Fragment Contrariétés n° 5 / 14 – Papier original : RO 161-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 167 p. 45 v° / C2 : p. 66

Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janv. 1670 p. 170 / 1678 n° 4 p. 166-167

Éditions savantes : Faugère II, 83, X / Havet VIII.13 / Michaut 387 / Brunschvicg 416 / Tourneur p. 197-4 / Le Guern 113 / Lafuma 122 / Sellier 155

 

 

 

A P. R. Grandeur et misère.

 

La misère se concluant de la grandeur et la grandeur de la misère, les uns ont conclu la misère d’autant plus qu’ils en ont pris pour preuve la grandeur et les autres concluant la grandeur avec d’autant plus de force qu’ils l’ont conclue de la misère même, tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n’a servi que d’un argument aux autres pour conclure la misère, puisque c’est être d’autant plus misérable qu’on est tombé de plus haut. Et les autres au contraire. Ils se sont portés les uns sur les autres par un cercle sans fin, étant certain qu’à mesure que les hommes ont de lumière ils trouvent et grandeur et misère en l’homme.

En un mot l’homme connaît qu’il est misérable. Il est donc misérable, puisqu’il l’est. Mais il est bien grand, puisqu’il le connaît.

 

 

 

Dans ce fragment Pascal expose de la manière la plus précise le mécanisme logique du « renversement du pour au contre » qui engendre le mouvement qui conduit de l’affirmation de la misère de l’homme à celle de sa grandeur et vice versa, tel qu’il est résumé dans Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163). Le manuscrit permet de le voir dans son travail de mise au point, qui aboutit à la formule finale, qui cristallise l’idée du texte. À ce point, le lecteur est encore confronté à une contrariété et à un cercle vicieux dont il ne peut pas encore deviner l’issue. Ce sera l’office de la liasse A P. R, dont ce fragment porte le titre.

 

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Fragments connexes

 

Grandeur 12 (Laf. 116, Sel. 148).Toutes ces misères-là même prouvent sa grandeur. Ce sont misères de grand seigneur, misères d’un roi dépossédé.

Grandeur 13 (Laf. 117, Sel. 149). Qui se trouve malheureux de n’être pas roi, sinon un roi dépossédé ? Trouvait‑on Paul Émile malheureux de n’être pas consul ? Au contraire tout le monde trouvait qu’il était heureux de l’avoir été, parce que sa condition n’était pas de l’être toujours. Mais on trouvait Persée si malheureux de n’être plus roi, parce que sa condition était de l’être toujours, qu’on trouvait étrange de ce qu’il supportait la vie.

Contrariétés 10 (Laf. 127, Sel. 160). La nature de l’homme se considère en deux manières. L’une selon sa fin, et alors il est grand et incomparable. L’autre selon la multitude, comme on juge de la nature du cheval et du chien par la multitude, d’y voir la course et animum arcendi ; et alors l’homme est abject et vil. Et voilà les deux voies qui en font juger diversement et qui font tant disputer les philosophes.

Car l’un nie la supposition de l’autre. L’un dit : « Il n’est point né à cette fin, car toutes ses actions y répugnent. » L’autre dit : « Il s’éloigne de la fin, quand il fait ces basses actions ».

Contrariétés 13 (Laf. 130, Sel. 163). S’il se vante je l’abaisse.

S’il s’abaisse, je le vante.

Et le contredis toujours

Jusqu’à ce qu’il comprenne

Qu’il est un monstre incompréhensible.

Géométrie-Finesse I (Laf. 510, Sel. 669). À mesure qu’on a plus d’esprit on trouve qu’il y a plus d’hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent point de différence entre les hommes.

Pensées diverses (Laf. 613, Sel. 506). Grandeur, misère.

À mesure qu’on a de lumière on découvre plus de grandeur et plus de bassesse dans l’homme.

Le commun des hommes.

Ceux qui sont plus élevés.

Les philosophes.

Ils étonnent le commun des hommes.

Les chrétiens, ils étonnent les philosophes.

Qui s’étonnera donc de voir que la religion ne fait que connaître à fond ce qu’on reconnaît d’autant plus qu’on a plus de lumière.

 

Mots-clés : ArgumentCercleConnaîtreGrandeurLumièreMisèrePreuve.