Le dossier PREUVES PAR DISCOURS II (suite)

 

 

Preuves par discours II et l’édition de Port-Royal

 

Le chapitre I, Contre l’indifférence des athées est composé essentiellement de deux textes qui proviennent du dossier Preuves par discours II (fragment 1 (Laf. 427, Sel. 681) et fragment 2 (Laf. 428, Sel. 682)), auxquels ont été adjoints des textes de la liasse Commencement, Commencement 3 (Laf. 152, Sel. 185), Commencement 13 (Laf. 163, Sel. 195) et Commencement 16 (Laf. 166, Sel. 198), ainsi qu’un fragment des Pensées diverses (Laf. 432 série XXX, Sel. 662).

Le chapitre VIII, Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, et qui commence à lire l’Écriture est composé de textes issus successivement de Transition 3 (Laf. 198, Sel. 229), Commencement 2 (Laf. 151, Sel. 184), Preuves par discours II n° 2 (Laf. 429, Sel. 682), Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694), Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691), Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692) et Preuves par discours III n° 1 (Laf. 436, Sel. 688). Une phrase issue de Prophéties VII (Laf. 492, Sel. 736) a été ajoutée en 1678.

Port-Royal a aussi inclus le fragment 3 dans les chapitres II - Marques de la véritable religion, III - Véritable religion prouvée par les Contrariétés qui sont dans l’homme, et par le péché originel (dont une partie en 1678) et XXVIII - Pensées chrétiennes.

Deux notes du fragment 4 ont été utilisées dans les chapitres XXIV - Vanité de l’homme et XXXI - Pensées diverses (doublon supprimé en 1678), ainsi que dans le chapitre XXVIII - Pensées chrétiennes.

Le chapitre XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties a intégré le fragment 5.

Le fragment 6 a été utilisé dans le chapitre XXVIII - Pensées chrétiennes.

Le fragment 7, non retenu dans l’édition, a ensuite été recopié par Louis Périer dont une copie a été conservée. Ce texte a été publié par P. N. Desmolets en 1728. Une phrase du fragment 2 non retenue dans l’édition a aussi été recopiée par Louis Périer et publiée dans le rapport de V. Cousin en 1842.

 

Contenu des fragments

Cet ensemble marque une étape essentielle dans le projet de Pascal, dans la mesure où il met directement en cause les destinataires de son ouvrage, en vue de leur donner une vue claire du tragique de leur condition et de la folie de leur inconscience. La rhétorique de Pascal, dans sa véhémence et son ironie, répond à la règle formulée dans la Logique de Port-Royal (I, XIII, éd. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 250 sq. : « l’âme s’instruit par les images des vérités, mais elle ne s’émeut guère que par l’image des mouvements ». À ce point de son argumentation, Pascal préfère une rhétorique marquée par l’ampleur et l’élévation éloquente. La Logique poursuit dans le même sens : « lorsque la matière que l’on traite est telle qu’elle nous doit raisonnablement toucher, c’est un défaut d’en parler d’une manière sèche, froide et sans mouvement, parce que c’est un défaut de n’être pas touché de ce que l’on doit » (p. 251). « Les vérités divines n’étant pas proposées simplement pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révérées et adorées, par les hommes, il est sans doute que la manière noble, élevée et figurée dont les saints Pères les ont traitées, leur est bien plus proportionnées qu’un style simple et sans figure comme celui des scolastiques ». À ce point, Pascal recourt à la haute rhétorique qui a marqué les dernières Provinciales, et il applique les règles qu’il a formulées dans la XIe lettre. Sur ce sujet, voir

Sellier Philippe, “La rhétorique de Saint-Cyran et le tournant des Provinciales”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., 2010, p. 287-304.

Descotes Dominique, “De la XIe Provinciale aux Pensées”, in Descotes (dir.), Treize études sur Blaise Pascal, p. 75-83.

Cet ensemble de textes présente un intérêt sur deux points importants

 

En premier lieu, il permet de se faire une idée du genre de lecteur que Pascal visait dans l’ouvrage qu’il préparait. L’attitude décrite dans les premiers paragraphes du fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) semble bien caractériser les personnes du monde, non pas en tant qu’elles sont du monde. Voir sur ce point Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 128 sq.

