Fragment Vanité n° 22 / 38 – Papier original : RO 81-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 42 p. 91 / C2 : p. 22

Éditions savantes : Faugère II, 55, I-VIII / Havet XXV, 80 ter / Brunschvicg 117 / Tourneur p. 172-1 / Le Guern 32 / Maeda I p. 166 / Lafuma 35 / Sellier 69

 

 

 

Talon de soulier.

 

Ô que cela est bien tourné ! Que voilà un habile ouvrier ! Que ce soldat est hardi ! Voilà la source de nos inclinations et du choix des conditions. Que celui-là boit bien ! Que celui‑là boit peu ! Voilà ce qui fait les gens sobres et ivrognes, soldats, poltrons, etc.

 

 

 

La vanité de l’homme éclate dans ces exclamations tirées des discours ordinaires des hommes, qui montrent avec combien peu de fondement les hommes choisissent leur condition ou leur métier.

Le choix du métier ou de la condition est abordé dans les Pensées sous des angles différents, mais qui forment une sorte de système de causes non pertinentes. On devrait choisir son métier en raison de ses goûts, ou de la valeur du métier. Ce n’est jamais le cas. En fait, ce qui en décide, c’est l’admiration que l’on voue à telle pratique, admiration qui est elle-même déterminée par le milieu social dans lequel on vit, c’est-à-dire par des causes qui relèvent au fond de l’arbitraire du hasard.

Les fragments sur le talon de soulier insistent implicitement sur le fait qu’on choisit une profession sans la connaître en elle-même, et dans ses difficultés, mais seulement sur un point qui frappe la vue de manière purement extérieure. On voit ordinairement aujourd’hui les enfants choisir des métiers de vedettes ou de champions sportifs…

La vanité et le goût de la gloire sont des facteurs déterminants. On choisit son métier sous l’influence de l’admiration qu’on accorde à une pratique qui apparaît particulièrement brillante.

 

Tourner signifie arrondir : on tourne un globe, un cylindre, un cône.

Dictionnaire de l’Académie, article Soldat : homme de guerre qui est à la solde d’un prince, d’un État, etc. Il se dit des simples soldats, à la différence des officiers. Il se dit plus particulièrement de ceux qui servent dans l’infanterie. On dit qu’un homme est soldat pour dire qu’il est brave, vaillant, déterminé ; ex. : Il est plus soldat que capitaine. Il se prend quelquefois adjectivement : Il a l’air soldat.

Furetière : Soldat se dit de tout homme qui est brave.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 24 (Laf. 37, Sel. 71). Métiers. La douceur de la gloire est si grande qu’à quelque objet qu’on l’attache, même à la mort, on l’aime.

Vanité 25 (Laf. 38, Sel. 72). Trop et trop peu de vin.

Misère 12 (Laf. 63, Sel. 97). La gloire. L’admiration gâte tout dès l’enfance. Ô que cela est bien dit ! ô qu’il a bien fait, qu’il est sage, etc.

Contrariétés 12 (Laf. 129, Sel. 162). Métier. Pensées. Tout est un, tout est divers. Que de natures en celle de l’homme. Que de vacations. Et par quel hasard chacun prend d’ordinaire ce qu’il a ouï estimé. Talon bien tourné. 

Divertissement 7 (Laf. 139, Sel. 170). On charge les hommes dès l’enfance du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les accable d’affaires, de l’apprentissage des langues et d’exercices...

Transition 1 (Laf. 193, Sel. 226). Chacun songe comment il s’acquittera de sa condition, mais pour le choix de la condition, et de la patrie le sort nous le donne.

Pensées diverses (Laf. 627, Sel. 520). La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme qu’un soldat, un goujat, un cuisinier, un crocheteur se vante…

Pensées diverses (Laf. 634, Sel. 527). La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier, le hasard en dispose.

Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc.

 

Mots-clés : BoireConditionSoldatSoulierTalonVanité.