Miracles III  – Fragment n° 4 / 11 – Papier original : RO 402-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 457 v° à 461 / C2 : p. 257 v° à 261

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 230 /

1678 n° 14 p. 223

Éditions savantes : Faugère I, 279, XLIV ; I, 321, X ; II, 218, X ; II, 56, VIII / Havet XXV.202 ; XXIII.39, 26, 27, 40 ; XXV.95 ; III.4 / Brunschvicg 849, 846, 138 / Tourneur p. 155 / Le Guern 699 / Lafuma 877 à 879 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 441 et 442

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Bibliographie

 

 

DE LIBERA Alain, La philosophie médiévale, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.

DESCOTES Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197.

GAY Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), Paris, Cerf, 2011.

GILSON Étienne, La philosophie au Moyen Age, I, Paris, Payot, 1976.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997.

LAPORTE Jean, La doctrine de Port-Royal, La Morale (d'après Arnauld), Paris, Vrin, 1951-1952, 2 vol.

MIEL Jan, Pascal and theology, Baltimore and London, The John Hopkins Press, 1969.

PASQUIER Étienne, Le catéchisme des jésuites, éd. Sutto, Publications de l’Université de Sherbrooke, 1982.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, Le siècle de saint Augustin, La Rochefoucauld, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, Sacy, Racine, 2e éd., Paris, Champion, 2012.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Est et non est sera‑t‑il reçu dans la foi même aussi bien que dans la morale, s’il est si inséparable dans les actions ?

 

Sic et non est le titre d’un ouvrage dans lequel Pierre Abélard (1079-1142) renouvelle la logique aristotélico-boécienne en rassemblant des passages de l’Écriture et des Pères de l’Église contradictoires en apparence. Cette méthode passera dans la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, où les autorités contraires sont confrontées, avant que le maître propose une solution.

Voir Gilson Étienne, La philosophie au Moyen Âge, I, 1976, p. 280 sq.

De Libera Alain, La philosophie médiévale, p. 321 sq. et p. 339 sq. Les livres intitulés Sententiae sont des présentations des thèses en ouvrant des problèmes. Chaque question voit s’opposer des autorités d’égale dignité : on obtient une mise en crise des textes patristiques qui permet d’aller au fond d’une hypothèse ou d’un conflit. Le Sic et non d’Abélard est un recueil d’autorités regroupant des passages tirés de la Bible, des Pères de l’Église et des conciles : p. 340. La forme de la Quaestio pratiquée dans les écoles de dialectique s’impose à l’ordre des matières : les autorités invoquées ne se complètent pas, elles se contredisent et appellent un oui et un non. La dialectisation des contenus devient la nouvelle figure du savoir. Elle avance par la mise en argument de discordances, non solum diversa, sed adversa. La structure de la joute avec les armes de la logique, de la dialectique et de la grammaire s’impose.

C’est contre la généralisation de ce sic et non et des Quaestiones et des disputes que s’élèvent les auteurs de la Logique de Port-Royal, car ces méthodes pédagogiques ne font que développer l’esprit de vanité et du désir de briller, au détriment de la vérité.

Pascal entend la formule est et non est en un autre contexte, celui de la casuistique probabiliste, qui permet de soutenir une proposition et la proposition contraire en montrant qu’elles sont également probables. Il en résulte que la fausseté d’une proposition quelconque ne peut plus être prouvée par le raisonnement qui envisage la proposition contraire, comme Pascal le recommande lorsque l’on se trouve dans un cas embarrassant.

Voir sur ce point De l’esprit géométrique, I, Réflexions sur la géométrie en général, § 26, OC III, éd. J. Mesnard, p. 404 : « toutes les fois qu'une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire ; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu'elle est. » Mais ce mode de raisonnement, tout puissant qu’il soit dans les sciences, devient inefficace lorsque l’on considère que toute maxime de morale est aussi probable que la maxime contraire. C’est ce à quoi tend la doctrine des sphères de probabilité du P. Diana exposée dans le VIe Provinciale, éd. Cognet, p. 100 : « Diana notre bon ami parle ainsi en la part. 5, tr. 13, Res. 39. Je réponds à la décision de ces trois papes, contraire à mon opinion qu’ils ont parlé de la sorte, en s’attachant à l’affirmative laquelle en effet est probable, à mon jugement même : mais il ne s’ensuit pas de là que la négative n’ait aussi sa probabilité. Et dans le même traité R. 65 sur un autre sujet dans lequel il est encore d’un sentiment contraire à un pape. Il parle ainsi : Que le pape l’ait dit comme chef de l’Église, je le veux. Mais il ne l’a fait que dans l’étendue de la sphère de probabilité de son sentiment. Or vous voyez bien que ce n’est pas blesser les sentiments des papes, on ne le souffrirait pas à Rome où Diana est en un si haut crédit. Car il ne dit pas que ce que les papes ont décidé ne soit pas probable ; mais en laissant leur opinion dans toute la sphère de probabilité, il ne laisse pas de dire que le contraire est aussi probable ».

Voir sur ce sujet Descotes Dominique, “Les Provinciales et l’axiomatique des probabilités”, in La campagne des Provinciales, Chroniques de Port-Royal, 58, Paris, 2008, p. 189-197. Sur la possibilité, dans la casuistique que Pascal combat, de soutenir des propositions contraires comme également sûres. Cela supprime la possibilité d’établir la fausseté d’une proposition par une démonstration apagogique (par l’absurde), et par conséquent de reconnaître la vérité.

