Verso du fragment Transition n° 2 / 8 – Papier original : RO 49-3 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Transition n° 246 p. 89-89 v° / C2 : p. 115-116

Éditions savantes : Faugère I, 235-236, CLXXXVII à CLXXXIX / Brunschvicg 37, 86 et 163 bis / Tourneur p. 234-2 / Le Guern 183 / Lafuma 195, 196 et 197 / Sellier 228

 

(Voir le texte situé au recto)

Texte barré verticalement          

 

 

Puisqu’on ne peut être universel en sachant tout ce qui se peut savoir sur tout, il faut savoir peu de tout, car il est bien plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d’une chose. Cette universalité est la plus belle. Si on pouvait avoir les deux encore mieux, mais s’il faut choisir il faut choisir celle‑là. Et le monde le sent et le fait, car le monde est un bon juge souvent.

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Ma fantaisie me fait haïr un coasseur et un qui souffle en mangeant. La fantaisie a grand poids. Que profiterons‑nous de là ? que nous suivrons ce poids à cause qu’il est naturel, non mais que nous y résisterons.

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Rien ne montre mieux la vanité des hommes que de considérer quelle cause et quels effets de l’amour, car tout l’univers en est changé. Le nez de Cléopâtre.

 

 

Ce fragment est composé de notes prises par Pascal au dos de Transition 2. Seule la première remarque a un rapport avec le sujet général de la liasse, puisqu’il y est question de l’incapacité de l’homme de tout savoir sur tout, due à l’infinité de la Nature, et de la manière dont il doit tenter de remédier à cette impuissance en sachant un peu de tout.

Les trois autres notes sont d’une tout autre inspiration, et relèvent plutôt du thème de la vanité humaine : Pascal y rappelle l’exemple de Cléopâtre, déjà abordé dans Vanité, et un exemple de la fantaisie qui rend insupportables certaines particularités d’autrui. Mais ces notes n’ont pas vraiment leur place dans Transition : les dernières relèvent d’un état dépassé de l’argumentation, et la première, qui traite de l’idéal civil de l’honnêteté, serait quelque peu déplacée dans une liasse qui va révéler la disproportion de l’homme. Pascal a donc biffé ces textes ; mais ils n'en ont pas moins été heureusement conservés par le copiste, tels qu'ils étaient sur le manuscrit avant que le découpage préalable à la confection du Recueil des originaux n'en détruise une  partie.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 32 (Laf. 46, Sel. 79). Vanité. La cause et les effets de l’amour. Cléopâtre.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Quand on est instruit on comprend que la nature ayant gravé son image et celle de son auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes de sa double infinité. C’est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue de leurs recherches, car qui doute que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies dans la multitude et la délicatesse de leurs principes, car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier.

Mais comme nous appelons dans la physique. Mais nous faisons des derniers qui paraissent à la raison, comme on fait dans les choses matérielles où nous appelons un point indivisible, celui au-delà duquel nos sens n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment et par sa nature.

De ces deux infinis de sciences celui de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi il est arrivé à peu de personnes de prétendre connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait Démocrite.

Mais l’infinité en petitesse est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt prétendu d’y arriver, et c’est là où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné lieu à ces titres si ordinaires, Des principes des choses, Des principes de la philosophie, et aux semblables, aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que cet autre qui crève les yeux : De omni scibili.

On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence, et l’étendue visible du monde nous surpasse visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder [...].

Il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. L’un dépend de l’autre et l’un conduit à l’autre. Ces extrémités se touchent et se réunissent à force de s’être éloignées et se retrouvent en Dieu, et en Dieu seulement.

Dossier de travail (Laf. 413, Sel. 32). Qui voudra connaître à plein la vanité de l’homme n’a qu’à considérer les causes et les effets de l’amour. La cause en est un Je ne sais quoi. Corneille. Et les effets en sont effroyables. Ce Je ne sais quoi, si peu de chose qu’on ne peut le reconnaître remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé.

Pensées diverses (Laf. 530, Sel. 455). La fantaisie est semblable et contraire au sentiment ; de sorte qu’on ne peut distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie, l’autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s’offre mais elle est ployable à tous sens. Et ainsi il n’y en a point.

Pensées diverses (Laf. 587, Sel. 486). On ne passe point dans le monde pour se connaître en vers si l’on n’a mis l’enseigne de poète, de mathématicien, etc. mais les gens universels ne veulent point d’enseigne et ne mettent guère de différence entre le métier de poète et celui de brodeur.

Les gens universels ne sont appelés ni poètes, ni géomètres, etc. Mais ils sont tout cela et juges de tous ceux-là. On ne les devine point et parleront de ce qu’on parlait quand ils sont entrés. On ne s’aperçoit point en eux d’une qualité plutôt que d’une autre, hors de la nécessité de la mettre en usage, mais alors on s’en souvient. Car il est également de ce caractère qu’on ne dise point d’eux qu’ils parlent bien quand il n’est point question du langage et qu’on dise d’eux qu’ils parlent bien quand il en est question.

C’est donc une fausse louange qu’on donne à un homme quand on dit de lui lorsqu’il entre qu’il est fort habile en poésie et c’est une mauvaise marque quand on n’a pas recours à un homme quand il s’agit de juger de quelques vers.

Pensées diverses (Laf. 605, Sel. 502). L’homme est plein de besoins. Il n’aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C’est un bon mathématicien dira-t-on, mais je n’ai que faire de mathématique ; il me prendrait pour une proposition. C’est un bon guerrier : il me prendrait pour une place assiégée. Il faut donc un honnête homme qui puisse s’accommoder à tous mes besoins généralement.

Pensées diverses (Laf. 647, Sel. 532). Honnête homme. Il faut qu’on n’en puisse dire ni il est mathématicien, ni prédicateur, ni éloquent mais il est honnête homme, cette qualité universelle me plaît seule. Quand en voyant un homme on se souvient de son livre c’est mauvais signe. Je voudrais qu’on ne s’aperçût d’aucune qualité que par la rencontre et l’occasion d’en user, ne quid nimis, de peur qu’une qualité ne l’emporte et ne fasse baptiser, qu’on ne songe point qu’il parle bien, sinon quand il s’agit de bien parler, mais qu’on y songe alors.

Pensées diverses (Laf. 817, Sel. 659). On a beau dire : il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant. C’est parce que vous y êtes né dira-t-on. Tant s’en faut je me roidis contre par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne, mais quoique j’y sois né je ne laisse pas de le trouver ainsi.

 

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