Preuves par les Juifs VI  – Fragment n° 15 / 15 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 66 p. 258 / C2 : p. 473 v°-475

Le texte a été ajouté dans l’édition de Port-Royal de 1678 : Chapitre II - Marques de la véritable religion : 1678 n° 16 p. 28-33

Éditions savantes : Faugère II, 364, XXIII / Havet XI.12 / Brunschvicg 289 / Le Guern 447 / Lafuma 482 (série XI) / Sellier 717

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Bibliographie

 

 

ARMOGATHE Jean-Robert, “La révision des Pensées par le comité de Port-Royal”, in Ordre et contestation au temps des classiques, Seattle-Tübingen, PFSCL, 1992, p. 279-290.

DAVIDSON Hugh, The origins of certainty. Means and meanings in Pascal’s Pensées, Chicago and London, The University of Chicago Press, 1979.

ERNST Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, Paris, Universitas, Oxford, Voltaire Foundation, 1996.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 52.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-483.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Preuve.

 

Le titre est au singulier dans les deux copies. S’agissant d’une liste de plusieurs preuves, on aurait plutôt attendu le pluriel, comme dans Dossier de travail (Laf. 402, Sel. 21). On peut cependant remarquer que la conclusion du fragment ne porte pas sur ces preuves elles-mêmes, mais sur l’attitude que l’on peut légitimement adopter lorsqu’on a affaire à une religion qui allègue un faisceau d’arguments aussi dense. La réflexion porte sur la preuve, plutôt que sur les preuves.

Dans quelle mesure la religion peut-elle être prouvée ? Il ne s’agit en aucun cas de donner une démonstration de l’existence de Dieu, à la manière cartésienne, dont Pascal a dit le mal qu’il pense. Voir Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222). De toute manière, si l’on pouvait donner une preuve rationnelle de l’existence de Dieu, elle montrerait que Dieu est à la portée de la connaissance philosophique, si bien qu’il n’aurait pas besoin d’être révélé ; ce serait paradoxalement une preuve de la fausseté de la religion chrétienne. D’autre part, les preuves rationnelles ne peuvent montrer l’existence que d’un Dieu impersonnel, et non prouver la vérité de Jésus-Christ.

Voir la réflexion sur les preuves proposées dans Davidson Hugh, The origins of certainty. Means and meanings in Pascal’s Pensées, p. 1-35.

Les preuves auxquelles Pascal pense sont des marques que la religion chrétienne donne de sa vérité, qui sont évoquées dans la prosopopée de la Sagesse du fragment A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182) : Je n’entends point que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis, et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser, et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne, quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connaître si elles sont ou non.

Ces marques sont des motifs de crédibilité de la religion chrétienne, des raisons de croire, que Pascal entend exposer à son lecteur.

Cette liste de preuves ne doit pas être considérée comme un plan : contrairement à la Table des matières, elle n’a pas de caractère de progression argumentative.

Elle est limitée à la partie théologique du plan de Pascal, et ne touche en rien la partie anthropologique.

Ce catalogue de preuves indiqué ne comprend pas de titre Miracles. Pascal paraît avoir commencé à user de l’argument des miracles, mais y avoir renoncé ensuite. Le fragment Miracles III (Laf. 894, Sel. 448), Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles, date de cette première période. D’autres fragments font état des miracles du Christ et des apôtres. Mais Pascal y a finalement renoncé. Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, et Ernst Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie. Il s’en explique dans plusieurs passages :

Preuves par les Juifs IV (Laf. 454, Sel. 694). Je vois la religion chrétienne fondée sur une religion précédente, où voici ce que je trouve d’effectif. Je ne parle point ici des miracles de Moïse, de Jésus-Christ et des apôtres, parce qu’ils ne paraissent pas d’abord convaincants et que je ne veux que mettre ici en évidence tous les fondements de cette religion chrétienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent être mis en doute par quelque personne que ce soit. Voir sur ce sujet les liasses consacrées aux Miracles.

On trouve une autre liste de preuves, mais concentrée sur le thème des deux Testaments, dans le fragment Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuve des deux Testaments à la fois.

Pour prouver d’un coup tous les deux il ne faut que voir si les prophéties de l’un sont accomplies en l’autre.

Pour examiner les prophéties il faut les entendre.

Car si on croit qu’elles n’ont qu’un sens il est sûr que le Messie ne sera point venu, mais si elles ont deux sens il est sûr qu’il sera venu en Jésus-Christ

Toute la question est donc de savoir si elles ont deux sens.

Que l’Écriture a deux sens.

Que Jésus-Christ et les apôtres ont données dont voici les preuves.

1. Preuve par l’Écriture même.

2. Preuves par les Rabbins. Moïse Mammon dit qu’elle a deux faces prouvées et que les prophètes n’ont prophétisé que de Jésus-Christ.