On trouve un écho à est et non est dans les Remontrances des curés de Paris à l’Assemblée générale du clergé, en lui présentant l’Extrait de plusieurs mauvaises propositions tirées des livres des jésuites du 24 novembre 1656, qui a été repris dans Divers écrits des curés de Paris, Rouen, Nevers, Amiens, Evreux et Lisieux contre la morale des jésuites publiés pendant les années 1656, 1657, 1658 et 1659, pour servir de suite aux Lettres Provinciales, sd, 1762, p. 1-25. Voir p. 14 : « C’est sur cet art nouveau de conclure le certain de l’incertain, qu’ils ont établi le fondement de toute la morale chrétienne, supposant toujours pour principe, que toutes les opinions contraires des casuistes sont également sûres : Omnes opiniones probabiles sunt aeque tutae. Ce n’est pas qu’ils n’aient bien vu que de deux opinions contraires sur un même point de morale, il est nécessaire que l’une soit vraie et l’autre fausse, que l’une soit conforme à la loi de Dieu, et que l’autre y soit opposée : mais ils ne laissent pas de prétendre, qu’étant toutes deux probables, parce qu’il y a des casuistes de part et d’autre, la vraie et la fausse, mettent la conscience dans une égale sûreté ». Voir aussi p. 21 : « Si vous opposez vos décrets à la témérité de ces casuistes, vous ferez aussi votre opinion probable : on vous allèguera, Messeigneurs, pour la négative, et Escobar dira sur le tout : Regulares possunt, et non possunt in foro conscientiae suis uti privigeliis, quae sunt expresse per Tridentinum revocata, lib. 6, Probl. 16, p. 192, Sufficit et non sufficit petere approbationem, ut regularis si injuste denegetur, censeatur jure approbatus, lib. 6, Probl. 30, p. 269. C’est-à-dire en un mot les uns disent que oui, et les autres disent que non, vous en croirez et vous en ferez ce qu’il vous plaira ».

Voir le Sommaire de la harangue de MM. les curés de Paris, 24 novembre 1656, cité in Pensées, éd. Lafuma Luxembourg, Notes, p. 166 : « Pour bien entendre la doctrine de la probabilité, sur laquelle roule toute la science de nos casuistes, il faut remarquer que la question n’y est pas s’il y a des opinions probables dans la morale. Personne ne doute qu’il n’y en ait, quoique le nombre en soit infiniment plus petit que ne s’imaginent ceux qui réduisent en questions problématiques les plus certaines règles de nos mœurs et qui n’ont point rougi de faire des volumes entiers remplis de ces décisions inouïes jusqu’à cette heure parmi les théologiens : Est et non est, licet et non licet, peccat et non peccat, tenetur et non tenetur, sufficit et non sufficit ; comme si l’école de Jésus-Christ était devenue tout à coup une école de pyrrhoniens. »

La Dissertation théologique sur la probabilité d’Antoine Arnauld, qui sert de Note première sur la cinquième lettre Provinciale dans la traduction de Melle de Joncoux, analyse à fond cette question des principes de l’égale probabilité des propositions contraires. Voir le texte de cette Dissertation dans Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 803 sq.

Les augustiniens reprochaient aux casuistes de permettre aux confesseurs de soutenir tout et son contraire, en suivant la doctrine des opinions probables. Voir sur ce problème la Ve Provinciale.

La formule est et non est est reprise bien après la mort de Pascal dans Petitdidier Mathieu, Apologie des Lettres Provinciales de Louis de Montalte ; contre la dernière réponse des P. P. Jésuites intitulée : Entretiens de Cléandre et d'Eudoxe, Quatrième lettre, Henri Van Rhin, Rouen, 1698, p. 140-141. « Qu’est-ce autre chose que bouleverser les consciences, d’avoir presque toujours le oui et le non, sur toutes les questions de morale qu’on vous propose, et de faire des volumes entiers, comme a fait Escobar, de cette indifférence dans la morale, en répondant sur chaque question : Cela est vrai, et ce n’est pas vrai ; cela est permis, et ne l’est pas ; cela est péché, et n’est pas péché ; on y est obligé, et l’on n’y est pas obligé ; cela suffit et cela ne suffit pas. Est et non est ; licet et non licet ; peccat et non peccat ; tenetur et non tenetur ; sufficit et non sufficit. »

Les Provinciales montrent que les casuistes et les jésuites ont introduit les opinions probables dans la morale, où ils considèrent qu’une règle, quelle qu’elle soit, peut assurer la sûreté aussi bien que les opinions contraires. La question que pose ici Pascal est de savoir si la possibilité d’admettre un dogme et son contraire ne risque pas d’envahir les vérités de la foi. On verrait alors les théologiens molinistes prétendre que la doctrine de la grâce efficace, défendue par les disciples de saint Augustin, n’empêcherait pas des « docteurs graves » d’affirmer que l’église admet aussi bien la grâce telle que l’entendent les semi-pélagiens.

Il faut remarquer que Pascal a dès la cinquième Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 78, esquissé l’idée d’un rapport logique entre la morale des « bons pères jésuites » et leur doctrine de la grâce. Mais le rapport est inverse de ce qu’indique le présent fragment. L’ami janséniste de l’auteur lui dit en effet : « Allez donc, je vous prie, voir ces bons pères, et je m’assure que vous remarquerez aisément, dans le relâchement de leur morale, la cause de leur doctrine touchant la grâce. Vous y verrez les vertus chrétiennes si inconnues et si dépourvues de la charité, qui en est l’âme et la vie ; vous y verrez tant de crimes palliés, et tant de désordres soufferts, que vous ne trouverez plus étrange qu’ils soutiennent que tous les hommes ont toujours assez de grâce pour vivre dans la piété de la manière qu’ils l’entendent. Comme leur morale est toute païenne, la nature suffit pour l’observer. »

Leur morale est toute païenne, la nature suffit pour l'observer : Miel Jan, Pascal and theology, p. 125. « Pascal became interested in the casuistry and moral laxity of the jesuits only when he saw them as moral heresies emanating from false theological doctrine. »

Gay Jean-Pascal, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle (1640-1700), p. 180. Pascal procède à un approfondissement théologique du thème du probabilisme, associé au laxisme. L’auteur fait une remarque analogue sur Hermant, p. 136-137, qui note le lien entre la théologie morale des jésuites et leur théologie de la grâce. Voir ses Vérités académiques, p. 115-116. Le principe qu’il faut sauver tout le monde a pour suite qu’il éteint l’amour de Dieu, d’effacer sa crainte, d’inspirer le mépris de ses jugements.

La nécessité de cette liaison ne semble pas avoir frappé Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, p. 91. Discussion du fait qu’il y a une connexion logique entre la doctrine de la grâce et la casuistique des jésuites. « Il n’est pas nécessaire de rechercher une harmonie préétablie non plus qu’une connexion logique contraignante entre cette doctrine de la grâce et la casuistique jésuite ». Kolakowski reprend, probablement sans le savoir, les raisonnements du P. Pirot.

 

Quand saint Xavier fait des miracles.

