique, p. 163 ; elle comporte surdité et cécité, p. 163 ; un élément de rébellion et d’apostasie, p. 164 ; et l’orgueil comme source du refus de croire : p. 168. Le zelus perfidiae, p. 182. Si le peuple juif avait cru, il aurait été le guide de toutes les nations ; c’est ce qui rend sa chute grave. Les justes de l’ancienne alliance avaient une foi obscure ; cherchant à plaire à Dieu, ils prenaient les signes pour les choses mêmes et ne savaient à quoi les rapporter : p. 346.

Pascal a toute raison d’insister sur la sincérité des Juifs. De la sincérité des Juifs dépend en effet la valeur du témoignage involontaire qu’ils apportent en faveur du Christ Messie. Si les Juifs sont véritablement dénués de sincérité, alors l’argument selon lequel ils ont été les gardiens fidèles des prophéties messianiques tombe. L’idée de la sincérité des Juifs n’est donc pas seulement ce que Pascal estime être une réalité historique, mais aussi une pièce indispensable de l’argumentation historique de l’apologie.

Sincérité des Juifs : Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif. Dans cette recherche le peuple juif attire d’abord mon attention par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent. L’une d’entre elles est cette sincérité dont Pascal fait l’éloge.

Cohen A., Le Talmud, p. 26. La sincérité du peuple juif est garantie par sa constance : il est toujours resté inébranlable dans son désir de porter témoignage.

Elle a ceci de surprenant qu’elle a résisté à toutes les persécutions : voir Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364). C’est une suite d’hommes durant quatre mille ans qui constamment et sans variations viennent l’un ensuite de l’autre prédire ce même avènement. C’est un peuple tout entier qui l’annonce et qui subsiste depuis quatre mille années pour rendre en corps témoignage des assurances qu’ils en ont, et dont ils ne peuvent être divertis par quelques menaces et persécutions qu’on leur fasse. Ceci est tout autrement considérable.

Cette sincérité est aussi attestée par le fait que le témoignage que les Juifs apportent au Christ est inconscient et involontaire, et qu’il joue en leur défaveur.

Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692). Sincérité des Juifs. Ils portent avec amour et fidélité ce livre où Moïse déclare qu’ils ont été ingrats envers Dieu toute leur vie, qu’il sait qu’ils le seront encore plus après sa mort, mais qu’il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu’il le leur a assez.

Il déclare qu’enfin Dieu s’irritant contre eux les dispersera parmi tous les peuples de la terre, que comme ils l’ont irrité en adorant les dieux qui n’étaient point leurs dieux, de même il les provoquera en appelant un peuple qui n’est point son peuple, et veut que toutes ses paroles soient conservées éternellement et que son livre soit mis dans l’arche de l’alliance pour servir à jamais de témoin contre eux.

Voir Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Cette sincérité des Juifs et le caractère charnel qui explique leur hostilité au christianisme sont la raison pourquoi figures : il fallait que pour donner foi au Messie il y eût eu des prophéties précédentes et qu’elles fussent portées par des gens non suspects et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire et connu de toute la terre. Pour faire réussir tout cela Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait. Et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie assurant toutes les nations qu’il devait venir et en la manière prédite dans les livres qu’ils tenaient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus. De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié Jésus-Christ qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédit.

La sincérité et le désintéressement sont particulièrement ceux des grandes figures de l’Ancien Testament.

Sur Abraham, voir Laf. 603, Sel. 500. Abraham ne prit rien pour lui mais seulement pour ses serviteurs. Ainsi le juste ne prend rien pour soi du monde, ni des applaudissements du monde, mais seulement pour ses passions desquelles il se sert comme maître en disant à l’une : Va et viens, sub te erit appetitus tuus. Ses passions ainsi dominées sont vertus ; l’avarice, la jalousie, la colère, Dieu même se les attribue.

