La liasse FONDEMENTS DE LA RELIGION

ET RÉPONSE AUX OBJECTIONS (suite)

 

 

Fondement et l’édition de Port-Royal

 

Le chapitre XVIII, intitulé Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres, a été bâti en grande partie à partir des fragments de la liasse Fondement. Sa structure est cependant plus complexe : les textes sont issus de A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182), Fondement 19, Fondement 13, Preuves par discours III (Laf. 438-439, Sel. 690), Fondement 11, Preuves par les Juifs VI (Laf. 468, Sel. 705), Pensées diverses (Laf. 566, Sel. 472), Fondement 14, Fondement 12, une partie de Fondement 5, Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287), Prophéties 16 (Laf. 337, Sel. 369), Dossier de travail (Laf. 394, Sel. 13), une partie de Fondement 13, une partie de Fondement 5, une partie de Fondement 20, Fondement 10, Fondement 3 et Fondement 9.

Port-Royal a retenu plusieurs autres textes de la liasse :

Fondement 4 est venu compléter le chapitre XXVIII, Pensées chrétiennes.

Une partie de Fondement 13 a été retenue dans le chapitre XI, Moïse.

Fondement 15 a été utilisé dans le chapitre X, Juifs.

Fondement 18 a été intégré dans le chapitre XIII, Que la loi était figurative.

L’autre partie de Fondement 20 a été répartie dans trois chapitres différents : le chapitre XVII, Contre Mahomet ; le chapitre II, Marques de la véritable religion, et le chapitre X, Juifs.

Les fragments Fondement 1, Fondement 2, Fondement 6, Fondement 7, Fondement 8, Fondement 16, Fondement 17 et Fondement 21 n’ont pas été retenus par le Comité. Les fragments 2, 6, 7, 8, et 16 ont ensuite été recopiés par Louis Périer dont une copie a été conservée, puis les fragments 2, 7, 8 et 16 ont été publiés en 1728 par P. N. Desmolets. Les autres fragments n’ont pas retenu son attention. Il faut attendre l’édition Faugère (1844) pour qu’ils soient publiés.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Fondement

 

Quatre papiers portent un filigrane complet ou des traces de filigrane :

RO 47-3 (Fondement 7) : traces d’un filigrane Armes des Médicis,

RO 57-1 (Fondement 13) : filigrane Cadran d’horloge (type Cadran & Armes de France et Navarre / P ♥ H),

RO 49-7 (Fondement 18) : moitié d’un filigrane Cadran d’horloge (type Cadran & Armes de France et Navarre / P ♥ H),

RO 55-3 (Fondement 20) : filigrane Armes de France et Navarre / P ♥ H (type Cadran & Armes de France et Navarre / P ♥ H),

Les autres papiers ne portent pas de filigrane.

La reconstitution de Pol Ernst (Album, p. 109) montre que le papier RO 57-3 (Fondement 19), qui a été détaché de A P. R. 2 (A P. R., Pour demain), est issu de la partie supérieure d’un feuillet de type Écu aux trois annelets / P.F. & pot / B RODIER.

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 305-307,

les papiers RO 45-5 (Fondement 1) et RO 53-2 (Fondement 17) pourraient être issus de feuillets de type Cadran d’horloge & Armes de France et Navarre / P ♥ H ;

le papier RO 47-1 (Fondement 2), qui porte l’écriture d’un copiste, proviendrait d’un feuillet de type Au cor couronné / P H ;

le papier RO 45-2 (Fondement 3) serait issu d’un feuillet de type Cadran & B ♥ C ;

les papiers RO 47-2 (Fondement 5), RO 45-7 (Fondement 9), RO 59-4 (Fondement 10), RO 57-4 (Fondement 12) et RO 27-8 (Fondement 14) pourraient être issus de feuillets de type Écusson fleurette RC/DV ;

le papier RO 45-3 (Fondement 11) serait de type Deux écus de France et Navarre / I ♥ C.

Les papiers de Fondement 4 (RO 45-6), Fondement 6 (RO 45-8), Fondement 8 (RO 47-4), Fondement 15 (RO 59-5), Fondement 16 (RO 27-6) et Fondement 21 (RO 45-4) ne sont pas identifiés.

 

Bibliographie

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 310 sq.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 88 sq.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 249.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2009, p. 141 sq.