 

Saint François Xavier est l’un des grands missionnaires jésuites. Une Vie de saint François Xavier, apôtre des Indes et du Japon a été composée par le P. Bouhours, de la même Compagnie. Voir l’édition Lecoffre, 1849, p. 354 et 401-405. Sur l’engagement missionnaire de François Xavier, voir Nouvelle histoire de l’Église, III, H. Tüchle, C. A. Bouman et J. Le Brun, Réforme et Contre-Réforme, Paris, Seuil, 1968, p. 321-324. Plusieurs peintres, parmi lesquels Rubens et Poussin, ont composé des tableaux sur les miracles de François Xavier.

Il est difficile de dire dans quel sens Pascal comptait employer cette note. Est-ce pour objecter aux jésuites qui récusaient le miracle de la sainte Épine, ou tout au contraire, Pascal pense-t-il que les premiers jésuites étaient si différents de ceux auxquels s’attaquaient les Provinciales, qu’on pouvait sans invraisemblance lui attribuer des miracles ? Les Provinciales témoignent que Pascal tenait les premiers jésuites pour tout autrement estimables que ceux contre lesquels il a écrit.

En revanche, les ennemis des jésuites n’ont pas manqué de s’en prendre aux miracles de saint François Xavier. Voir Pasquier Étienne, Le catéchisme des jésuites, éd. Sutto, Publications de l’Université de Sherbrooke, 1982, p. 215 sq., sur les fables miraculeuses sur François Xavier, non seulement de son vivant, mais après sa mort.

Le Plaidoyer de Maître Antoine Arnauld, avocat en Parlement, fait une allusion sévère à ces miracles : « Mais si les jésuites sont pernicieux à la France, pour le moins ont-il fait de grands miracles aux Indes ; oui certainement et fort remarquables pour nous, car ils ont fait mourir avec leurs Castillans par le fer et le feu vingt millions de ces pauvres innocents, que leur histoire même appelle des agneaux ».

 

Saint Hilaire. Misérables qui nous obligez à parler des miracles. (texte dans la marge, barré verticalement)

 

Sur saint Hilaire de Poitiers, voir l’article que lui consacre Le Nain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, Saint Hilaire, évêque de Poitiers, Docteur de l’Église et confesseur, tome septième, Paris, Robustel, 1700, p. 432-469. Voir pour complément l’article qui lui est consacré dans l’Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 697-698.

Voir Jean de Launoy, Opera omnia, Tomi primi pars secunda, Récit de ce qui s’est passé dans l’Église, touchant l’opinion qui met la prédestination gratuite et la grâce efficace par elle-même, depuis que saint Augustin la proposa jusqu’à ce jour, chapitres I-IV, 1731, p. 1071 sq.

L’origine de ce passage, si c’est une citation, n’a été indiquée à ce jour par aucun commentateur. Il n’est pas évident qu’il s’agisse ici d’une phrase empruntée par Pascal à un ouvrage de saint Hilaire. Il est donc prudent de ne pas reprendre les deux points de certaines éditions, qui suggèrent que c’est une citation, ainsi que le point d’exclamation final. En tout cas, la mention est barrée verticalement, ce qui donne à penser que Pascal l’a utilisée en quelque autre endroit, qui n’a pas été trouvé jusqu’à maintenant.

Cependant Pascal use ailleurs d’une formule analogue :

Miracles III (Laf. 862, Sel. 439). Les malheureux qui nous ont obligés de parler du fond de la religion.

La raison d’être de cette mention de saint Hilaire demanderait un éclaircissement.

On trouve une référence à saint Hilaire, dans la XIe Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 204.

Miracles III (Laf. 903, Sel. 450). Ces malheureux qui nous ont obligés de parler des miracles.

GEF XIV, p. 319 renvoie, sur ces fragments, au début de la XIIe Provinciale : « Vous me traitez comme un imposteur insigne, et ainsi vous me forcez à repartir : mais vous savez que cela ne se peut faire, sans exposer de nouveau, et même sans découvrir plus à fond les points de votre morale ; en quoi je doute que vous soyez bons politiques. La guerre se fait chez vous et à vos dépens ; et quoique vous ayez pensé qu’en embrouillant les questions par des termes d’École, les réponses en seraient si longues, si obscures, et si épineuses, qu’on en perdrait le goût, cela ne sera peut-être pas tout à fait ainsi : car j’essaierai de vous ennuyer le moins qu’il se peut en ce genre d’écrire. Vos maximes ont je ne sais quoi de divertissant qui réjouit toujours le monde. Souvenez-vous au moins que c’est vous qui m’engagez d’entrer dans cet éclaircissement ; et voyons qui se défendra le mieux. »

 

Juges injustes, ne faites pas de ces lois sur l’heure. Jugez par celles qui sont établies, et établies par vous-mêmes.

 

Ne faites pas de ces lois sur l'heure : entendre des lois forgées selon les circonstances.

 

Væ qui conditis leges iniquas.

 

Isaïe, X, 1. « Malheur à ceux qui établissent des lois iniques ». GEF XIV, p. 284, remarque que le texte original de cette citation est impersonnel, alors que sous la plume de Pascal, conditis est une deuxième personne du pluriel.

Commentaire de Sacy : « Malheur à ceux qui font des ordonnances injustes. Malheur aux juges qui se croient heureux présentement, parce qu’ils sont les maîtres du bien, de l’honneur et de la vie des hommes, et qu’ils donnent quand il leur plaît, des arrêts injustes pour favoriser leurs amis, ou pour perdre leurs ennemis. Malheur à ceux qui pour des intérêts secrets soutiennent souvent les riches contre les pauvres, les puissants contre les faibles, et les coupables contre les innocents. À qui auront-ils recours, et de quoi leur servira toute leur gloire passée, pour se délivrer des fers et des supplices qui sont réservés aux injustes dans l’autre vie, lorsque la terre criera vengeance contre eux, et qu’ils trouveront dans le ciel un juge sévère, qui leur reprochera qu’ils auront réduit à la dernière extrémité les veuves et les orphelins, et qui les jugera dans sa fureur ? ».

 

Miracles continuels faux.

 

Le caractère essentiellement extraordinaire du miracle fait qu’il ne peut pas être perpétuel ni continuel.