3. Preuves par la Cabale.

4. Preuves par l’interprétation mystique que les Rabbins mêmes donnent à l’Écriture.

5. Preuves par les principes des Rabbins qu’il y a deux sens. qu’il y a deux avènements du Messie, glorieux ou abject selon leur mérite. Que les prophètes n’ont prophétisé que du Messie. La loi n’est pas éternelle, mais doit changer au Messie. Qu’alors on ne se souviendra plus de la mer Rouge. Que les Juifs et les gentils seront mêlés.

L’intérêt de ce texte consiste en ce que la liste est associée à l’énoncé d’un problème, ce qui n’est pas le cas dans le fragment présent.

Droz Édouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 130 sq. Dans ce programme, on distingue deux sortes de preuves : les preuves intrinsèques, par lesquelles la religion déjà révélée se fait reconnaître ; les preuves extérieures ou de fait, par lesquelles la religion déjà révélée se fait connaître. Les premières citées sont les premières en droit, car elles sont d’ordre absolu, indépendantes du temps et de l’espace ; elles ont particulièrement rapport à la doctrine. Les autres contiennent proprement l’histoire de la religion, des livres saints, des personnages qui les ont écrits, de leurs actes, les prophéties, les miracles.

Davidson Hugh, The origins of certainty. Means and meanings in Pascal’s Pensées, p. 30 sq. Sur les listes de preuves chez Pascal. Sur Preuves par les Juifs VI – n° 15, voir p. 31 ; ce fragment sert de commentaire au fragment Dossier de travail (Laf. 402, Sel. 21), qui est lui aussi une simple liste. Pascal y met en relief la distinction fondamentale entre la nature et les Écritures, en accordant une importance majeure à la seconde. Toutefois la référence à la nature est visible dans le premier point, et le dernier se réfère à l’image que Pascal trace de l’homme sans Dieu, qui dépend de preuves tirées de la nature. Les points 1, 2, 9 et 10 peuvent être considérés comme des preuves : ils suggèrent les paradoxes (1 et 2) et les caractères convaincants (9 et 10) qui peuvent aisément être tournés en preuves.

Les preuves proposées dans ce fragment sont surtout convaincantes, aux yeux de Pascal, parce qu’elles concernent des faits étonnants et disproportionnés par rapport à l’ordre naturel des choses. Voir sur ce point les indications de Ph. Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 394-597, qui souligne l’originalité de Pascal : chez saint Augustin, les prophéties sont les seules preuves de la religion, chez Pascal, elles sont « la plus grande des preuves », mais parmi d’autres.

 

1. La religion chrétienne, par son établissement, par elle‑même établie si fortement,

 

Établissement : action par laquelle on fonde, mais aussi institution ; on parle de l’établissement des religions, des sacrements, des lois, des magistrats, des principes dans les sciences (Furetière).

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 595. Si fortement : rien n’a pu s’opposer à la progression de l’Église ; une « force secrète » anime les apôtres, les martyrs et généralement toute l’Église. Voir le fragment Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. [...] Les filles consacrent à Dieu leur virginité et leur vie, les hommes renoncent à tous plaisirs. Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles. Les riches quittent leurs biens, les enfants quittent la maison délicate de leurs pères pour aller dans l’austérité d’un désert, etc. Voyez Philon juif. Qu’est-ce que tout cela ? c’est ce qui a été prédit si longtemps auparavant ; depuis deux mille années aucun païen n’avait adoré le Dieu des Juifs et dans le temps prédit la foule des païens adore cet unique Dieu. Les temples sont détruits, les rois mêmes se soumettent à la croix. Qu’est-ce que tout cela ? C’est l’esprit de Dieu qui est répandu sur la terre. Nul païen depuis Moïse jusqu’à Jésus-Christ selon les rabbins mêmes ; la foule des païens après Jésus-Christ croit les livres de Moïse et en observe l’essence et l’esprit et n’en rejette que l’inutile. Voir particulièrement les références fournies p. 595, n. 30.

L’établissement de la religion chrétienne doit être considéré comme une preuve dans la mesure où il la manifeste d’une manière qui lui évite de pouvoir demeurer inaperçue, même aux hommes qui cherchent : voir Laf. 758, Sel. 627. Clarté, obscurité. Il y aurait trop d’obscurité si la vérité n’avait pas des marques visibles. C’en est une admirable d’être toujours dans une Église et assemblée visible. Il y aurait trop de clarté s’il n’y avait qu’un sentiment dans cette Église. Celui qui a toujours été est le vrai, car le vrai y a toujours été, et aucun faux n’y a toujours été.

 

si doucement,

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 596. La religion chrétienne ne flatte aucune concupiscence. D’autre part, les premiers chrétiens ont rejeté l’emploi des armes et se sont laissés conduire à l’abattoir : p. 596.