SELLIER Philippe, “La chute et l’ascension”, in Essais sur l’imaginaire classique. Pascal, Racine, Précieuses et moralistes, Fénelon, Paris, Champion, 2003, p. 129-140. Voir p. 131.

SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 441.

SERRES Michel, Le système de Leibniz et ses modèles mathématiques, Paris, Presses Universitaires de France, 1968.

THIROUIN Laurent, “Raison des effets : un bilan sémantique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 8-15.

THIROUIN Laurent, “Raison des effets, essai d’explication d’un concept pascalien”, XVIIe siècle, n° 134, janv.-mars 1982, p. 31-50.

      

Structure de la liasse Fondement

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 346-347.

 

Une indication de Pascal sur l’évolution de son plan

 

La liaison de Fondement avec la liasse suivante, Que la loi était figurative, se trouve dans le fragment Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des Fondements ce qui est en celui des Figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi J.-C. prophétisé en son premier avènement, pourquoi prophétisé obscurément en la manière. Cette indication a ceci de précieux qu’elle associe l’idée de fondement à celle de raison qui explique le pourquoi de certains effets. Pascal commence souvent par expliquer les principes généraux qui expliquent les faits, avant d’en venir à ces faits mêmes : c’est ce qu’il fait dans Fondement, qui précède Loi figurative, qui expose l’herméneutique pascalienne, qui dépend du principe du fait que Dieu a voulu éclairer les uns et aveugler les autres, affirmé dans Fondement.

 

Définition du mot fondement chez Pascal

 

Fondement se dit d’une assurance qu’on a sur quelque chose. Il ne faut pas faire grand fondement sur ses paroles (Furetière).

Le fondement, c’est ce sur quoi repose un édifice, ce qui assure sa solidité. Pascal emploie le terme dans l’opuscule De l’esprit géométrique, I, § 13, à propos de « cet art, que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites » : il consiste « en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires : à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis. La raison de cette méthode est évidente, puisqu’il serait inutile de proposer ce qu’on veut prouver et d’en entreprendre la démonstration, si on n’avait défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu’il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si l’on n’assure le fondement on ne peut assurer l’édifice. »

Dans la cinquième Provinciale, la doctrine des probabilités est présentée par le bon père jésuite comme « le fondement et l’A B C de toute notre morale ». C’est elle en effet qui sert de principe sur lequel peuvent être appuyées des maximes de morale toutes contraires les unes aux autres.

Lorsque le fondement vient à manquer, c’est tout l’édifice qui s’écroule ; Pascal évoque sous forme figurative ce qu’est le besoin enraciné chez l’homme de trouver un fondement ferme, et l’échec de sa recherche, dans le fragment Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Nous brûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à l’infini, mais tout notre fondement craque et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.

De même, Fondement et réponse aux objections sont déjà associées dans des textes de Pascal. Dans la troisième Provinciale, Pascal remarque, à propos de la censure qui se prépare contre Antoine Arnauld, qu’elle ne peut pas être efficace, dans la mesure où elle est dépourvue de fondement, et qu’elle ne résiste pas aux objections que les jansénistes lui opposeront : « leur censure est inutile. Car quelle créance y aura-t-on en la voyant sans fondement, et ruinée par les réponses qu’on y fera ? »

Du point de vue de l’art de convaincre, le fondement désigne un principe de base et incontesté : Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684) : Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.

Il en va de même dans la casuistique relâchée, dont Pascal écrit dans le Factum pour les curés de Paris, § 12, que la maxime « de la probabilité, [...] est le fondement de toutes » : si on l’ôte, c’est tout l’ensemble de la casuistique corrompue qui s’écroule.

La force d’un fondement s’évalue en termes de vérité, mais surtout en termes de sûreté : un fondement doit être vrai, mais il doit aussi être solide, faute de quoi sa chute entraîne avec elle celle de tout l’édifice.

C’est le cas par exemple dans le fragment Vanité 14 (Laf. 26, Sel. 60) : La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse. Et ce fondement est admirablement sûr, car il n’y a rien de plus sûr que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l’estime de la sagesse.

La sûreté ou la fragilité d’une religion ou d’une philosophie se mesurent à la force qui est nécessaire pour ébranler son fondement : voir Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164) : Voilà les principales forces de part et d’autre, je laisse les moindres comme les discours qu’ont faits les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume de l’éducation, des mœurs des pays, et les autres choses semblables qui quoiqu’elles entraînent la plus grande partie des hommes communs qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements sont renversés par le moindre souffle des pyrrhoniens.

