Pensées diverses II – Fragment n° 25 / 37 – Papier original : RO 47-8

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 111 p. 359  / C2 : p. 315-315 v°

Éditions savantes : Faugère II, 42, XI / Havet XXV.26 / Brunschvicg 131 / Tourneur p. 92-2 / Le Guern 529 / Lafuma 622 (série XXIV) / Sellier 515

 

 

 

Ennui.

 

Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application.

Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide.

Incontinent il sortira du fond de son âme l’ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir.

 

 

Ce fragment propose une liste des conséquences de l’ennui, qui devait sans doute servir de plan et que Pascal comptait développer. Les termes de l’énumération ne se suivant pas au hasard : Pascal y esquisse le développement génétique qui conduit de l’ennui au désespoir. Les rapports avec les liasses Misère, Ennui et Divertissement sont aisément visibles.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 23 (Laf. 36, Sel. 70). Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même.

Aussi qui ne la voit, excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir ?

Mais ôtez leur divertissement vous les verrez se sécher d’ennui.

Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable, aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti.

Ennui 2 (Laf. 78, Sel. 113). Description de l’homme.

Dépendance, désir d’indépendance, besoins.

Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168). Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles et si on les a surmontés le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. Car ou l’on pense aux misères qu’on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts l’ennui de son autorité privée ne laisserait pas de sortir du fond du cœur où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin.

[...]

Ainsi l’homme est si malheureux qu’il s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui par l’état propre de sa complexion. Et il est si vain qu’étant plein de mille causes essentielles d’ennui la moindre chose comme un billard et une balle qu’il pousse, suffisent pour le divertir.

[...]

L’homme quelque plein de tristesse qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement le voilà heureux pendant ce temps-là, et l’homme quelque heureux qu’il soit s’il n’est diverti et occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de joie ; avec le divertissement il n’y a point de tristesse. Et c’est aussi ce qui forme le bonheur des personnes.

Divertissement 7 (Laf. 139, Sel. 171). Divertissement.

On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les accable d’affaires de l’apprentissage des langues et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils ne sauraient être heureux, sans que leur santé, leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient en bon état, et qu’une seule chose qui manque les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser dès la pointe du jour. Voilà, direz-vous une étrange manière de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter tous ces soins, car alors ils se verraient, ils penseraient à ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper et les détourner. Et c’est pourquoi, après leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper toujours tout entiers.

Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229). En voyant l’aveuglement et la misère de l’homme, en regardant tout l’univers muet et l’homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître et sans moyen d’en sortir.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Perpétuité.

Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre.

Morale chrétienne 2 (Laf. 352, Sel. 384). La misère persuade le désespoir.

L’orgueil persuade la présomption.

L’incarnation montre à l’homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu’il a fallu.

Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35). Sans Jésus-Christ, il faut que l’homme soit dans le vice et dans la misère.

Avec Jésus-Christ, l’homme est exempt de vice et de misère.

En lui est toute notre vertu et toute notre félicité.

Hors de lui il n’y a que vice, misère, erreur, ténèbres, mort, désespoir.

 

Mots-clés : AbandonDépendanceDésespoirDivertissementEnnuiHommeImpuissanceNéantPassionReposTristesseVide.