Cette preuve est liée à l’idée de tyrannie : la religion chrétienne, contrairement à celle de Mahomet par exemple, ne s’est pas imposée par la violence, mais par la prédication. L’idée de cet argument est esquissée dans le fragment Fausseté 7 (Laf. 209, Sel. 241-242). Différence entre Jésus-Christ et Mahomet. Mahomet non prédit, Jésus-Christ prédit. Mahomet en tuant, Jésus-Christ en faisant tuer les siens. Mahomet en défendant de lire, les apôtres en ordonnant de lire. Enfin cela est si contraire que si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement et qu’au lieu de conclure que puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir, il faut dire que puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ devait périr.

Les conséquences sur la méthode de Pascal sont tirées dans le discours de la Sagesse de Dieu dans A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182) : Je n’entends point que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés, j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis, et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser, et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne, quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser sinon que vous ne pouvez par vous-mêmes connaître si elles sont ou non.

 

étant si contraire à la nature.

 

Il faut entendre que la religion est contraire à la nature corrompue, telle qu’elle est devenue après le péché d’Adam et s’est transmise à sa descendance.

Armogathe Jean-Robert, “La révision des Pensées par le comité de Port-Royal”, in Ordre et contestation au temps des classiques, Seattle-Tübingen, PFSCL, 1992, p. 279-290 ; voir p. 288-289 surtout. Précision et rectification du sens : le religion chrétienne n’est pas contraire à la nature, mais à la nature en l’état où elle est ; elle ne contredit pas le sens commun, mais paraît le contredire ; enfin il est plus convenable de préciser qu’elle combat tous nos plaisirs. Les corrections de Port-Royal rendent le texte moins frappant, mais théologiquement plus exact.

La remarque avait déjà été faite par Havet, dans son édition des Pensées, I, 1866, p. 181. Port-Royal précise la nature en l’état qu’elle est, et qui paraît d’abord contre le sens commun.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 272 sq. La domination de la concupiscence rend extraordinaire et vraiment miraculeux que certains hommes aient été capables d’agir dans un sens qui lui est contraire.

Preuves par discours I (Laf. 425, Sel. 680). La seule science qui est contre le sens commun et la nature des hommes est la seule qui ait toujours subsisté parmi les hommes.

Perpétuité 6 (Laf. 284, Sel. 316). La seule religion contre la nature, contre le sens commun, contre nos plaisirs est la seule qui ait toujours été.

Dossier de travail (Laf. 399, Sel. 18). Si l’homme n’est fait pour Dieu pourquoi n’est-il heureux qu’en Dieu ? Si l’homme est fait pour Dieu pourquoi est-il si contraire à Dieu ?

Laf. 692, Sel. 571. Montalte. Les opinions relâchées plaisent tant aux hommes qu’il est étrange que les leurs déplaisent. C’est qu’ils ont excédé toute borne. Et de plus il y a bien des gens qui voient le vrai et qui n’y peuvent atteindre, mais il y en a peu qui ne sachent que la pureté de la religion est contraire à nos corruptions. Ridicule de dire qu’une récompense éternelle est offerte à des mœurs escobartines.

Fausseté 3 (Laf. 205, Sel. 237. S’il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout, - tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n’adorer que lui et à n’aimer que lui. Mais comme nous nous trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous ne connaissons pas et d’aimer autre chose que nous il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances et qu’elle nous apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que par un homme tout a été perdu et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison est réparée. Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu et il est si nécessaire qu’il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste.

On peut illustrer cette contrariété de la religion chrétienne avec l’état de la nature humaine par les lettres que Pascal a écrites à l’occasion de la conversion de Melle de Roannez.

Lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 2, 24 septembre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1031 sq.

« Dimanche, 24 septembre 1656. Il est bien assuré qu’on ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin ; mais quand on commence à résister et à marcher en s’éloignant, on souffre bien ; le lien s’étend et endure toute la violence ; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu’à la mort. Notre Seigneur a dit que, « depuis la venue de Jean Baptiste (c’est-à-dire depuis son avènement dans chaque fidèle), le royaume de Dieu souffre violence et que les violents le ravissent ». Avant que l’on soit touché, on n’a que le poids de sa concupiscence, qui porte à la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que Dieu seul peut faire surmonter. « Mais nous pouvons tout, dit saint Léon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien ». Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa vie : car il n’y a point ici de paix. « Jésus-Christ est venu apporter le couteau, et non pas la paix. Mais néanmoins il faut avouer que comme l’Écriture dit que « la sagesse des hommes n’est que folie devant Dieu », aussi on peut dire que cette guerre qui parait dure aux hommes est une paix devant Dieu ; car c’est cette paix que Jésus-Christ a aussi apportée. Elle ne sera néanmoins parfaite que quand le corps sera détruit, et c’est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant néanmoins de bon cœur la vie pour l’amour de celui qui a souffert pour nous et la vie et la mort, et qui peut nous donner plus de biens que nous ne pouvons ni demander ni imaginer, comme dit saint Paul, en l’épître de la messe d’aujourd’hui. »

Voir aussi la lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 7, du 24 décembre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1042 sq.