La principale objection que Pascal oppose à la doctrine des opinions probables, dans les notes préparatoires des Pensées, porte précisément sur le fait qu’elle ne peut donner aucune assurance à la conscience : voir Laf. 599, Sel. 496 : Mais est-il probable que la probabilité assure ?

Deuxième recueil Guerrier (Laf. 993, Sel. 812). Toute la société entière de leurs casuistes ne peut assurer la conscience dans l’erreur, et c’est pourquoi il est important de choisir de bons guides.

L’idée de fondement éveille plusieurs échos dans l’économie générale des Pensées.

Fondement s’oppose d’abord à vanité. Le premier mouvement de l’Apologie vise à montrer la vanité des opinions humaines, en ce sens que Pascal en démontre le manque de fondement en vérité. Pascal voulait mettre en regard la fragilité des fondements des philosophies humaines à la solidité de celui de la religion chrétienne. Voir sur ce point la liasse Vanité.

Thirouin Laurent, “Les premières liasses des Pensées : architecture et signification”, XVIIe Siècle, n° 177, oct.-déc. 1992, n° 4, p. 451-467.

Thirouin Laurent, “Raison des effets, essai d’explication d’un concept pascalien”, XVIIe siècle, n° 134, janv.-mars 1982, p. 31-50.

Fondement a de ce fait aussi une relation avec les raisons des effets : l’argument de cette liasse consiste essentiellement à montrer que les opinions et les mœurs que les sceptiques trouvent dénuées de fondement, en ont en réalité un très solide.

Raisons des effets 12 (Laf. 93, Sel. 127). Raison des effets. Renversement continuel du pour au contre.

Nous avons donc montré que l’homme est vain par l’estime qu’il fait des choses qui ne sont point essentielles. Et toutes ces opinions sont détruites.

Nous avons montré ensuite que toutes ces opinions sont très saines, et qu’ainsi toutes ces vanités étant très bien fondées, le peuple n’est pas si vain qu’on dit. Et ainsi nous avons détruit l’opinion qui détruisait celle du peuple.

Mais il faut détruire maintenant cette dernière proposition et montrer qu’il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ces opinions soient saines, parce qu’il n’en sent pas la vérité où elle est et que la mettant où elle n’est pas, ses opinions sont toujours très fausses et très mal saines.

La différence consiste, en l’occurrence, dans le fait que si les opinions du peuple sont bien fondées en substance, elles n’en enferment pas moins une part de vanité du fait que le peuple ne sent pas la vérité où elle est. Lorsqu’il s’agit de la religion chrétienne en revanche, le fondement est effectif et n’enferme aucune vanité. C’est pas conséquent un fondement vraiment sûr.

On reconnaît dans cette liasse la technique de Pascal, qui consiste à établir des correspondances entre les différents moments de son ouvrage, telles que les mêmes thèmes réapparaissent sous des formes contrastées.

Sellier Philippe, “La chute et l’ascension”, in Essais sur l’imaginaire classique. Pascal, Racine, Précieuses et moralistes, Fénelon, p. 129-140. Voir p. 131. Rêverie de la tour et fondements. Pascal « est hanté par cette image des “fondements”, des fondations, du solide, du résistant », qui a donné son titre à un de ses chapitres.

 

En quoi consiste le fondement dans la liasse Fondement ?

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 241. Sur l’analyse du titre : le fondement, c’est ce qui donne crédit à la religion.

Les différentes religions n’ont pas, de ce point de vue, la même valeur, dans la mesure où elles s’appuient sur des fondements inexistants, sur des fondements fragiles, ou sur les fondements solides.

Fondement 20 (Laf. 243, Sel. 276). Titre barré : Fondement de notre foi.

La religion païenne est sans fondement aujourd’hui on dit qu’autrefois elle (en) a eu par les oracles qui ont parlé. Mais quels sont les livres qui nous en assurent ? sont-ils si dignes de foi par la vertu de leurs auteurs ? sont-ils conservés avec tant de soin qu’ on puisse s’assurer qu’ils ne sont point corrompus ?