GEF XIV, p. 284, renvoie à Nicole Pierre, Des diverses manières dont on tente Dieu, ch. III, in Essais de morale, éd. L. Thirouin, 2e éd., Paris, Encre marine, 2016, p. 459-460. Si Dieu « agissait toujours d’une manière miraculeuse, on serait comme forcé de le reconnaître en tout, et cette évidence ne serait conforme ni à sa justice, ni à sa miséricorde. Il est de sa justice de laisser les méchants en des ténèbres qui les portent à douter de sa providence et de son être ; et il est de sa miséricorde de tenir ses élus à couvert de la vanité par cette obscurité salutaire. La vie de la foi, qui est la vie des justes en ce monde, consistant donc à servir Dieu sans le voir d’une manière sensible, il est clair que des miracles continuels détruiraient entièrement cet état. »

L’idée est donc liée à celle du Dieu caché, que Pascal expose ailleurs.

 

Pour affaiblir vos adversaires, vous désarmez toute l’Église.

 

Thème fréquent dans les écrits de Port-Royal sur les miracles : en jetant le doute sur les miracles, comme les jésuites le font pour le miracle de la sainte Épine, on ôte à l’Église l’un de ses plus puissants arguments.

 

S’ils disent qu’ils sont soumis au pape, c’est une hypocrisie.

 

Sur cette proposition et les suivantes, voir l’étude des accolades de transposition, cas n° 5.

Ils désigne ici les jansénistes. Pascal résume ici la manière dont leurs ennemis les présentent : leur soumission au pape est censée n’être qu’apparente, puisqu’ils refusent de se soumettre à ses bulles.

Provinciale XVII, 14. « Je rapporte toute cette suite parce qu'il me semble que cela découvre assez l'esprit de votre Société en toute cette affaire, et qu'on admirera de voir que, malgré tout ce que je viens de dire, vous n'ayez pas cessé de publier qu'ils étaient toujours hérétiques. Mais vous avez seulement changé leur hérésie selon le temps. Car, à mesure qu'ils se justifiaient de l'une, vos Pères en substituaient une autre, afin qu'ils n'en fussent jamais exempts. Ainsi, en 1653, leur hérésie était sur la qualité des propositions. Ensuite elle fut sur le mot à mot. Depuis vous la mîtes dans le cœur. Mais aujourd'hui on ne parle plus de tout cela ; et l'on veut qu'ils soient hérétiques, s'ils ne signent que le sens de la doctrine de Jansénius se trouve dans le sens de ces cinq propositions. »

RO 385 r° / v° (Laf. 957, Sel. 792). Tout le monde déclare qu'elles le sont. M. Arnaud, et ses amis, proteste qu'il les condamne en elles-mêmes, et en quelque lieu où elles se trouvent, que si elles sont dans Jansénius il les y condamne. Qu'encore même qu'elles n'y soient pas, si le sens hérétique de ces propositions que le pape a condamné se trouve dans Jansénius, qu'il condamne Jansénius. Mais vous n'êtes pas satisfaits de ces protestations, vous voulez qu'il assure que ces propositions sont mot à mot dans Jansénius. Il a répondu qu'il ne peut l'assurer, ne sachant pas si cela est, qu'il les y a cherchées et une infinité d'autres sans jamais les y trouver. Ils vous ont prié vous et tous les autres de citer en quelles pages elles sont. Jamais personne ne l'a fait. Et vous voulez néanmoins le retrancher de l'Église sur ce refus, quoiqu'il condamne tout ce qu'elle condamne, pour cette seule raison qu'il n'assure pas que des paroles ou un sens, est dans un livre où il ne l'a jamais trouvé, et où personne ne le lui veut montrer. En vérité, mon Père ce prétexte est si vain qu'il n'y eût peut-être jamais dans l'Église de procédé si étrange, si injuste et si tyrannique. [...] Il y a deux ans que leur hérésie était la bulle ; l'année passée c'était intérieur ; il y a six mois que c'était totidem ; à présent c'est le sens.

 

S’ils sont prêts à souscrire toutes ses constitutions, cela ne suffit pas.

 

Les jansénistes acceptent de signer le formulaire, en ajoutant toutefois une exception sur le fait de Jansénius, ce qui, selon Pascal, est toujours légitime lorsqu’il s’agit de points de fait. Mais leurs ennemis réclament toujours plus, en ce sens qu’ils veulent une signature sans restriction.

 

S’ils disent que notre salut dépend de Dieu, ce sont des hérétiques.

 

Voir Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). S'ils vous reprochent vos excès, ils parlent comme les hérétiques. S'ils disent que la grâce de Jésus-Christ nous discerne, ils sont hérétiques. S'il se fait des miracles, c'est la marque de leur hérésie.

 

S’ils disent qu’il ne faut pas tuer pour une pomme, ils combattent la morale des catholiques.

 

C’est par erreur que Havet renvoie à la Provinciale VII, qui traite en effet du droit de tuer pour des motifs infimes ; en fait, le meurtre pour une pomme n’est envisagé que dans la Provinciale XIV, éd. Cognet, Garnier, p. 264. « Quel renversement, mes Pères ! et qui ne voit à quels excès il peut conduire ? Car enfin il est visible qu'il portera jusqu'à tuer pour les moindres choses, quand on mettra son honneur à les conserver ; je dis même jusqu'à tuer pour une pomme. Vous vous plaindriez de moi, mes Pères, et vous diriez que je tire de votre doctrine des conséquences malicieuses, si je n'étais appuyé sur l'autorité du grave Lessius, qui parle ainsi, n. 68 : Il n'est pas permis de tuer pour conserver une chose de petite valeur, comme pour un écu, ou POUR UNE POMME, AUT PRO POMO, si ce n'est qu'il nous fût honteux de la perdre. Car alors on peut la reprendre et même tuer, s'il est nécessaire, pour la ravoir, et si opus est, occidere ; parce que ce n'est pas tant défendre son bien que son honneur. Cela est net, mes Pères. Et pour finir votre doctrine par une maxime qui comprend toutes les autres, écoutez celle-ci de votre P. Héreau, qui l'avait prise de Lessius : Le droit de se défendre s'étend à tout ce qui est nécessaire pour nous garder de toute injure. »

Lessius Léonard, De justitia et jure, Lib. II, c. 9, Dub. XI, n. 68, p. 97 (édition de 1628). « Dixi in propositione, Si res illae soint magni momenti ; quia pro re minima, non videtur concessum Jus defensionis cum tanto alterius malo ; est enim valde iniquum, ut pro pomo, vel etiam uno aureo servando, alicui vita auferatur. Si tamen tibi verteretur probro, nisi rem furi extorqueras, posses conari, et si opus esset etiam occidere, juxta Sotum ; tunc enim non tam rei quam honoris esset defensio » (texte cité dans GEF V, p. 61-62).