« Je plains la personne que vous savez dans l’inquiétude où je sais qu’elle est, et où je ne m’étonne pas de la voir. C’est un petit jour du jugement, qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, comme elle prétend faire : cette peine temporelle garantirait de l’éternelle, par les mérites infinis de Jésus-Christ, qui la souffre et qui se la rend propre ; c’est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien, sans cela il serait insupportable. « Portez, dit-il, mon joug sur vous. » Ce n’est pas notre joug, c’est le sien, et aussi il le porte. « Sachez, dit-il, que mon joug est doux et léger. » Il n’est léger qu’à lui et à sa force divine. Je lui voudrais dire qu’elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d’être en elle, mais du mal qui y est encore et qu’il faut diminuer continuellement ; et qu’il faut qu’elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d’entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner ; car il ne doit pas accuser de la violence qu’il souffre la mère qui le retient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs. Tout l’office de l’Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mot de l’Écriture : « Prenez courage, lâches et pusillanimes, voici votre rédempteur qui vient », et on dit aujourd’hui à Vêpres : Prenez de nouvelles forces, et bannissez désormais toute crainte, voici notre Dieu qui arrive, et vient pour nous secourir et nous sauver. »

Voir Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, I, p. 507. Nature de ces peines ressenties par Melle de Roannez. La douleur résulte de la conversion et la suppose accomplie : p. 511. Voir p. 513, lettre du 24 septembre. La résistance au monde et à la concupiscence cause de la douleur ; Melle de Roannez souffre par la force de son élan vers Dieu : p. 514.

 

2. La sainteté, la hauteur et l’humilité d’une âme chrétienne.

 

Morale : les liasses Vanité, Misère, Grandeur et surtout Morale chrétienne, qui sous divers aspects traitent de problèmes de morale, correspondent à cette rubrique.

Hauteur : se dit figurément en morale : on parle de la hauteur d’âme, de courage (Furetière), pour désigner une qualité de noblesse ; se dit aussi de l’autorité qu’on a sur quelqu’un. Richelet est sans doute plus près du sens de Pascal lorsqu’il donne pour définition grandeur de courage, sublimité, excellence ou perfection. Le mot peut aussi se prendre en un sens défavorable, pour orgueil, fierté, qui ne convient pas en l’occurrence.

Noter le contraste entre hauteur et humilité : humilité (du latin humus, terre) signifie bassesse, abaissement. Pascal joue sur le sens métaphorique des deux termes.

L’édition de Port-Royal insiste sur la différence entre les vraies vertus des chrétiens et les fausses vertus des païens. Pascal a développé ce point dans la liasse Philosophes. Les auteurs insistent sur le paradoxe de l’union de la vertu et de l’humilité chez les chrétiens, qui ne s’est jamais trouvée chez les païens.

 

3. Les merveilles de l’Écriture sainte.

 

Le rapport entre les merveilles de Dieu et les preuves de la religion apparaît dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Mais vous n’êtes plus maintenant en l’état où je vous ai formés. J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait ; je l’ai rempli de lumière et d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent. Puis plus bas dans le même fragment : Je n’entends pas que vous soumettiez votre créance à moi sans raison, et ne prétends point vous assujettir avec tyrannie. Je ne prétends point aussi vous rendre raison de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés j’entends vous faire voir clairement par des preuves convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent de ce que je suis et m’attirer autorité par des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser, sinon que vous ne pouvez par vous-même connaître si elles sont ou non.

Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735). C’est pour cette raison que j’ajouterai à tout le reste d’amener sur ce peuple une merveille étonnante et un prodige grand et terrible. C’est que la sagesse de ses sages périra et leur intelligence sera obscurcie. Plus bas dans le même fragment : J’ai fait moi seul ces merveilles à vos yeux ; vous êtes mes témoins de ma divinité, dit le Seigneur.

Le rappel des merveilles accomplies par Dieu en faveur du peuple juif est une constante dans la Bible, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament. On doit compter parmi ces merveilles celles par lesquelles Dieu a sauvé son peuple durant l’Exode, et après l’établissement en Terre Sainte, lors d’épisodes comme les histoires d’Esther et d’Athalie, bien connues par les pièces de Racine.