La religion mahométane a pour fondement l’Alcoran, et Mahomet. Mais ce prophète qui devait être la dernière attente du monde a-t-il été prédit ? Et quelle marque a-t-il que n’ait aussi tout homme qui se voudra dire prophète. Quels miracles dit-il lui-même avoir faits ? Quel mystère a-t-il enseigné selon sa tradition même ? Quelle morale et quelle félicité !

La religion juive doit être regardée différemment. Dans la tradition des livres saints et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en est ridicule dans la tradition du peuple mais elle est admirable dans celle de leurs saints. Le fondement en est admirable. C’est le plus ancien livre du monde et le plus authentique et au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse pour faire subsister le sien a ordonné à tout le monde de le lire. Et toute religion est de même.

Car la chrétienne est bien différente dans les livres saints et dans les casuistes.

Notre religion est si divine qu’une autre religion divine n’en a que le fondement.

C’est donc bien son fondement qui rend la religion chrétienne singulière et divine.

Toute la recherche dirigée par Pascal dans son apologie peut donc être définie comme une quête d’un fondement solide :

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu’ils ne trouvent pas en eux-mêmes les lumières qui les en persuadent, négligent de les chercher ailleurs, et d’examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d’elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable, je les considère d’une manière toute différente.

C’est ce qu’a très bien reconnu Michel Serres dans le chapitre de son Système de Leibniz et ses modèles mathématiques consacré à Pascal (voir p. 671 sq.).

Les commentateurs diffèrent cependant dans l’identification concrète de ce fondement de la religion chrétienne.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 311, interprète le mot fondement comme une référence aux saintes Écritures, où la Révélation a été consignée. Mais il ajoute qu’il faut aussi y comprendre les dogmes fondamentaux de la création, de la chute et de la rédemption. : « L’on peut penser [...] que les « fondements de la religion » représentent à la fois la doctrine révélée et le « livre » qui contient cette doctrine » : p. 319.

Cette interprétation peut se recommander de certains fragments, comme par exemple Fondement 20 (Laf. 243, Sel. 276), qui examine les différentes religions en fonction de leur fondement : les païens n’en ont pas, les musulmans ont le Coran, les Juifs et les chrétiens ont la Bible et les Évangiles. Ces livres sont les fondements de leur religion respective, parce qu’ils en contiennent les principes.

Dans le cas d’Israël, l’Ancien Testament peut être dit être son fondement à d’autant plus juste raison que, selon Pascal, c’est ce livre qui a constitué la nation : Preuves par discours III (Laf. 436, Sel. 688), Il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu’il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-même un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

P. Ernst conclut que l’on doit distinguer plusieurs niveaux où se situent les « fondements de la religion » chrétienne, un niveau théologique, un niveau historique ou littéraire, et un « rationnel » : p. 348. Les fondements théologiques sont essentiellement Adam et Jésus-Christ, la chute et la rédemption, la concupiscence et la grâce. Les fondements historiques sont les Écritures, comme « fondements de la foi ». Le fondement rationnel, sur lequel repose la réponse à l’objection des athées, consiste à dire que toute religion vraie doit préserver une zone de mystère, et qu’il est donc indispensable que Dieu soit caché : p. 348-349.

Philippe Sellier propose une interprétation différente dans son édition des Pensées, Garnier, 2011, p. 279. Pascal appelle fondement un fait massif dont l’étrangeté saute aux yeux : l’éclat de l’idéal chrétien, le prophétisme, l’état des Juifs. Il précise cette idée au début de son étude sur « Le fondement prophétique », in Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e, p. 441. « Pascal avait retenu pour son projet d’apologie quatre ensembles de faits qu’il considérait comme des « fondements » de la foi catholique. Il s’agit des contradictions de l’être humain, objet de la première partie, « Connaissance de l’homme » [...], de l’éclat des idéaux chrétiens [...], de « l’état des Juifs » [...], enfin de ce qu’on peut appeler « le prophétisme et l’Évangile ». » Ces « faits massifs » permettent à l’apologiste de ne voir que « ce qu’il y a de clair… et d’incontestable ». Parmi ces faits, « la plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties », auxquelles Pascal consacre plusieurs dossiers.

Les miracles sont aussi, de l’aveu de Pascal, l’un des fondements capitaux de la religion chrétienne.

Miracles III (Laf. 861, Sel. 439). Les deux fondements : l’un intérieur, l’autre extérieur, la grâce, les miracles, tous deux surnaturels.

Miracles II (Laf. 832, Sel. 421). Miracles. Commencement.

