Pensées diverses V – Fragment n° 6 / 7 – Papier original : RO 206-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 172 p. 403 v° à 405 v° / C2 : p. 379 à 381

Éditions de Port-Royal :

    Chap. XXIX - Pensées morales : 1669 et janvier 1670 p. 288-289 / 1678 n° 41 p. 286

    Chap. XX - On ne connaît Dieu utilement que par Jésus-Christ : 1669 et janvier 1670 p. 150-153 / 1678 n° 1 p. 148-151

Éditions savantes : Faugère II, 27 ; II, 113, I / Havet VI.33, XXII.2 / Michaut 446 et 447 / Brunschvicg 62 et 242 / Tourneur p. 123-1 / Le Guern 653 / Lafuma 780 et 781 (série XXVII) / Sellier 644

 

 

 

Préface de la première partie.

 

Parler de ceux qui ont traité de la connaissance de soi‑même ; des divisions de Charron qui attristent et ennuient ; de la confusion de Montaigne, qu’il avait bien senti le défaut [d’une droite] méthode, qu’il l’évitait en sautant de sujet en sujet, qu’il cherchait le bon air.

Le sot projet qu’il a de se peindre ! Et cela non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir, mais par ses propres maximes et par un dessein premier et principal. Car de dire des sottises par hasard et par faiblesse c’est un mal ordinaire, mais d’en dire par dessein c’est ce qui n’est pas supportable. Et d’en dire de telles que celles‑ci...

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Préface de la seconde partie.

 

Parler de ceux qui ont traité de cette matière.

J’admire avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu.

En adressant leurs discours aux impies, leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain [que ceux] qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent. Mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui, recherchant de toute leur lumière tout ce qu’ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance, ne trouvent qu’obscurité et ténèbres. Dire à ceux‑là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert, et leur donner pour toute preuve de ce grand et important sujet le cours de la lune et des planètes, et prétendre [ ] avoir achevé sa preuve avec un tel discours c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles, et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture, qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu, en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par Jésus-Christ hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée : Nemo novit Patrem, nisi Filius, et cui Filius voluerit revelare.

C’est ce que l’Écriture nous marque quand elle dit en tant d’endroits que ceux qui cherchent Dieu le trouvent. Ce n’est point de cette lumière qu’on parle comme le jour en plein midi. On ne dit point que ceux qui cherchent le jour en plein midi ou de l’eau dans la mer en trouveront. Et ainsi il faut bien que l’évidence de Dieu ne soit pas telle dans la nature. Aussi elle nous dit ailleurs : Vere tu es Deus absconditus.

 

 

Pascal comptait s’expliquer en commençant sur l’ordre à suivre dans son ouvrage. Ces deux projets de préface montrent à quel point se trompent les commentateurs qui voient en Pascal un esprit composant dans une sorte de fureur ou d’exaltation préromantique, ou frappé par l’impuissance de trouver un ordre d’exposition satisfaisant.

 

Nemo novit Patrem nisi Filius et cui Filius voluerit revelare : « Nul ne connaît le Père que le Fils, et celui à qui le Fils l’aura voulu révéler » (Matthieu, 11, 27).

Vere tu es Deus absconditus : « Vraiment tu es un Dieu caché » (Isaïe, XLV, 15).

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Ordre 4 (Laf. 6, Sel. 40). Première partie : Misère de l’homme sans Dieu.

Deuxième partie : Félicité de l’homme avec Dieu.

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Autrement

Première partie : Que la nature est corrompue, par la nature même.

Deuxième partie : Qu’il y a un Réparateur, par l’Écriture.

Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222). Préface.

Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles frappent peu et quand cela servirait à quelques-unes, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés.

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Quod curiositate cognoverunt, superbia amiserunt.

Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223). C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans médiateur, avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur.

Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

Fondement 20 (Laf. 242, Sel. 275). Que Dieu s’est voulu cacher.

S’il n’y avait qu’une religion Dieu y serait bien manifeste. S’il n’y avait des martyrs qu’en notre religion de même.

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Dieu étant ainsi caché toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché n’est pas véritable, et toute religion qui n’en rend pas la raison n’est pas instruisante. La nôtre fait tout cela. Vere tu es deus absconditus.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d’avoir une vue claire de Dieu et de la posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu’on ne voit rien dans le monde qui la montre avec cette évidence. Mais puisqu’elle dit au contraire que les hommes sont dans les ténèbres et dans l’éloignement de Dieu, qu’il s’est caché à leur connaissance, que c’est même le nom qu’il se donne dans les Écritures, Deus absconditus ; et, enfin, si elle travaille également à établir ces deux choses : que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement, et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d’être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu’ils objectent à l’Église, ne fait qu’établir une des choses qu’elle soutient sans toucher à l’autre et établit sa doctrine bien loin de la ruiner ?

Preuves par discours II (Laf. 429, Sel. 682). Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu’obscurité. La nature ne m’offre rien qui ne soit matière de doute et d’inquiétude. Si je n’y voyais rien qui marquât une divinité, je me déterminerais à la négative ; si je voyais partout les marques d’un créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier et trop peu pour m’assurer, je suis en un état à plaindre, et où j’ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu’elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait ; qu’elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu’en l’état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre ; rien ne me serait trop cher pour l’éternité.

Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferais un usage si différent.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent, et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut.

Pensées diverses (Laf. 532, Sel. 457). Pyrr[honisme].

J’écrirai ici mes pensées sans ordre et non pas peut-être dans une confusion sans dessein. C’est le véritable ordre et qui marquera toujours mon objet par le désordre même.

Je ferais trop d’honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre puisque je veux montrer qu’il en est incapable.

Pensées diverses (Laf. 683, Sel. 562). Ordre.

Pourquoi prendrai-je plutôt à diviser ma morale en quatre qu’en six ? Pourquoi établirai-je plutôt la vertu en quatre, en deux, en un ? Pourquoi en abstine et sustine plutôt qu’en suivre nature ou faire ses affaires particulières sans injustice comme Platon, ou autre chose ?

Mais voilà, direz-vous, tout renfermé en un mot. Oui, mais cela est inutile si on ne l’explique. Et quand on vient à l’expliquer, dès qu’on ouvre ce précepte qui contient tous les autres, ils en sortent en la première confusion que vous vouliez éviter. Ainsi quand ils sont tous renfermés en un, ils y sont cachés et inutiles comme en un coffre, et ne paraissent jamais qu’en leur confusion naturelle. La nature les a tous établis sans renfermer l’un en l’autre.

Pensées diverses (Laf. 684, Sel. 563). Ordre.

La nature a mis toutes ses vérités chacune en soi-même. Notre art les renferme les unes dans les autres, mais cela n’est pas naturel. Chacune tient sa place.

Pensées diverses (Laf. 694, Sel. 573). Ordre.

J’aurais bien pris ce discours d’ordre comme celui-ci, pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques, pyrrhoniennes, stoïques. Mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.

Pensées diverses (Laf. 768, Sel. 633). Sottise.

 

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