Exode, XIV, 13. « Moïse répondit au peuple : Ne craignez point ; demeurez fermes, et considérez les merveilles que le Seigneur va faire aujourd’hui ; car les Égyptiens que vous voyez devant vous, vous ne les verrez plus jamais. »

Rois I, XII, 24. « Craignez donc le Seigneur, et servez-le dans la vérité et de tout votre cœur ; car vous avez vu les merveilles qu’il a faites parmi vous. »

Rois II, VII, 20. « Après cela que peut vous dire David davantage ? Car vous connaissez les sentiments de votre serviteur, ô Seigneur Dieu ! 21. Vous avez fait toutes ces grandes merveilles pour accomplir votre parole, selon qu’il vous a plu, et vous les avez même fait connaître à votre serviteur. 22. Vous avez donc fait éclater votre grandeur, ô Seigneur Dieu ! dans toutes les choses que nous avons entendues de nos oreilles ; car nul ne vous est semblable, et hors de vous il n’y a point de Dieu. 23. Où trouvera-t-on encore dans toute la terre une nation comme votre peuple d’Israël, une nation qu’un Dieu soit allé racheter pour en faire son peuple, et engager la gloire de son nom à opérer en leur faveur des merveilles et des prodiges terribles sur la terre, en présence de votre peuple que vous avez racheté de l’Égypte, en frappant le peuple de ce pays et les objets de son culte ? »

Michée, VII, 15. « Je ferai voir des merveilles à mon peuple, comme lorsque je vous tirais de l’Égypte. »

Esdras II, IX, 9. « Vous avez vu l’affliction de nos pères dans l’Égypte ; et vous avez entendu leurs cris sur la mer Rouge. 10. Vous avez fait éclater vos merveilles et vos prodiges sur Pharaon, sur tous ses serviteurs, et sur tout le peuple de ce pays, parce que vous saviez qu’ils avoient traité les Israélites avec orgueil ; et vous vous êtes fait un nom, comme il l’est encore aujourd’hui. 11. Vous avez divisé la mer devant eux ; ils ont passé à sec au milieu de la mer ; et vous avez précipité au fond leurs persécuteurs, comme une pierre qui tombe dans les grandes eaux. 12. Vous avez été leur guide pendant le jour par la colonne de la nuée, et pendant la nuit par la colonne de feu, afin qu’ils distinguassent le chemin par où ils devaient marcher. 13. Vous êtes descendu aussi sur la montagne de Sinaï ; vous leur avez parlé du ciel ; vous leur avez donné des ordonnances justes, une loi de vérité, des cérémonies et de bons préceptes. 14. Vous leur avez fait connaître votre saint sabbat, et vous leur avez prescrit par Moïse, votre serviteur, vos commandements, vos cérémonies et votre loi. 15. Vous leur avez aussi donné un pain du ciel, lorsqu’ils étaient pressés de la faim ; et vous avez fait sortir l’eau de la pierre, lorsqu’ils avoient soif : vous leur avez dit d’entrer, pour la posséder, dans la terre que vous aviez juré de leur donner. 16. Mais eux et nos pères ont agi avec orgueil ; ils ont endurci leurs têtes, et ils n’ont point écouté vos commandements ; 17. Et ils n’ont point voulu obéir ; et ils ont perdu le souvenir des merveilles que vous aviez faites en leur faveur. Et ils ont endurci leurs têtes, et ils se sont donné un chef pour retourner à leur servitude, comme par rébellion. Mais vous, ô Dieu favorable, clément et miséricordieux, toujours patient et plein de miséricorde, vous ne les avez point abandonnés. »

Jérémie, XIV, 22. « Y a-t-il quelqu’un parmi les faux dieux des nations qui fasse pleuvoir, ou qui répande les eaux du ciel sur la terre ? n’est-ce pas vous qui êtes le Seigneur notre Dieu, que nous attendons ? n’est-ce pas vous qui faites toutes ces merveilles ? »

I Chroniques, XVI, 8. « Louez le Seigneur, et invoquez son nom ; publiez ses œuvres parmi tous les peuples ; 9. Chantez ses louanges ; chantez-les sur les instruments ; annoncez toutes ses merveilles. 10. Glorifiez son saint nom ; que le cœur de ceux qui cherchent le Seigneur soit dans la joie. 11. Cherchez le Seigneur, et la force qui vient de lui ; cherchez sans cesse sa face. 12. Souvenez-vous des merveilles qu’il a faites, de ses prodiges, et des jugements de sa bouche, 13. Ô descendants d’Israël, son serviteur, enfants de Jacob, son élu. »