Les miracles discernent la doctrine et la doctrine discerne les miracles.

Il y a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connaître, autrement ils seraient inutiles.

Or ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondement.

Or il faut que la règle qu’il nous donne soit telle qu’elle ne détruise la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité qui est la fin principale des miracles.

Miracles II (Laf. 834, Sel. 422). Fondement de la religion. C’est les miracles.

Une synthèse de ces fondements peut être trouvée dans le fragment Preuves par les Juifs VI (Laf. 482, Sel. 717). Preuves. 1° La religion chrétienne, par son établissement, par elle-même établie si fortement, si doucement, étant si contraire à la nature. – 2° La sainteté, la hauteur et l’humilité d’une âme chrétienne. – 3° Les merveilles de l’Écriture sainte. – 4° Jésus-Christ en particulier. – 5° Les apôtres en particulier. – 6° Moïse et les prophètes en particulier. – 7° Le peuple juif. - 8° Les prophéties. – 9° La perpétuité : nulle religion n’a la perpétuité. – 10° La doctrine, qui rend raison de tout. – 11° La sainteté de cette loi. – 12° Par la conduite du monde.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 249. Les deux parties du titre répondent en fait à un seul sujet : les objections des athées peuvent se ramener à une seule, exprimée dans le premier fragment de la liasse, Nous n’avons nulle lumière. « Quant au fondement de la religion, c’est ce qui l’autorise, lui assure crédit : miracles, prophéties, voire doctrine, le tout enregistré dans le livre de la Bible, qui peut être tenu lui-même pour fondement » : p. 249.

Le peuple Juif et sa condition dans l’histoire servent de fondement à la religion chrétienne.

Loi figurative 28 (Laf. 273, Sel. 304). Ceux qui ont peine à croire cherchent un sujet en ce que les Juifs ne croient pas. Si cela était si clair, dit-on, pourquoi ne croiraient-ils pas ? et voudraient quasi qu’ils crussent afin de n’être point arrêtés par exemple de leur refus. Mais c’est leur refus même qui est le fondement de notre créance. Nous y serions bien moins disposés s’ils étaient des nôtres : nous aurions alors un bien plus ample prétexte.

Cela est admirable d’avoir rendu les Juifs grands amateurs des choses prédites et grands ennemis de l’accomplissement.

Fondement désigne un principe de base et incontesté : Preuves par discours II (Laf. 432, Sel. 684) : Je leur demanderais s’il n’est pas vrai qu’ils vérifient par eux-mêmes ce fondement de la foi qu’ils combattent, qui est que la nature des hommes est dans la corruption.

Dans ce sens, la liasse Fondement accorde une place importante à la doctrine de la corruption de l’homme par le péché, et surtout à celle du Dieu caché.

L’idée que Dieu se cache est évoquée dans les fragments suivants

Fondement 3 (Laf. 225, Sel. 258),

Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260),

Fondement 10 (Laf. 233, Sel. 265),

Fondement 13 (Laf. 241, Sel. 273).

La doctrine selon laquelle Dieu aveugle les méchants et éclaire les bons est évoquée dans les fragments

Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264),

Fondement 11 (Laf. 234, Sel. 266),

Fondement 12 (Laf. 235, Sel. 267),

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268),

Fondement 16 (Laf. 239, Sel. 271),

Fondement 19 (Sel. 274),

Fondement 20 (Laf. 242, Sel. 275).

L’histoire du peuple juif est évoquée dans le fragment

Fondement 15 (Laf. 238, Sel. 270).

La prophétie est évoquée dans

Fondement 17 (Laf. 240, Sel. 272).

Les miracles sont liés à l’argument de la prophétie, qui est définie comme un miracle subsistant. On y trouve des allusions dans

Fondement 2 (Laf. 224, Sel. 257).

Fondement 4 (Laf. 227, Sel. 259).

 

La liasse Fondement et le Discours sur les Pensées de M. Pascal de Filleau de la Chaise

 

Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2009, p. 141 sq. La liasse Fondement marque dans les papiers classés de Pascal le début du parcours des preuves de la religion, qui s’intéresse uniquement au caractère figuratif de l’Ancien Testament, au Talmud, à la perpétuité de la religion chrétienne, aux prophéties. Le Discours sur les Pensées de M. Pascal de Filleau de la Chaise ne reprend pas tous les éléments.

 

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