Voir Genèse, XIV : « 18. Mais Melchisédech, roi de Salem, offrant du pain et du vin, parce qu’il était prêtre du Dieu très-haut, 19. Bénit Abram, en disant : Qu’Abram soit béni du Dieu très-haut, qui a créé le ciel et la terre : 20. Et que le Dieu très-haut soit béni, lui qui par sa protection vous a mis vos ennemis entre les mains. Alors Abram lui donna la dîme de tout ce qu’il avait pris. 21. Or le roi de Sodome dit à Abram : Donnez-moi les personnes, et prenez le reste pour vous. 22. Abram lui répondit : Je lève la main et jure par le Seigneur le Dieu très-haut, possesseur du ciel et de la terre, 23. Que je ne recevrai rien de tout ce qui est à vous, depuis le moindre fil jusqu’à un cordon de soulier ; afin que vous ne puissiez pas dire que vous avez enrichi Abram ; 24. J’excepte seulement ce que mes gens ont pris pour leur nourriture, et ce qui est dû à ceux qui sont venus avec moi, Aner, Escol et Mambré, qui pourront prendre leur part au butin. »

Sur David, voir Preuves de Jésus-Christ 17 (Laf. 315, Sel. 346). David grand témoin. Roi, bon, pardonnant, belle âme, bon esprit, puissant.

Cette sincérité s’est maintenue malgré les persécutions : voir Prophéties 11 (Laf. 332, Sel. 364).

 

vrais chrétiens.

 

Il ne faut pas confondre les vrais chrétiens dont il est ici question avec les chrétiens parfaits de la liasse Raisons des effets. La première expression relève de la spiritualité. La seconde a un sens essentiellement politique.

Les vrais chrétiens en question s’opposent aux chrétiens charnels, qui n’ont de foi que superstitieuse et non mise dans le cœur par la grâce : voir Soumission 13 (Laf. 179, Sel. 210). Il y a peu de vrais chrétiens. Je dis même pour la foi. Il y en a bien qui croient mais par superstition. Il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage ; peu sont entre-deux. Je ne comprends pas en cela ceux qui sont dans la véritable piété de mœurs et tous ceux qui croient par un sentiment du cœur.

Perpétuité 8 (Laf. 286, Sel. 318). Deux sortes d’hommes en chaque religion.

Parmi les païens des adorateurs de bêtes, et les autres adorateurs d’un seul Dieu dans la religion naturelle.

Parmi les Juifs les charnels et les spirituels qui étaient les chrétiens de la loi ancienne.

Parmi les chrétiens les grossiers qui sont les Juifs de la loi nouvelle.

Les Juifs charnels attendaient un Messie charnel et les chrétiens grossiers croient que le Messie les a dispensés d’aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens adorent un Messie qui leur fait aimer Dieu.

Quelques textes donnent une idée de la manière dont Pascal conçoit les dispositions du vrai chrétien :

La Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies.

I. « Seigneur, dont l’esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux que non seulement les prospérités, mais les disgrâces mêmes qui arrivent à vos élus sont les effets de votre miséricorde, faites-moi la grâce de n’agir pas en païen dans l’état où votre justice m’a réduit : que comme un vrai Chrétien je vous reconnaisse pour mon père et pour mon Dieu, en quelque état que je me trouve, puisque le changement de ma condition n’en apporte pas à la vôtre, que vous êtes toujours le même, quoique je sois sujet au changement, et que vous n’êtes pas moins Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que quand vous consolez et que vous usez d’indulgence.

II. Vous m’aviez donné la santé pour vous servir, et j’en ai fait un usage tout profane. Vous m’envoyez maintenant la maladie pour me corriger : ne permettez pas que j’en use pour vous irriter par mon impatience. J’ai mal usé de ma santé, et vous m’en avez justement puni : ne souffrez pas que j’use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est telle qu’elle me rend vos faveurs pernicieuses, faites, ô mon Dieu ! que votre grâce toute-puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j’ai eu le cœur plein de l’affection du monde pendant qu’il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut ; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit par zèle de charité, pour ne jouir que de vous seul. »

Voir aussi le Mémorial (Laf. 913, Sel. 742) et la Pensée n° 8H-19T recto (Laf. 919, Sel. 751).

Morale chrétienne 7 (Laf. 357, Sel. 389). Nul n’est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.