Nouët Jacques, Réponse à la XIVe lettre, in Réponses, p. 355 sq. Contre l’argument de la pomme. « Enfin disent-ils qu’il est permis de tuer pour un écu, voire pour une pomme ? Cela est net à votre avis, Lessius l’a ainsi décidé. Que vous êtes artificieux et malin ! Vous vous servez d’une pomme, comme le serpent, pour tromper les femmes : mais les savants se moquent de ces petites finesses : Ne faites point l’enfant devant les hommes sages : ne perdez point l’honneur pour une pomme. Dites rondement que Lessius enseigne au lieu que vous avez cité, qu’il n’est point permis de tuer pour conserver son bien, si la perte n’en est considérable ; nisi illae facultates sint magni momenti : dites qu’il est très injuste, selon ce Père, d’ôter la vie à un homme pour une pomme, ou pour un écu ; Est enim valde iniquum ut pro pomo vel uno aureo servando alicui vita auferatur. Dites qu’un Gentilhomme peut sur l’heure tirer l’épée pour r’avoir ce qu’un insolent lui a ôté pour lui faire insulte, quand ce ne serait qu’une pomme : parce que ce n’est pas le bien qu’il défend, mais l’honneur ; Tunc enim non tam rei quam honoris est defensio. Dites si vous voulez qu’en ce cas il peut tuer s’il est nécessaire pour défendre sa vie qu’il hasarde en disputant son honneur et non pas son écu, ou une pomme, et si opus est occidere : Mais ajoutez ces paroles que vous avez supprimées juxta Sotum : reconnaissez que c’est l’opinion de Soto dont le nom est illustre dans l’École de saint Thomas : ne jetez pas la pomme à Lessius [Posses conari, et si opus esset, etiam occidere juxta Sotum, tunc enim non tam rei quam honoris esset defensio. Lessius t. 2. c. 9. n. 68] qui ne fait que rapporter l’opinion de cet excellent Théologien, qui a paru avec honneur dans le Concile de Trente, et gouverné la conscience de l’Empereur Charles-Quint, et après que vous lui aurez rendu ce qui lui appartient il ne vous restera que la honte d’avoir voulu être méchant, et de ne l’avoir pu, quoiqu’il n’y ait rien de plus facile ».

 

S’il se fait des miracles parmi eux, ce n’est point une marque de sainteté et c’est au contraire un soupçon d’hérésie.

 

Voir le dossier thématique sur le miracle de la sainte Épine.

Voir Miracles III (Laf. 859, Sel. 438). S'ils vous reprochent vos excès, ils parlent comme les hérétiques. S'ils disent que la grâce de Jésus-Christ nous discerne, ils sont hérétiques. S'il se fait des miracles, c'est la marque de leur hérésie.

Provinciale XVII, éd. Cognet, Garnier, p. 338. « Je rapporte toute cette suite parce qu'il me semble que cela découvre assez l'esprit de votre Société en toute cette affaire, et qu'on admirera de voir que, malgré tout ce que je viens de dire, vous n'ayez pas cessé de publier qu'ils étaient toujours hérétiques. Mais vous avez seulement changé leur hérésie selon le temps. Car, à mesure qu'ils se justifiaient de l'une, vos Pères en substituaient une autre, afin qu'ils n'en fussent jamais exempts. Ainsi, en 1653, leur hérésie était sur la qualité des propositions. Ensuite elle fut sur le mot à mot. Depuis vous la mîtes dans le cœur. Mais aujourd'hui on ne parle plus de tout cela ; et l'on veut qu'ils soient hérétiques, s'ils ne signent que le sens de la doctrine de Jansénius se trouve dans le sens de ces cinq propositions ».

 

La manière dont l’Église a subsisté est que la vérité a été sans contestation ou, si elle a été contestée, il y a eu le pape et sinon il y a eu l’Église.

 

En cas de contestation dans l’Église le premier échelon d’appel est le pape. Mais il faut tenir compte du fait que, comme Pascal l’écrit dans la XVIIe Provinciale, le pape n’étant qu’un homme, il peut se tromper, ou pire être trompé, comme c’est le cas dans les disputes consécutives à la condamnation de Jansénius.

Laf. 776, Sel. 641. L’histoire de l’Église doit proprement être appelée l’histoire de la vérité. Voir le commentaire sur ce fragment.

Sellier Philippe, “Port-Royal : littérature et théologie”, in Port-Royal et la littérature, II, Le siècle de saint Augustin, La Rochefoucauld, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, Sacy, Racine, 2e éd., 2012, p. 34 sq.

Pascal pense que les papes eux-mêmes n’exigent pas (au moins en principe) qu’on leur attribue une autorité excessive, voire tyrannique ; ce sont certains religieux qui cherchent à exercer une autorité tyrannique en s’abritant sous leur titre : voir la XVIIIe Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 370 : « Les papes sont bien éloignés de traiter les chrétiens avec cet empire que l’on voudrait exercer sous leur nom ».

