Fragment Raisons des effets n° 20 / 21 Papier original :  RO 169-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 137 à 140 p. 37 v° / C2 : p. 55-56

Éditions savantes : Faugère II, 134, XVII / Havet VI.8 / Michaut 411 / Brunschvicg 298 / Tourneur p. 193-1 / Le Guern 94 / Lafuma 103 / Sellier 135

 

 

 

Justice force.

 

Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.

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La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.

La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

 

 

 

Les liasses Vanité et Misère ont établi que la justice parmi les hommes n’est jamais une justice essentielle, naturelle et effective, mais qu’elle laisse le plus souvent sa place à la force. Le présent fragment rend compte de la nécessité de cet état de choses : par la nature même du juste et du fort, on ne peut pas faire autrement que de rendre le fort juste, alors que dans l’absolu, il serait bien préférable de rendre le juste fort. Ce qui apparaissait comme un effet de la pure vanité de l’homme se présente désormais comme une nécessité qui donne un fondement solide à l’ordre politique en vigueur. Ce raisonnement justifie la présence de ce fragment dans la liasse Raisons des effets.

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

Misère 6 (Laf. 58, Sel. 91) et Misère 7 (Laf. 58, Sel. 92). Notion de tyrannie.

Raisons des effets 2 (Laf. 81-82, Sel. 116). Ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force. Ne pouvant fortifier la justice on a justifié la force, afin que la justice et la force fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien.

Raisons des effets 4 (Laf. 85, Sel. 119). Si l’on avait pu l’on aurait mis la force entre les mains de la justice, mais comme la force ne se laisse pas manier comme on veut parce que c’est une qualité palpable, au lieu que la justice est une qualité spirituelle dont on dispose comme on veut. On l’a mise entre les mains de la force et ainsi on appelle juste ce qu’il est force d’observer.

Raisons des effets 5 (Laf. 86, Sel. 120). Veri juris Nous n’en avons plus. Si nous en avions nous ne prendrions pas pour règle de justice de suivre les mœurs de son pays.

C’est là que ne pouvant trouver le juste on a trouvé le fort, etc.

Pensées diverses (Laf. 665, Sel. 546). L’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps et cet empire est doux et volontaire. Celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde mais la force en est le tyran.

Pensées diverses (Laf. 711, Sel. 589). Force. Pourquoi suit-on la pluralité ? est-ce à cause qu’ils ont de raison ? non, mais plus de force. Pourquoi suit-on les anciennes lois et anciennes opinions ? est-ce qu’elles sont les plus saines ? non, mais elles sont uniques et nous ôtent la racine de la diversité.

Pensées diverses (Laf. 767, Sel. 632). Comme les duchés, et royautés, et magistratures sont réelles et nécessaires (à cause de ce que la force règle tout) il y en a partout et toujours, mais parce que ce n’est que fantaisie qui fait qu’un tel ou telle le soit, cela n’est pas constant, cela est sujet à varier, etc.

 

Mots-clés : ForceJusticeNécessaireTyrannie.