Fragment Loi figurative n° 30 / 31  – Papier original : RO 43-2 et 43-2 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 317 p. 139-139 v° / C2 : p. 167-168

Éditions de Port-Royal :

     Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 76  / 1678 n° 1 p. 76-77

     Deux paragraphes ont été ajoutés dans l’édition de 1678 : Chap. XII - Figures : n° 5 p. 94 et Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : n° 9 p. 234

Éditions savantes : Faugère II, 245, IV / Havet XV.2 / Brunschvicg 643 / Tourneur p. 267 / Le Guern 258 / Lafuma 275 / Sellier 306

 

 

 

Figures.

 

Isaïe 51. La mer Rouge image de la rédemption.

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Ut sciatis quod filius hominis habet potestatem remittendi peccata tibi dico surge.

Dieu, voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle, a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce, il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible.

Il a donc sauvé le peuple du déluge, il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis et l’a mis dans le repos.

L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour n’introduire que dans une terre grasse.

Et même la grâce n’est que la figure de la gloire car elle n’est pas la dernière fin. Elle a été figurée par la loi et figure elle‑même la [gloire], mais elle en est la figure et le principe ou la cause.

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La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints. Ils recherchent tous leur satisfaction et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent. Ils appellent leurs ennemis ceux qui les en empêchent, etc. Dieu a donc montré le pouvoir qu’il a de donner les biens invisibles par celui qu’il a montré qu’il avait sur les visibles.

 

 

L’originalité de ce fragment consiste en ce que Pascal y associe l’idée de figure avec celle d’une forme de causalité.

La notion de figure prend une ampleur qui dépasse largement la seule interprétation des textes : c’est toute l’histoire du peuple juif (et par son intermédiaire celle de toute l’humanité) qui apparaît comme une figure, dans le même sens où Jansénius écrivait que l’Histoire universelle n’était qu’une grande comédie conduite par Dieu pour révéler aux hommes les vérités spirituelles. La libération du peuple juif de l’esclavage auquel il était soumis en Égypte, le passage de la mer Rouge, la promesse d’une Terre sainte étaient autant de figures de ce que l’homme devait savoir sur sa rédemption et son salut.

Mais à cette relation de figuration s’ajoute un rapport de causalité, qui révèle les intentions de Dieu : s’il a veillé au salut du peuple juif dans l’ordre des corps visibles, c’est pour faire comprendre qu’il était maître des réalités invisibles qui relèvent de l’ordre de la charité : Dieu a [...] montré le pouvoir qu'il a de donner les biens invisibles par celui qu'il a montré qu'il avait sur les visibles. La liasse Loi figurative conduit ainsi de l’interprétation des figures due à la Bible à la compréhension de l’Histoire universelle comme Histoire sainte. Elle conduit ainsi à échéance aux liasses Preuves de Moïse et Prophéties.

Ut sciatis quod filius hominis habet potestatem remittendi peccata tibi dico surge : « Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, je te dis : Lève-toi ».

 

Analyse détaillée...

Fragments connexes

 

Souverain bien 2 (Laf. 148, Sel. 181). Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté [ne] fait jamais la moindre démarche que vers cet objet, c’est le motif de toutes les actions de tous les hommes jusqu’à ceux qui vont se pendre.

Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Figures.

Dès qu’on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le vieil testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? non, donc c’étaient des figures.

Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis, on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens, et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie. Mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités, car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.

Ce mot d’ennemis est donc équivoque. Mais, s’il dit ailleurs, comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés, il les pouvait bien dénoter par ennemis, mais s’il pensait aux ennemis, il ne les pouvait pas désigner par iniquités.

Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David, qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures.

Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figures, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent (je ne dis pas bien) et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.

Tout ce qui ne va point à la charité est figure.

L’unique objet de l’Écriture est la charité.

Tout ce qui ne va point à l’unique bien en est la figure. Car puisqu’il n’y a qu’un but tout ce qui n’y va point en mots propres est figure. [...]

Les Juifs ont tant aimé les choses figurantes et les ont si bien attendues qu’ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.

Les Rabbins prennent pour figure les mamelles de l’épouse et tout ce qui n’exprime pas l’unique but qu’ils ont des biens temporels.

Et les chrétiens prennent même l’Eucharistie pour figure de la gloire où ils tendent.

Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures.

Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement.

En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.

Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est-à-dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lui même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.

Ainsi iratus est, Dieu jaloux, etc. Car les choses de Dieu étant inexprimables elles ne peuvent être dites autrement et l’Église d’aujourd’hui en use encore, quia confortavit seras,etc.

Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). 5. Preuves par les principes des rabbins qu’il y a deux sens. Qu’il y a deux avènements du Messie, glorieux ou abject selon leur mérite. Que les prophètes n’ont prophétisé que du Messie. La loi n’est pas éternelle, mais doit changer au Messie. Qu’alors on ne se souviendra plus de la mer Rouge. Que les Juifs et les gentils seront mêlés.

Preuves de Moïse 3 (Laf. 292, Sel. 324). [Moïse] met deux choses les plus mémorables qui se soient jamais imaginées, savoir la création et le déluge si proches qu’on y touche.

Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327). Sem qui a vu Lamech qui a vu Adam a vu aussi Jacob qui a vu ceux qui ont vu Moïse : donc le déluge et la création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l’entendent bien.

Dossier de travail (Laf. 392, Sel. 11). Figures.

Dieu voulant se former un peuple saint, qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos a promis de le faire et a prédit par ses prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant pour affermir l’espérance de ses élus dans tous les temps il leur en a fait voir l’image, sans les laisser jamais sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut, car dans la création de l’homme Adam en était le témoin et le dépositaire de la promesse du sauveur qui devait naître de la femme.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, , en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies , en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

Que Dieu n’acceptait point la postérité d’Abraham.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures.

[...] Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise. Ainsi le mot d’ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions et les charnels entendaient les Babyloniens, et ainsi ces termes n’étaient obscurs que pour les injustes.

Prophéties VIII (Laf. 503, Sel. 738). Et cependant ce testament fait pour aveugler les uns et éclairer les autres marquait en ceux mêmes qu’il aveuglait la vérité qui devait être connue des autres. Car les biens visibles qu’ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins qu’il paraissait bien qu’il était puissant de leur donner les invisibles et un Messie.

Car la nature est une image de la grâce et les miracles visibles sont image des invisibles, ut sciatis, tibi dico surge.

Is. 51 dit que la rédemption sera comme le passage de la mer Rouge.

Dieu a donc montré en la sortie d’Égypte, de la mer, en la défaite des rois, en la manne, en toute la généalogie d’Abraham qu’il était capable de sauver, de faire descendre le pain du ciel, etc., de sorte que ce peuple ennemi est la figure et représentation du même Messie qu’ils ignorent.

Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel.

Pensées diverses (Laf. 608, Sel. 504). J.-C. Offices. Il devait lui seul produire un grand peuple, élu, saint et choisi, le conduire, le nourrir, l’introduire dans le lieu de repos et de sainteté, le rendre saint à Dieu, en former le temple de Dieu, le réconcilier à Dieu, le sauver de la colère de Dieu, le délivrer de la servitude du péché qui règne visiblement dans l’homme, donner des lois à ce peuple, graver ces lois dans leur cœur, s’offrir à Dieu pour eux, se sacrifier pour eux, être une hostie sans tache, et lui-même sacrificateur, devant offrir lui-même son corps et son sang. Et néanmoins offrir pain et vin à Dieu.

 

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