XVIIIe Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 371 : « Les papes sont bien éloignés de traiter les chrétiens avec cet empire que l’on voudrait exercer sous leur nom. L’Église, dit le pape saint Grégoire, In Job., lib. 8, c. I, qui a été formée dans l’école d’humilité, ne commande pas avec autorité, mais persuade par raison ce qu’elle enseigne à ses enfants qu’elle croit engagés dans quelque erreur : Recta quae errantibus dicit, non quasi ex auctoritate praecipit, sed ex ratione persuadet. Et bien loin de tenir à déshonneur de réformer un jugement où l’on les aurait surpris, ils en font gloire au contraire, comme le témoigne saint Bernard, Ép. 180. Le siège apostolique, dit-il, a cela de recommandable, qu’il ne se pique pas d’honneur, et se porte volontiers à révoquer ce qu’on en a tiré par surprise : aussi est-il bien juste que personne ne profite de l’injustice, et principalement devant le Saint Siège. Voilà, mon père, les vrais sentiments qu’il faut inspirer aux papes ; puisque tous les théologiens demeurent d’accord qu’ils peuvent être surpris, et que cette qualité suprême est si éloignée de les en garantir, qu’elle les y expose au contraire davantage, à cause du grand nombre des soins qui les partagent. C’est ce que dit le même saint Grégoire à des personnes qui s’étonnaient de ce qu’un autre pape s’était laissé tromper : Pourquoi admirez-vous, dit-il, l. I, Dial., que nous soyons trompés, nous qui sommes des hommes ? N’avez-vous pas vu que David, ce roi qui avait l’esprit de prophétie, ayant donné créance aux impostures de Siba, rendit un jugement injuste contre le fils de Jonathas ? Qui trouvera donc étrange que des imposteurs nous surprennent quelquefois, nous qui ne sommes point prophètes ? La foule des affaires nous accable ; et notre esprit, qui, étant partagé en tant de choses, s’applique moins à chacune en particulier, en est plus aisément trompé en une. En vérité, mon père, je crois que les papes savent mieux que vous s’ils peuvent être surpris ou non. Ils nous déclarent eux-mêmes que les papes et que les plus grands rois sont plus exposés à être trompés que les personnes qui ont moins d’occupations importantes. Il les en faut croire. Et il est bien aisé de s’imaginer par quelle voie on arrive à les surprendre. Saint Bernard en fait la description dans la lettre qu’il écrivit à Innocent II, en cette sorte : Ce n’est pas une chose étonnante ni nouvelle, que l’esprit de l’homme puisse tromper et être trompé. Des religieux sont venus à vous dans un esprit de mensonge et d’illusion. Ils vous ont parlé contre un évêque qu’ils haïssent, et dont la vie a été exemplaire. Ces personnes mordent comme des chiens, et veulent faire passer le bien pour le mal. Cependant, très saint Père, vous vous mettez en colère contre votre fils. Pourquoi avez-vous donné un sujet de joie à ses adversaires ? Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez si les esprits sont de Dieu. J’espère que quand vous aurez connu la vérité, tout ce qui a été fondé sur un faux rapport sera dissipé. Je prie l’esprit de vérité de vous donner la grâce de séparer la lumière des ténèbres, et de réprouver le mal pour favoriser le bien. Vous voyez donc, mon père, que le degré éminent où sont les papes ne les exempte pas de surprise, et qu’il ne fait autre chose que rendre leurs surprises plus dangereuses et plus importantes. C’est ce que saint Bernard représente au pape Eugène, De Consid., l. 2, c. ult. Il y a un autre défaut si général, que je n’ai vu personne des grands du monde qui l’évite. C’est, saint Père, la trop grande crédulité, d’où naissent tant de désordres. Car c’est de là que viennent les persécutions violentes contre les innocents, les préjugés injustes contre les absents, et les colères terribles pour des choses de néant, pro nihilo. Voilà, saint Père, un mal universel, duquel, si vous êtes exempt, je dirai que vous êtes le seul qui ayez cet avantage entre tous vos confrères. »

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, Défense des professeurs en théologie de l’Université de Bordeaux contre un écrit intitulé : Lettre d’un théologien à un officier du Parlement touchant la question si le livre intitulé Ludovici Montaltii litterae etc., est hérétique, 1660, p. 13. Arnauld et Nicole prêtent aux jésuites les thèses suivantes : l’Église est infaillible sur les questions de fait aussi bien que de droit. Il y a une différence entre les Écritures canoniques, objet de foi par elles-mêmes et considérées comme témoignage immédiat de l’autorité divine, et les définitions des conciles, qui ne sont regardées que comme nous faisant connaître ce qui est contenu dans la Parole de Dieu. L’infaillibilité de l’Église consiste à ne pouvoir dire que vrai, quand elle dit que quelque chose a été ou n’a pas été révélé par Dieu dans l’Écriture ou la tradition, grâce à l’assistance de l’Esprit Saint, mais sans proposer aucun article de foi nouvellement révélé. C’est une opinion erronée de soutenir que le pape est infaillible dans la décision des faits non révélés, comme le sens d’un auteur. Il ne s’agit pas des faits révélés et contenus dans l’Écriture, qui font l’objet d’une foi divine, mais seulement des faits qui ne sont pas contenus dans la Parole de Dieu, écrite ou non écrite. La question du texte n’est pas de savoir si le pape s’est trompé sur la question de fait, mais s’il est possible qu’il s’y trompe. Voir là-dessus p. 15-17, sur l’affaire Honorius. Les jésuites veulent introduire dans l’Église une dangereuse opinion de l’infaillibilité du pape. Cela renverse la foi : seule la révélation originelle peut être objet de foi divine. Ce qui n’y est pas contenu ne peut être objet de la foi catholique. Critique de la tentative faite par les jésuites contre Jansénius : p. 19.

Laporte Jean, La doctrine de Port-Royal, II, La morale, p. 388 sq. L’infaillibilité de l’Église est limitée aux articles de foi. Lorsque l’Église parle sans s’appuyer sur la parole de Dieu, elle n’est qu’une assemblée qui ne peut prescrire aux autres de soumettre leur jugement. « La raison d’un homme purement homme n’a point de droit sur la mienne. Nous n’avons l’un et l’autre que Dieu pour maître, et il est tout à fait ridicule de vouloir que je l’en croie sur les choses que je puis voir par ma propre lumière », Arnauld Antoine, Examen du Traité de l’essence des corps, Œuvres, XXXVIII, p. 93.

Lorsqu’un pape se trompe ou est trompé, il faut alors recourir à l’Église, c’est-à-dire au concile, qui ne peut se tromper sur les dogmes de la foi. Mais même le concile n’est pas infaillible sur les questions de fait. Voir la Provinciale XVII, éd. Cognet, Garnier, p. 343-344.

« C’est ce que tous les théologiens reconnaissent, comme il paraît par cette maxime du Cardinal Bellarmin, de votre Société : Les Conciles généraux et légitimes ne peuvent errer en définissant les dogmes de foi ; mais ils peuvent errer en des questions de fait. Et ailleurs : Le Pape, comme Pape, et même à la tête d’un Concile universel, peut errer dans les controverses particulières de fait, qui dépendent principalement de l’information et du témoignage des hommes. Et le Cardinal Baronius de même : Il faut se soumettre entièrement aux décisions des Conciles dans les points de foi ; mais, pour ce qui concerne les personnes et leurs écrits, les censures qui en ont été faites ne se trouvent pas avoir été gardées avec tant de rigueur, parce qu’il n’y a personne à qui il ne puisse arriver d’y être trompé. C’est aussi pour cette raison que M. l’Archevêque de Toulouse a tiré cette règle des lettres de deux grands papes, saint Léon et Pélage II : Que le propre objet des Conciles est la foi, et tout ce qui s’y résout hors de la foi peut être revu et examiné de nouveau ; au lieu qu’on ne doit plus examiner ce qui a été décidé en matière de foi, parce que, comme dit Tertullien, la règle de la foi est seule immobile et irrétractable.