Peut-être faut-il aussi rapprocher cette formule de Luc, I, 49, où Marie dit : Le Seigneur « a fait en moi de grandes choses, lui qui est tout-puissant et de qui le nom est saint ». Le commentaire de la Bible de Port-Royal aborde le passage comme suit : « D’où vient qu’elle parle de la puissance de Dieu dans le mystère de l’Incarnation, puisqu’il n’y paraît que de l’humiliation et de la faiblesse ? Un Dieu se fait homme. Le Tout-Puissant devient un enfant. Le Fils de Dieu même devient le fils de Marie ; et le Seigneur reconnaît sa servante pour sa mère. Qu’y a-t-il en tout cela qui nous marque qu’il est tout-puissant ? Cependant nous pouvons dire que sa puissance a éclaté dans ce mystère d’une manière admirable, et que ce qui a paru en Dieu une faiblesse, comme dit saint Paul [I Cor. I, 25], a été plus fort que la force de tous les hommes. Car il n’y avait que le Tout-puissant qui pût user de moyens si rabaissés pour vaincre le fort armé. Il n’y avait que le Seigneur et le Dieu de gloire qui pût choisir une fille faible et petite selon le monde, afin d’accomplir en elle la plus ancienne des prophéties, qui marquait que la femme briserait la tête du serpent [Gen. III, 15], c’est-à-dire, comme l’expliquent les saint Pères, celui qui naîtrait de la sainte Vierge. Considérons donc avec une profonde reconnaissance la vérité de ces paroles de la sainte Vierge : que celui qui est tout-puissant a daigné se rabaisser jusqu’à une simple créature, pour faire en elle des choses vraiment grandes et admirables ».

Voir le commentaire du fragment Perpétuité 5 (Laf. 283, Sel. 315). Les six âges, les six pères des six âges, les six merveilles à l’entrée des six âges, les six orients à l’entrée des six âges. Ces six merveilles, qui répondent aux six âges du monde, sont la création de la lumière, la création du firmament, la séparation par Dieu de la terre et des eaux, la création des étoiles, la création des animaux, l’insufflation par Dieu d’une âme vivante dans le corps d’Adam. Mais on voit mal comment ces merveilles peuvent servir de preuves.

L’édition de Port-Royal oppose la simplicité du style de l’Écriture à la grandeur des événements qu’elle relate. Ce contraste semble avoir posé des problèmes lorsque le groupe de Port-Royal a entrepris de traduire la Bible. Pascal a évoqué ce problème, mais à propos de Jésus-Christ dans Preuves de Jésus-Christ 12 (Laf. 309, Sel. 340).

 

4. Jésus‑Christ en particulier.

 

Voir la liasse Preuves de Jésus-Christ.

Le commentaire de l’édition de Port-Royal développe une idée que Pascal a exprimée dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), sur le fait que Jésus-Christ n’a pas brillé dans l’ordre de l’esprit et des sciences, et qu’il n’a apporté aucune invention, sa grandeur étant d’un autre ordre.

 

5. Les apôtres en particulier.

 

Apôtre : voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Apôtre, p. 67-71. Les Apôtres sont ceux que le Christ a envoyés pour le représenter et répandre son enseignement. Les douze apôtres se consacrent à une mission destinée jusqu’à la parousie. Le Christ déclare que « celui qui reçoit quiconque j’enverrai le reçoit, et quiconque me reçoit reçoit Celui qui m’a envoyé » (Jean, XII, 20). Après la Résurrection, Jésus-Christ déclare à ses Apôtres : « Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie aussi », et il leur communique l’Esprit saint (Jean, XX, 21-23). Leur mission est d’enseigner les nations et de baptiser. Saint Paul est considéré comme apôtre, et revendique son égalité avec les autres. On trouve une brève étude synthétique dans l’article Apôtres de l’Encyclopédie de la foi, t. I, dirigée par H. Fries, Paris, Cerf, 1967, p. 103-117.

Ne pas confondre avec le terme de disciple. Le disciple apprend : les disciples de Jésus-Christ sont ceux qui le suivent et reçoivent son enseignement. Outre les Apôtres avant qu’ils ne fussent envoyés pour enseigner, on compte 72 disciples selon Luc, X.

En quoi les Apôtres peuvent-ils servir de preuve ? Pascal insiste à plusieurs reprises sur l’évidence de leur sincérité.

Preuves de Jésus-Christ 13 (Laf. 310, Sel. 341). Preuves de Jésus-Christ. L’hypothèse des apôtres fourbes est bien absurde. Qu’on la suive tout au long, qu’on s’imagine ces douze hommes assemblés après la mort de Jésus-Christ, faisant le complot de dire qu’il est ressuscité. Ils attaquent par là toutes les puissances. Le cœur des hommes est étrangement penchant à la légèreté, au changement, aux promesses, aux biens, si peu que l’un de ceux-là se fût démenti par tous ces attraits, et qui plus est par les prisons, par les tortures et par la mort, ils étaient perdus. Qu’on suive cela.