D’autre part, la comparaison des différents textes de cet ensemble permet de suivre la genèse des principaux arguments que Pascal projetait de développer. C’est par exemple le cas de l’argument selon lequel les incrédules sont dans leur personne même la preuve de la vérité de la doctrine chrétienne de la corruption de la nature. Cette indication n’a pas encore reçu tout le développement possible dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), en dehors du passage suivant : En vérité, il est glorieux à la religion d’avoir pour ennemis des hommes si déraisonnables ; et leur opposition lui est si peu dangereuse, qu’elle sert au contraire à l’établissement de ses vérités. Car la foi chrétienne ne va presque qu’à établir ces deux choses : la corruption de la nature, et la rédemption de Jésus-Christ. Or, je soutiens que s’ils ne servent pas à montrer la vérité de la rédemption par la sainteté de leurs mœurs, ils servent au moins admirablement à montrer la corruption de la nature, par des sentiments si dénaturés.

Cet argument est dessiné dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684) : Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par euxmêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.

De même, dans Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683). Ainsi, les deux preuves de la corruption et de la Rédemption se tirent des impies, qui vivent dans l’indifférence de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irréconciliables.

On en trouve également une esquisse dans Laf. 432 Série XXX, Sel. 662 : Mais ceuxlà mêmes qui semblent les plus opposés à la gloire de la religion, nous en ferons le premier argument qu’il y a quelque chose de surnaturel. [Ils] n’y seront pas inutiles pour les autres. Car un aveuglement de cette sorte n’est pas une chose naturelle. Et si leur folie les rend si contraires à leur propre bien, elle servira à en garantir les autres par l’horreur d’un exemple si déplorable, et d’une folie si digne de compassion.

Ce groupe de textes permet de suivre l’élaboration progressive et le mode d’intégration des idées à un ensemble argumentatif chez Pascal de manière très concrète.

 

À quelle partie du projet de Pascal se rattache cet ensemble de textes ?

 

Sellier Philippe, “Les leçons de la Lettre pour porter à rechercher Dieu”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 125-140, rattache ces textes à la liasse Commencement. Il faut cependant se reporter à l’étude “L’ouverture de l’Apologie”, dans le même recueil, p. 103-123, pour comprendre le sens de ce rapprochement : Commencement correspond pour Ph. Sellier à l’ouverture de l’ensemble du projet d’Apologie de Pascal.

Le rapprochement ne perd du reste rien de sa pertinence si l’on considère que la liasse Commencement se trouve non au début, mais à la charnière centrale que paraît indiquer la « table des matières ». Voir ce qu’en écrit Thirouin Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, in Descotes Dominique, McKenna Antony et Thirouin Laurent (dir.), Le rayonnement de Port-Royal, p. 351-368.

Voir les remarques générales sur Commencement.

 

Bibliographie

 

DESCOTES Dominique, “De la XIe Provinciale aux Pensées”, in DESCOTES (dir.), Treize études sur Blaise Pascal, Clermont, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2004, p. 75-83.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, Paris, Vrin, 1971.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

McKENNA Antony, “Le libertin interlocuteur de Pascal dans les Pensées”, in ROMEO Maria Vita (dir.), Abraham : individualità e assoluto, Atti delle giornate Pascal 2004, Catane, CUECM, 2006, p. 115-129.

McKENNA Antony, “Pascal et Gassendi : la philosophie du libertin dans les Pensées”, XVIIe siècle, 233, octobre 2006, p. 635-647.

MESNARD Jean, Pascal, Coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320.

MEURILLON Christian, “La notion de commencement dans les Pensées”, Op. cit., 2, nov. 1993, p. 63-72.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009.

PINTARD René, “Pascal et les libertins”, in Pascal présent, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1963, p. 105-130.

SELLIER Philippe, “Les leçons de la Lettre pour porter à rechercher Dieu”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 125-140.

SELLIER Philippe, “L’ouverture de l’Apologie”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 103-123.

Sellier Philippe, “La rhétorique de Saint-Cyran et le tournant des Provinciales”, Port-Royal et la littérature, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 287-304.

THIROUIN Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, in DESCOTES Dominique, McKENNA Antony et THIROUIN Laurent (dir.), Le rayonnement de Port-Royal, Paris, Champion, 2001, p. 351-368.

 

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