De là vient qu’au lieu qu’on n’a jamais vu les Conciles généraux et légitimes contraires les uns aux autres dans les points de foi, parce que, comme dit M. de Toulouse, il n’est pas seulement permis d’examiner de nouveau ce qui a été déjà décidé en matière de foi, on a vu quelquefois ces mêmes Conciles opposés sur des points de fait où il s’agissait de l’intelligence du sens d’un auteur, parce que, comme dit encore M. de Toulouse, après les Papes qu’il cite, tout ce qui se résout dans les Conciles hors la foi peut être revu et examiné de nouveau. C’est ainsi que le IVe et le Ve Concile paraissent contraires l’un à l’autre, en l’interprétation des mêmes auteurs ; et la même chose arriva entre deux Papes, sur une proposition de certains moines de Scythie ; car, après que le Pape Hormisdas l’eut condamnée en l’entendant en un mauvais sens, le Pape Jean II, son successeur, l’examinant de nouveau, et l’entendant en un bon sens, l’approuva et la déclara catholique. »

 

Première objection : Ange du ciel.

 

L’édition Sellier renvoie à l’Épître aux Galates, I, 8 : « Mais quand nous vous annoncerions nous-mêmes, ou quand un ange du ciel vous annoncerait un Évangile différent de celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ». Voir pour éclaircissement le fragment suivant, Miracles III (Laf. 881, Sel. 443).

Voir le fragment Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Si les miracles sont vrais, pourra-t-on persuader toute doctrine ? Non, car cela n’arrivera pas. Si angelus.

L’édition Lafuma remarque que le P. Annat a évoqué ce passage dans le Rabat-joie des jansénistes ou observations nécessaires sur ce qu’on dit être arrivé au Port-Royal au sujet de la sainte Épine, Par un docteur de l’Église catholique, août 1656, p. 6 : « C’est non seulement une fausseté mais aussi un blasphème, de dire que Dieu fasse des miracles pour autoriser des erreurs condamnées par son Église, et pour justifier ceux qui les soutiennent avec obstination contre l’autorité de la même Église. Car Dieu étant la première et souveraine vérité, ne peut pas être contraire à lui-même ; et comme le dit l’apôtre saint Paul, quoi que nous manquions de foi, Dieu demeure toujours fidèle, il ne peut pas se nier soi-même. [2 ad Thimoth. 2]. De sorte que quand il nous a déclaré par l’organe de son Église, ce que nous devons croire comme vérité, ou rejeter comme erreur, quand bien même un ange descendrait du ciel, comme parle le même apôtre, pour nous persuader le contraire, il faudrait prononcer anathème contre cet ange et contre tout ce qu’il dirait. Or c’est l’Église qui parle... »

L’argument vise à discréditer le miracle de la sainte Épine : on ne doit pas le recevoir, parce que l’on doit juger du miracle par la vérité, et que Port-Royal n’est qu’un lieu d’hérésie.

C’est l’argument que Pascal traite dans les lignes suivantes.

 

Il ne faut pas juger de la vérité par les miracles mais du miracle par la vérité.

Donc les miracles sont inutiles.

Or ils servent, et il ne faut point être contre la vérité.

Donc ce qu’a dit le P. Lingendes, que Dieu ne permettrait point qu’un miracle puisse induire à erreur...

Lorsqu’il y aura contestation dans la même Église, le miracle décide.

 

Sur le P. de Lingendes, voir Miracles I (Laf. 830, Sel. 419).

Raisonnement complexe, parce qu’il est incomplet. Pascal part d’un principe qu’il attribue au P. de Lingendes : c’est la doctrine qui permet de discerner le miracle ; d’où découle que si la doctrine est fausse, le miracle ne peut pas être un vrai miracle. C’est un argument des ennemis de Port-Royal, qui cherchent à discréditer à la fois la doctrine janséniste et le miracle de la sainte Épine. De ce principe, Pascal tire cette conclusion que, si on l’admet, les miracles ne servent à rien : ils ne prouvent en tout cas pas la vérité de la doctrine, puisqu’on suppose que c’est au contraire la doctrine qui les rend crédibles. Cela ouvre la voie à un raisonnement apagogique : les miracles sont utiles et ils servent à la vérité.

Voir Miracles II (Laf. 832, Sel. 421). Les miracles discernent la doctrine, et la doctrine discerne les miracles. Il y en a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connaître, autrement ils seraient inutiles Or ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondement. Or il faut que la règle qu’il nous donne soit telle qu’elle ne détruise la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles. [...] Si la doctrine règle les miracles, les miracles sont inutiles pour la doctrine. Si les miracles règlent...

Donc on ne peut pas les faire dépendre seulement de la doctrine. Par conséquent, ils servent à éviter que l’on soit contre la vérité.

L’avant-dernière proposition en revanche est incomplète. Pascal veut sans doute dire que la thèse du P. de Lingendes est sans objet.

La dernière proposition précise en quoi les miracles servent : lorsque la vérité est l’objet de disputes qui l’obscurcissent, les miracles permettent de la reconnaître. C’est ce que fait le miracle de la sainte Épine.

Lorsqu'il y aura contestation dans la même Église le miracle décide : le miracle, selon Pascal, sert à discerner la vérité de l’erreur lorsqu’elle est en doute dans quelque contestation dans l’Église. Le nerf de la pensée de Pascal est que le miracle ne sert pas à convertir les incrédules, mais à discerner en cas de doute ; il répond au principe que Dieu ne pouvant pas induire les hommes en erreur, sa manifestation par le miracle sert à dénouer le conflit en faisant apparaître de quel côté est la vérité.

 

Deuxième objection : Mais l’Antéchrist fera des signes.

 

Voir le dossier thématique sur l’Antéchrist.

Signes a ici le sens de miracles.