Preuves de Jésus-Christ 24 (Laf. 322, Sel. 353). Les apôtres ont été trompés ou trompeurs. L’un et l’autre est difficile. Car il n’est pas possible de prendre un homme pour être ressuscité. Tandis que Jésus-Christ était avec eux, il les pouvait soutenir, mais après cela, s’il ne leur est apparu, qui les a fait agir ? Voir aussi Preuves par les Juifs V (Laf. 457, Sel. 697). Hypothèse des apôtres fourbes.

Ph. Sellier indique la parenté de cette idée avec celle que saint Augustin développe dans La cité de Dieu, XVIII, 50. Les apôtres n’ont pas été habités par une foi froide, mais étaient brûlants de charité.

Pascal insiste aussi sur l’importance du message qu’ils apportaient.

Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé. Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral. Combien doit-on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, et principalement quand les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs ? C’est ce qu’a fait Jésus-Christ et les apôtres. Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit. Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions, que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel, qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié, que Jésus-Christ serait Dieu et homme.

Enfin les actions des apôtres ont contribué à la réalisation des prophéties.

Perpétuité 4 (Laf. 282, Sel. 314). Perpétuité. Le Messie a toujours été cru. La tradition d’Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l’ont prédit depuis en prédisant toujours d’autres choses dont les événements qui arrivaient de temps en temps à la vue des hommes marquaient la vérité de leur mission et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres aussi qui ont converti tous les païens et par là toutes les prophéties étant accomplies le Messie est prouvé pour jamais.

 

6. Moïse et les prophètes en particulier.

 

Voir la liasse Preuves de Moïse.

Prophéties : voir Prophéties. Voir 2e éd., Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010, p. 461-483.

L’existence d’un § 8 consacré aux prophéties tendrait à prouver que Pascal, dans celui-ci, pense à la personnalité des prophètes eux-mêmes, et non au contenu de leurs prophéties. Les deux arguments sont du reste distincts.

 

7. Le peuple juif.

 

Voir le dossier thématique sur Le peuple juif, et les fragments des liasses Preuves par les Juifs. L’édition de Port-Royal développe ce que Pascal appelle l’état des Juifs en soulignant l’opposition de sa grandeur passée et sa chute après la venue du Christ.

 

8. Les prophéties.

 

Prophéties : voir la liasse Prophéties. Voir Sellier Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., 2010, p. 461-483.

Perpétuité 4 (Laf. 282, Sel. 314). Perpétuité. Le Messie a toujours été cru. La tradition d’Adam était encore nouvelle en Noé et en Moïse. Les prophètes l’ont prédit depuis en prédisant toujours d’autres choses dont les événements qui arrivaient de temps en temps à la vue des hommes marquaient la vérité de leur mission et par conséquent celle de leurs promesses touchant le Messie. Jésus-Christ a fait des miracles et les apôtres aussi qui ont converti tous les païens et par là toutes les prophéties étant accomplies le Messie est prouvé pour jamais.

 

9. La perpétuité. Nulle religion n’a la perpétuité.

 

Voir la liasse Perpétuité. Pascal souligne au passage un caractère de l’argument de perpétuité : il a une portée réfutative, puisque la religion chrétienne est la seule à jouir de la perpétuité, ce qui permet d’exclure toutes les autres, qui n’en bénéficient pas.

La mention Nulle religion n’a la perpétuité est inscrite à cheval sur les § 8 et 9 dans les deux Copies.

 

10. La doctrine, qui rend raison de tout.

 

C’est l’idée de la liasse A P. R., notamment du fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). La Révélation rend compte des deux états de l’homme (c’est bien en ce sens que l’interprètent les éditeurs des Pensées de 1670), mais aussi du fait que Dieu se cache, que les Écritures ont deux sens, littéral et figuré, ainsi que des faits dont Pascal donne la liste dans le présent fragment : la perpétuité, l’établissement de l’Église, la répartition des miracles dans l’histoire, etc.

 

11. La sainteté de cette loi.

 

Alors que dans le § 2, il s’agit de la sainteté chrétienne telle qu’elle est vécue, il s’agit ici de la sainteté de la loi. Le démonstratif cette implique que la loi en question est la loi morale proposée dans la doctrine chrétienne. Mais peut-être Pascal a-t-il aussi en vue la sainteté de la loi juive, telle que l’entendaient les vrais Juifs.

Le plus haut degré de la sainteté chrétienne a été l’époque de l’avènement du Christ, telle que Pascal l’évoque dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 4 (Laf. 301, Sel. 332). Sainteté. Effundam spiritum meum. Tousles peuples étaient dans l’infidélité et dans la concupiscence, toute la terre fut ardente de charité : les princes quittent leurs grandeurs, les filles souffrent le martyre. D’où vient cette force ? C’est que le Messie est arrivé. Voilà l’effet et les marques de sa venue. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 448 : Pascal considère que l’avènement du Messie fut marqué par un accroissement soudain du nombre des élus. Il ne lie pas ce changement à la réussite d’une pédagogie de Dieu, mais à la seule réalisation des prophéties annonçant la conversion de l’univers.

