Fragment Vanité n° 33 / 38 Papier original : RO 21-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 67 p. 13 et 13 v° / C2 : p. 30 et 31

Éditions de Port-Royal : Chap. XXIV - Vanité de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 187-188 / 1678 n° 12 p. 182-183

Éditions savantes : Faugère II, 43, XIV / Havet III.5 / Brunschvicg 172 / Tourneur p. 178-2 / Le Guern 43 / Maeda II p. 155 / Lafuma 47 / Sellier 80

 

 

 

Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours, ou nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt, si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont point nôtres et ne pensons point au seul qui nous appartient, et si vains que nous songeons à ceux qui ne sont rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue parce qu’il nous afflige, et s’il nous est agréable nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir et pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance pour un temps où nous n’avons aucune assurance d’arriver.

Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin. Le passé et le présent sont nos moyens, le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.

 

 

 

Pascal aborde dans ce fragment le problème de la manière dont l’homme vit dans le temps, et parvient à oublier celui qu’il vit au profit de ceux qu’il se rappelle ou qu’il prévoit, que leur vanité, ou leur inexistence réelle, fait échapper par nature à ses prises. Il montre comment l’homme parvient ainsi nécessairement à faire sa propre misère.

Lettre 8 à Melle de Roannez, OC III, Éd. J. Mesnard, p. 1044-1045. Le passé ne doit pas nous embarrasser, et l’avenir encore moins. « Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C’est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet qu’on ne pense presque jamais à la vie présente et à l’instant où l’on vit, mais à celui où l’on vivra ».

L’idée que l’homme perd le sens du temps présent parce qu’il s’égare dans le passé et l’avenir se trouve déjà chez les philosophes de l’Antiquité ; elle est reprise à l’époque de la Renaissance et au XVIIe siècle chez plusieurs auteurs.

 

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Fragments connexes

 

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). “Imagination” : on ne s’occupe que de ce qui n’est pas, et non de ce qui est.

Commencement 9 (Laf. 159, Sel. 191). Si on doit donner huit jours de la vie on doit donner cent ans.

Commencement 13 (Laf. 163, Sel. 195). Le condamné dans son cachot.

Transition 2 (Laf. 194, Sel. 684). Limitation de ma durée.

Prophéties 5 (Laf. 326, Sel. 358). Si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une même chose

Dossier de travail (Laf. 386, Sel. 5). Afin que la passion ne nuise point faisons comme s’il n’y avait que huit jours de vie.

Pensées diverses (Laf. 577, Sel. 480). Il n’est pas sûr que nous verrons demain...

 

Texte connexe

 

Lettre 8 à Melle de Roannez, OC III, p. 1044-1045. Le passé ne doit pas nous embarrasser, et l’avenir encore moins.

 

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