Miracles II (Laf. 851, Sel. 432). L’Antéchrist. In signis mendacibus, dit saint Paul. 2, Thess., 2. Secundum operationem Satanæ. In seductione iis qui pereunt eo quod charitatem veritatis non receperunt ut salvi fierent. Ideo mittet illis Deus operationes erroris ut credant mendacio. Comme au passage de Moïse : Tentat enim vos Deus utrum diligatis eum.

En quoi consiste l’objection ? On ne peut pas dire que les miracles sont destinés à accréditer la doctrine, puisque l’Antéchrist accomplira des miracles, qui ne peuvent être favorables qu’à l’erreur.

 

Les magiciens de Pharaon n’induisaient point à erreur.

 

L’édition Lafuma (1951) conserve la graphie Pharao, sans justification claire.

Les magiciens de Pharaon : voir Exode, VII, 10-12. Moïse et Aaron ayant été voir Pharaon, « Aaron jeta sa verge devant Pharaon et ses serviteurs, et elle fut changée en serpent. 11. Pharaon ayant fait venir les sages d’Égypte et les magiciens, ils firent aussi la même chose par les enchantements du pays et par les secrets de leur art. 12. Et chacun d’eux ayant jeté sa verge, elles furent changées en serpents : mais la verge d’Aaron dévora leurs verges ».

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 181. Les miracles de Moïse, plus grands que ceux des magiciens du Pharaon, révèlent que le Dieu d’Israël est un vrai Dieu.

Ces magiciens n’induisent pas en erreur parce qu’ils ne sont en rien des prophètes.

 

Ainsi on ne pourra point dire à Jésus-Christ sur l’Antéchrist : Vous m’avez induit à erreur. Car l’Antéchrist les fera contre Jésus-Christ, et ainsi ils ne peuvent induire à erreur.

Ou Dieu ne permettra point de faux miracles, ou il en procurera de plus grands.

 

Voir le dossier thématique sur l’Antéchrist.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 164. L’Antéchrist fera des miracles ; mais ils ne pourront tromper car ils se feront contre Jésus-Christ, et ce dernier a averti qu’on ne devait pas le croire.

 

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Depuis le commencement du monde, Jésus-Christ subsiste. Cela est plus fort que tous les miracles de l’Antéchrist. (texte barré verticalement)

 

Pascal considère la perpétuité comme l’une des marques de la religion chrétienne. Voir Miracles III (Laf. 870, Sel. 440).

 

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Si dans la même Église il arrivait miracle du côté des errants, on serait induit à erreur.

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Le schisme est visible, le miracle est visible, mais le schisme est plus marque d’erreurs que le miracle n’est marque de vérité. Donc le miracle ne peut induire à erreur.

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Mais hors le schisme l’erreur n’est pas si visible que le miracle est visible. Donc le miracle induirait à erreur.

 

Marque d’erreurs : on attendrait plutôt le singulier erreur. Mais le manuscrit porte indiscutablement un s final. Voir l’étude correspondante. Il est donc préférable de se tenir à cette leçon, qui est loin d’être dépourvue de sens.

On doit juger de ce qui est douteux par ce qui est clair. Ce principe, que Pascal applique ici aux miracles est aussi un fondement de sa conception de l’interprétation. Voir la liasse Loi figurative.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 164 et p. 181. Pour les miracles qui se produisent après la venue du Christ, il faut les reconnaître pour vrais, tant qu’ils ne vont pas contre la foi catholique. Il en allait autrement à l’époque de l’Ancien Testament, où le Christ n’était connu que par les prophéties ; à cette époque la règle fondamentale était la foi en un seul Dieu. Voir Deutéronome, XIII, 2-4.

Le présent passage se place naturellement dans la perspective chrétienne.

Pascal pose le problème sous la forme : à quelles conditions un miracle peut-il tromper ? Dans le cas d’un schisme hérétique, c’est le schisme qui est marque d’erreur, car il est proclamé aussi bien par l’Église que par celui qui s’en sépare. Par conséquent, on doit mettre en doute ce qui est le moins évident, c’est-à-dire le miracle. Donc le miracle ne peut pas tromper. Dans les autres cas que le schisme, si l’erreur n’est pas évidente alors que le miracle est visible, le miracle pourrait tromper en accréditant un menteur.

 

Ubi est deus tuus ? Les miracles le montrent et sont un éclair.

 

Ubi est deus tuus : Psaume XLI, 3 (XLII, 4). « Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit, lorsqu’on me dit tous les jours : Où est ton Dieu ? ».

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 181 sq.

 

Hommes naturellement couvreurs et de toutes vacations, hormis en chambre. (texte dans la marge, barré verticalement)

 

La note est barrée verticalement, ce qui suppose que l’idée a été utilisée ailleurs. Voir la liasse Divertissement, où Pascal indique l’incapacité des hommes de demeurer dans une chambre (Divertissement 4 - Laf. 136, Sel. 168).

L’édition Sellier-Ferreyrolles (Pochothèque) souligne le caractère ironique du terme naturellement : en fait, Pascal pense que le choix du métier (vacation) est affaire de hasard et de coutume.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 178, remarque que cette note témoigne que le projet d’apologie est en train de prendre forme, à l’époque où Pascal travaille sur les miracles.

Couvreur : artisan qui couvre les maisons. Il y a des couvreurs en ardoise, en tuile, en chaume. On dit À bas couvreur, la tuile est casée, quand on commande à quelqu’un de descendre d’un lieu où il est monté (Furetière).

Laf. 634, Sel. 527. La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, soldats, couvreurs. C'est un excellent couvreur, dit-on, et en parlant des soldats : ils sont bien fous, dit-on, et les autres au contraire : il n'y a rien de grand que la guerre, le reste des hommes sont des coquins. A force d'ouïr louer en l'enfance ces métiers et mépriser tous les autres on choisit. Car naturellement on aime la vertu et on hait la folie ; ces mots mêmes émeuvent ; on ne pèche qu'en l'application. Tant est grande la force de la coutume que de ceux que la nature n'a fait qu'hommes on fait toutes les conditions des hommes. Car des pays sont tout de maçons, d'autres tout de soldats, etc. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme ; c'est la coutume qui fait donc cela, car elle contraint la nature, et quelquefois la nature la surmonte et retient l'homme dans son instinct malgré toute coutume bonne ou mauvaise.