Pensées diverses III – Fragment n° 5 / 85 – Papier original : RO 441-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 115 p. 365 v°-367 / C2 : p. 323

Éditions savantes : Faugère I, 213, CXIV / Havet VIII.7 / Brunschvicg 95 / Tourneur p. 96 / Le Guern 546 / Lafuma 646 (série XXV) / Sellier 531

 

 

 

Sentiment.

 

La mémoire, la joie sont des sentiments, et même les propositions géométriques deviennent sentiments, car la raison rend les sentiments naturels et les sentiments naturels s’effacent par la raison.

 

 

Pascal associe dans ce fragment des notions qui pourraient paraître aujourd’hui hétérogènes : la mémoire, la joie et le sentiment. Il faut, pour le comprendre, revenir au sens technique qu’il donne à ces termes, à l’aide d’autres fragments, des Écrits sur la grâce, de passages de l’œuvre scientifique, et jusqu’à l’esprit profond de l’augustinisme.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Il n’y a principe, quelque naturel qu’il puisse être, même depuis l’enfance, qu’on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l’instruction, soit des sens.

Misère 9 (Laf. 60, Sel. 94). Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu.

Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur, c’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison ; cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent.

Car la connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours - Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec certitude quoique par différentes voies - et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.

Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s’il n’y avait que la raison capable de nous instruire ; plût à Dieu que nous n’en eussions au contraire jamais besoin et que nous connaissions toutes choses par instinct et par sentiment, mais la nature nous a refusé ce bien ; elle ne nous a au contraire donné que très peu de connaissances de cette sorte, toutes les autres ne peuvent être acquises que par raisonnement.

Contrariétés 9 (Laf. 126, Sel. 159)Les pères craignent que l’amour naturel des enfants ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ?

La coutume est une seconde nature, qui détruit la première.

Mais qu’est-ce que nature ? Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ?

J’ai grand peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

Preuves par les Juifs VI (Laf. 460, Sel. 699). Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui fait sentir à l’âme qu’il est son unique bien ; que tout son repos est en lui, qu’elle n’aura de joie qu’à l’aimer ; et qui lui fait en même temps abhorrer les obstacles qui la retiennent et l’empêchent d’aimer Dieu de toutes ses forces. L’amour propre et la concupiscence, qui l’arrêtent, lui sont insupportables. Ce Dieu lui fait sentir qu’elle a ce fond d’amour propre qui la perd, et que lui seul la peut guérir.

Pensées diverses (Laf. 651, Sel. 536). La mémoire est nécessaire pour toutes les opérations de la raison.

Pensées diverses (Laf. 745, Sel. 618). La manière d’écrire d’Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie est la plus d’usage qui s’insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire et qui se fait le plus citer, parce qu’elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie, comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune, etc.

 

Mémorial (Laf. 913, Sel. 742). Joie, joie, joie, pleurs de joie.

 

Mots-clés : GéométrieJoieMémoireNatureRaisonSentiment.