Fragment Raisons des effets n° 6 / 21 - Papier original :  RO 283-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 117 p. 33 / C2 : p. 49

Éditions savantes : Faugère II, 51 note / Havet III.3 bis / Brunschvicg 307 / Tourneur p. 190-1 / Le Guern 80 / Lafuma 87 / Sellier 121

 

 

 

Le chancelier est grave et revêtu d’ornements, car son poste est faux. Et non le roi : il a la force. Il n’a que faire de l’imagination. Les juges, médecins, etc. n’ont que l’imagination.

 

 

 

Ce fragment pourrait se trouver dans “Imagination. Pourquoi est-il dans Raisons des effets ? C’est qu’il répond à une question implicite qui n’est pas celle de la liasse Vanité : le chancelier a-t-il raison d’être revêtu d’ornements ? Ce n’est pas la même question que dans “Imagination.

Ce fragment repose sur l’opposition entre deux représentants du royaume, le roi et le chancelier, dont la condition est différente à l’égard de la force et de l’imagination, ce qui permet à Pascal de dépasser le point de vue du demi-habile qui reproche aux magistrats comme le chancelier de dissimuler sous un vêtement superbe une impuissance réelle. Pascal répond que c’est justement parce que son pouvoir est un pouvoir d’imagination que le chancelier a raison de se revêtir d’ornements qui frappent les esprits du peuple. S’il avait la force effective que possède le roi, il n’en aurait pas besoin.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 13 (Laf. 25, Sel. 59). La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leurs personnes d’avec leurs suites qu’on y voit d’ordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : le caractère de la divinité est empreint sur son visage, etc.

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chaffourés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire, et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir ils n’auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même, mais n’ayant que des sciences imaginaires il faut qu’ils prennent ces vains instruments qui frappent l’imagination à laquelle ils ont affaire et par là en effet ils s’attirent le respect.

Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte parce qu’en effet leur part est plus essentielle. Ils s’établissent par la force, les autres par grimace.

C’est ainsi que nos rois n’ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d’habits extraordinaires pour paraître tels. Mais ils se font accompagner de gardes, de balafrés. Ces troupes armées qui n’ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant et ces légions qui les environnent font trembler les plus fermes. Ils n’ont pas l’habit, seulement ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le grand seigneur environné dans son superbe sérail de quarante mille janissaires.

Raisons des effets 8 (Laf. 89, Sel. 123). Raison des effets.

Cela est admirable, on ne veut pas que j’honore un homme vêtu de brocatelle et suivi de sept ou huit laquais. Et quoi, il me fera donner les étrivières si je ne le salue. Cet habit c’est une force. C’est bien de même qu’un cheval bien enharnaché à l’égard d’un autre. Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle différence il y a et d’admirer qu’on y en trouve et d’en demander la raison. De vrai, dit-il, d’où vient, etc.

Pensées diverses (Laf. 665, Sel. 546). L’empire fondé sur l’opinion et l’imagination règne quelque temps et cet empire est doux et volontaire. Celui de la force règne toujours. Ainsi l’opinion est comme la reine du monde mais la force en est le tyran.

Pensées diverses (Laf. 797, Sel. 650). Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d’un premier président et le fait voler par la fenêtre.

Pensées diverses (Laf. 828, Sel. 668). Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en général sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différents degrés, tous les hommes voulant dominer et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé alors les maîtres qui ne veulent pas que la guerre continue ordonnent que la force qui est entre leurs mains succédera comme il leur plaît : les uns le remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc.

Or ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particulier sont des cordes d’imagination.

 

Mots-clés : ChancelierForceImaginationJugeMédecinOrnementRoi.