Fragment Preuves de Jésus-Christ n° 6 / 24  – Papier original : RO 61-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de J.-C. n° 337 p. 157-157 v° / C2 : p. 188

Éditions de Port-Royal : Préface : 1669 et janvier 1670 p. [39]  / 1678 p. [25-26]

Éditions savantes : Faugère II, 370, XXXI / Havet XIX.2 bis / Brunschvicg 799 / Tourneur p. 277-1 / Le Guern 285 / Lafuma 303 / Sellier 334

 

 

 

Un artisan qui parle des richesses, un procureur qui parle de la guerre, de la royauté, etc., mais le riche parle bien des richesses, le roi parle froidement d’un grand don qu’il vient de faire, et Dieu parle bien de Dieu.

 

 

Pascal pense que les hommes parlent bien de ce qui les touche et correspond à leur condition, mais non des matières qui leur sont hétérogènes : une personne de petite condition parle avec émerveillement d’une grande somme d’argent, alors que le roi, habitué à accorder de grosses pensions, les considère sans émotion. Mais il ne s’agit pas en fait d’une simple observation morale ou rhétorique. Par une extension qui lui a été suggérée par sa connaissance familière des Écritures, Pascal en conclut que seul Dieu est à même de bien parler des choses divines, comme il l’a fait par la bouche des prophètes et des évangélistes, ou dans les discours proférés par le Christ. Il en conclut que, pour un auteur qui veut préparer son lecteur à chercher Dieu, la seule bonne manière d’écrire est d’imiter le style de l’Écriture, qui seule parle bien de Dieu. C’est toute une conception de la rhétorique chrétienne qui est en germe dans ce fragment.

 

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Fragments connexes

 

Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). La grandeur des gens d’esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.

Preuves de Jésus-Christ 12 (Laf. 309, Sel. 340). Preuves de J.-C.

J.-C. a dit les choses grandes si simplement qu’il semble qu’il ne les a pas pensées, et si nettement néanmoins qu’on voit bien ce qu’il en pensait. Cette clarté jointe à cette naïveté est admirable.

Preuves de Jésus-Christ 18 (Laf. 316, Sel. 347). Qui a appris aux évangélistes les qualités d’une âme parfaitement héroïque, pour la peindre si parfaitement en J.-C. ? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante ? Oui, car le même saint Luc peint celle de saint Etienne plus forte que celle de J.-C. Ils le font capable de crainte, avant que la nécessité de mourir soit arrivée, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si troublé c’est quand il se trouble lui-même et quand les hommes le troublent il est tout fort.

Dossier de travail (Laf. 403, Sel. 22). Misère.

Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parlé de la misère de l’homme, l’un le plus heureux et l’autre le plus malheureux. L’un connaissant la vanité des plaisirs par expérience, l’autre la réalité des maux.

Pensées diverses (Laf. 586, Sel. 486). Beauté poétique.

Comme on dit beauté poétique on devrait aussi dire beauté géométrique et beauté médicinale, mais on ne le dit pas et la raison en est qu’on sait bien quel est l’objet de la géométrie et qu’il consiste en preuve, et quel est l’objet de la médecine et qu’il consiste en la guérison ; mais on ne sait pas en quoi consiste l’agrément qui est l’objet de la poésie. On ne sait ce que c’est que ce modèle naturel qu’il faut imiter et à faute de cette connaissance on a inventé de certains termes bizarres, siècle d’or, merveille de nos jours, fatal, etc. Et on appelle ce jargon beauté poétique.

Pensées diverses (Laf. 675, Sel. 554). Style.

Quand on voit le style naturel on est tout étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme. Au lieu que ceux qui ont le goût bon et qui en voyant un livre croient trouver un homme sont tout surpris de trouver un auteur. Plus poetice quam humane locutus es. Ceux-là honorent bien la nature qui lui apprennent qu’elle peut parler de tout, et même de théologie.

Pensées diverses (Laf. 812, Sel. 658). Le style de l’Évangile est admirable en tant de manières et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de J.-C. Car il n’y en a aucune des historiens contre Judas, Pilate, ni aucun des Juifs. Si cette modestie des historiens évangéliques avait été affectée aussi bien que tant d’autres traits d’un si beau caractère, et qu’ils ne l’eussent affecté que pour le faire remarquer - s’ils n’avaient osé le remarquer eux-mêmes – ils n’auraient pas manqué de se procurer des amis qui eussent fait ces remarques à leur avantage mais comme ils ont agi de la sorte sans affectation et par un mouvement tout désintéressé ils ne l’ont fait remarquer à personne et je crois que plusieurs de ces choses n’ont point été remarquées jusqu’ici ; et c’est ce qui témoigne la froideur avec laquelle la chose a été faite.

 

Mots-clés : Artisan – Dieu – Don – GuerreParler – Procureur – RicheRoi.