 

12. Par la conduite du monde.

 

C’est le seul point de la liste que l’édition de Port-Royal laisse de côté, ne mentionnant que « toutes les autres choses singulières surnaturelles et divines qui y éclatent de toutes parts ».

Conduite : action de celui qui conduit. La providence de Dieu a le soin, la conduite de tout l’univers ; le mot a tous les sens de son verbe : conduite d’un état, d’une famille, d’un vaisseau, d’un dessein, d’une affaire, etc. (Furetière). Pascal pense sans doute au destin du peuple juif parmi les peuples païens : la conduite du monde répond sans doute à l’idée générale que développe Bossuet dans son Discours sur l’histoire universelle.

 

Il est indubitable qu’après cela on ne doit pas refuser, en considérant ce que c’est que la vie et que cette religion,

 

Ce que c’est que la vie : Pascal fait sans doute allusion au principe qui devrait commander la vie humaine selon Commencement 5 (Laf. 154, Sel. 187) : S’il est sûr qu’on n’y sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure. D’autres textes peuvent être aussi invoqués :

Commencement 3 (Laf. 152, Sel. 185). Entre nous et l’enfer ou le ciel il n’y a que la vie entre-deux qui est la chose du monde la plus fragile.

Commencement 4 (Laf. 153, Sel. 186). Que me promettez-vous enfin ? car dix ans est le parti, sinon dix ans d’amour propre, à bien essayer de plaire sans y réussir, outre les peines certaines ?

Commencement 9 (Laf. 159, Sel. 191). Si on doit donner huit jours de la vie on doit donner cent ans.

Commencement 14 (Laf. 164, Sel. 196). Commencement. Cachot. Je trouve bon qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic. Mais ceci : Il importe à toute la vie de savoir si l’âme est mortelle ou immortelle.

Après cela : invitation à jeter un regard rétrospectif sur l’ensemble des preuves, et à obéir à la disposition qu’elles créent éventuellement dans le cœur. H. Davidson insiste sur le fait que, dans cette conclusion, la raison et le cœur sont également concernés. En revanche, la part de la machine n’y est pas indiquée.

 

de suivre l’inclination de la suivre, si elle nous vient dans le cœur.

 

Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera. Et c’est ce que David connaissait bien. Inclina cor meum Deus in.

Conclusion 6 (Laf. 382, Sel. 414). Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d’en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l’esprit. C’est Dieu lui-même qui les incline à croire et ainsi ils sont très efficacement persuadés.

Laf. 821, Sel. 661. Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit. Et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction et que l’automate est incliné à croire le contraire ce n’est pas assez. Il faut donc faire croire nos deux pièces, l’esprit par les raisons qu’il suffit d’avoir vues une fois en sa vie et l’automate, par la coutume, et en ne lui permettant pas de s’incliner au contraire. Inclina cor meum Deus.

Davidson Hugh, The origins of certainty. Means and meanings in Pascal’s Pensées, p. 30 sq. Ce passage renvoie à des preuves que consacre Pascal à la manière dont une conversion religieuse pourrait avoir lieu.

 

Et il est certain qu’il n’y a nul lieu de se moquer de ceux qui la suivent.

 

Laf. 658, Sel. 542. Conversation : Grands mots à la religion : je la nie.

Pascal récuse les moqueries adressées aux chrétiens par les impies dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Il faut qu’il y ait un étrange renversement dans la nature de l’homme pour faire gloire d’être dans cet état, dans lequel il semble incroyable qu’une seule personne puisse être. Cependant l’expérience m’en fait voir un si grand nombre, que cela serait surprenant, si nous ne savions que la plupart de ceux qui s’en mêlent se contrefont et ne sont pas tels en effet. Ce sont des gens qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l’emporté. C’est ce qu’ils appellent avoir secoué le joug, et qu’ils essayent d’imiter. Mais il ne serait pas difficile de leur faire entendre combien ils s’abusent en cherchant par là de l’estime.

En revanche, Pascal est bien conscient que certaines méthodes apologétiques maladroites justifient les mépris que certains incrédules ressentent à l’égard de la religion : voir là-dessus le fragment Laf. 781, Sel. 644. Préface de la seconde partie. Parler de ceux qui ont traité de cette matière. J’admire avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu. En adressant leurs discours aux impies leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent, mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui recherchant de toute leur lumière tout ce qu’ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance ne trouvent qu’obscurité et ténèbres, dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert et leur donner pour toute preuve de ce grand et important sujet le cours de la lune et des planètes et prétendre avoir achevé sa preuve avec un tel discours c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par Jésus-Christ hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée.