Pensées diverses III – Fragment n° 63 / 85 – Papier original : RO 429-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 140 p. 381 / C2 : p. 339 v°

Éditions savantes : Faugère II, 133, XIII / Havet V.4 / Brunschvicg 301 / Tourneur p. 107-4 / Le Guern 604 / Lafuma 711 (série XXV) / Sellier 589

 

 

 

Force.

 

Pourquoi suit‑on la pluralité ? Est‑ce à cause qu’ils ont plus de raison ? Non, mais plus de force.

 

Pourquoi suit‑on les anciennes lois et anciennes opinions ? Est‑ce qu’elles sont les plus saines ? Non, mais elles sont uniques et nous ôtent la racine de la diversité.

 

 

Ce fragment dessine des fils argumentatifs qui relèvent de la raison des effets. On en retrouve plusieurs développements dans la liasse qui porte ce titre, notamment sur l’avantage des opinions du peuple sur celles des demi-habiles. Malgré sa brièveté, ce passage apporte une idée qui manque dans d’autres fragments plus connus sur le rapport de la justice et de la force : cette dernière ôte à l’homme la racine de la diversité.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Raisons des effets 2 (Laf. 81, Sel. 116). Les seules règles universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires, et la pluralité aux autres. D’où vient cela ? De la force qui y est.

Et de là vient que les rois, qui ont la force d’ailleurs, ne suivent pas la pluralité de leurs ministres.

Sans doute l’égalité des biens est juste, mais ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.

Raisons des effets 4 (Laf. 85, Sel. 119). La pluralité est la meilleure voie, parce qu’elle est visible et qu’elle a la force pour se faire obéir. Cependant c’est l’avis des moins habiles.

Si l’on avait pu, l’on aurait mis la force entre les mains de la justice, mais comme la force ne se laisse pas manier comme on veut, parce que c’est une qualité palpable au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut, on l’a mise entre les mains de la force et ainsi on appelle juste ce qu’il est force d’observer.

Raisons des effets 5 (Laf. 86, Sel. 120). Veri juris. Nousn’en avons plus. Si nous en avions nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les mœurs de son pays.

C’est là que ne pouvant trouver le juste on a trouvé le fort, etc.

Raisons des effets 11 (Laf. 92, Sel. 126). Raison des effets.

Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l’illusion, car encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n’est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Il est vrai qu’il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

Raisons des effets 13 (Laf. 94, Sel. 128). Opinions du peuple saines.

Le plus grand des maux est les guerres civiles.

Elles sont sûres si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu’ils méritent. Le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand, ni si sûr.

Raisons des effets 20 (Laf. 103, Sel. 135). Justice force.

Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.

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La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.

La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Fausseté 9 (Laf. 211, Sel. 244). On a fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale, et de justice.

Mais dans le fond, ce vilain fond de l’homme, ce figmentum malum n’est que couvert. Il n’est pas ôté.

 

Mots-clés : DiversitéForceLoiOpinionPluralitéRaisonSainUnité.